Ce texte a été rédigé en collaboration avec d’autres militant-e-s du RQGE, pour qui le contexte actuel appelle à la vigilance plus que jamais… Vous connaissez Transition Énergétique Québec ? Depuis avril 2017, cet organisme gouvernemental doit assurer la concertation des efforts et programmes de différents secteurs en vue d’atteindre d’ici 2030 les objectifs de réductions des gaz à effet de serre (GES) fixés l’an dernier par le gouvernement québécois.
Pour atteindre de tels objectifs, le gouvernement se félicite de s’engager dans ce que l’on appelle la transition énergétique, un terme qui indique que certaines technologies et ressources sont graduellement abandonnées en raison de leur impact sur l’environnement pendant que d’autres sont progressivement développées pour les remplacer.
Transition Énergétique Québec (TÉQ) menait au cours des dernières semaines un processus de consultations du public, à l’occasion duquel les mémoires soumis par des groupes, citoyen-ne-s ou corporations étaient reçus, et plusieurs ateliers étaient organisés pour permettre de discuter de différentes thématiques. TÉQ devra, à la suite de ces consultations, soumettre au gouvernement un plan directeur faisant la synthèse des mesures favorables à la transition. Tant mieux ! C’est un bon début, c’est mieux que rien, c’est même la moindre des choses ! Mais c’est aussi une occasion pour les écologistes de parler de cette transition qui ne semble pas avoir le même sens pour tout le monde, bien qu’elle soit sur toutes les lèvres.
Le processus de consultation mené par TÉQ comporte des faiblesses que nous n’aurons pas la complaisance de taire, car elles limitent à la fois la portée de l’exercice et la pleine participation du public. Les thématiques soumises aux participant-e-s sont limitées et très techniques à la fois, chacune destinée à couvrir un enjeu spécifique. La compartimentation de ces enjeux – habitation, transport, aménagement du territoire, etc – permet d’éviter les implications d’une vision d’ensemble de la transition nécessaire. Une analyse systémique obligerait à tirer des conclusions bien plus lourdes d’implications que cet exercice de cloisonnement, peu susceptible de faire émerger ce que nous croyons profondément… Un changement profond s’impose, en termes de système économique, de justice sociale et de démocratie réelle.
Il faut avoir le courage d’oser une perspective globale plutôt que de nous féliciter de nos objectifs locaux de réduction des GES.
Nous appelons à une transition écologique et sociale : celle-ci n’émergera pas d’ateliers de discussion thématique réunissant presque exclusivement des acteurs gouvernementaux et du secteur industriel. La transition nécessaire implique un changement de paradigme majeur, qui loin d’être limité à des questions énergétiques, embrasserait les enjeux de justice sociale et d’environnement dans leur ensemble. Par exemple, il faut avoir le courage d’oser une perspective globale plutôt que de nous féliciter de nos objectifs locaux de réduction des GES, car une part importante de la pollution industrielle émise par les pays émergents découle de la fabrication de biens destinés à nos marchés occidentaux. Il faudra, au Québec comme ailleurs, répondre aux détresses économiques et sociales qu’annoncent les changements climatiques, en plus de freiner la crise climatique pendant qu’il est encore temps, que dis-je, pendant qu’il est presque trop tard !
La transition écologique et sociale doit être démocratique : elle ne sera pas porteuse de justice sociale sans la mobilisation du public. Là aussi, les consultations de TÉQ comportaient plusieurs limites en termes d’accessibilité. Les contraintes des groupes écologistes en termes de ressources rendaient la participation moins évidente pour nous, mais ne constituaient aucunement un obstacle pour le secteur privé. Un appui financier aux acteurs communautaires en matière d’environnement n’aurait pas été de refus, pour participer aux ateliers thématiques tenus à Montréal. Dommage d’ailleurs que cette centralisation dans la métropole, alors que les régions du Québec regorgent de groupes écologistes riches en expertise et dont le travail colossal depuis les années 1970 est absolument essentiel.
Il faut commencer quelque part, c’est sûr. Alors pourquoi on chiale encore ? Certains vont jusqu’à dire que TÉQ n’est que de la « poudre aux yeux ». L’organisme gouvernemental comporte des limites intrinsèques et n’a peut-être pas les moyens de ses ambitions : le plan directeur qu’il soumettra n’aura aucun poids décisionnel et dépendra de la volonté politique de plusieurs ministères. L’idée n’est pas de balayer TÉQ du revers de la main, mais la méfiance des écolos provient de quelque part, elle a des fondements bien réels.
Lesquels ? TÉQ a été créé par le gouvernement Couillard dans le même élan que d’autres législations dont les visées sont absolument contraires à une transition énergétique et écosocialiste. Le projet de loi 106 qui a créé l’organisme gouvernemental est le même qui a provoqué de vives oppositions au sein du mouvement écologiste en 2016, et a finalement été adopté sous bâillon en décembre dernier ! Dans le projet de loi 150, déposé à la fin octobre 2017, on apprend que l’État québécois continuera d’investir dans les combustibles fossiles et les hydrocarbures malgré ses objectifs de réduction des GES et ses efforts pour une « transition énergétique ». Tout cela rend dubitatif et réfrène un peu l’enthousiasme, non ?
La pleine participation au processus implique pour nos équipes réduites et surchargées de délaisser temporairement d’autres luttes urgentes et nécessaires.
Ce n’est pas évident pour les groupes écologistes de participer pleinement aux consultations de Transition Énergétique Québec en même temps qu’il y a urgence de bloquer les règlements d’application de la loi sur les hydrocarbures, qui menacent de légaliser la fracturation hydraulique à quelques pas des maisons, des cours d’eau, des écoles… La pleine participation au processus implique pour nos équipes réduites et surchargées de délaisser temporairement d’autres luttes urgentes et nécessaires, dans un contexte de sous-financement dramatique où chaque heure de travail doit être « investie » judicieusement.
Le RQGE et ses membres continuent de travailler à construire un modèle de transition socio-écologiste juste et inclusif, tout en tissant des liens générateurs de solidarités et porteurs d’espoirs. Il n’est plus qu’à espérer que le gouvernement prenne conscience de la dimension systémique de l’indispensable transition, et que les mandats de Transition énergétique Québec soient ajustés adéquatement.
Laurence Guénette Présidente du Réseau québécois des groupes écologistes
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