Je suis en train de rédiger ce blogue à partir de l’aéroport de Brisbane, d’où j’espère m’envoler pour pouvoir retourner à Sydney. À mon grand regret, je suis dans l’obligation de quitter le Queensland, mon État natal, et de laisser derrière moi famille et amis. Il ne me paraissait tout simplement pas convenable de rester à Brisbane, car j’aurais dans ce cas contribué à accroître la demande en services, en eau potable et en nourriture ; or toutes ces choses essentielles deviendront rares une fois les pointes de crue terminées.
Ces inondations représentent la plus grande catastrophe que nous autres habitants du Queensland avons dû affronter depuis des décennies. On prévoit que des milliers de maisons vont se retrouver sous l’eau d’ici les pointes de crue annoncées pour demain, c’est pourquoi les autorités sont à pied d’oeuvre en prévision des dégâts appréhendés. Puisqu’une amie qui m’est très chère était venue d’Alaska afin de rendre visite à ses parents de Toowoomba, j’avais décidé de me rendre dans cette ville dimanche afin de passer quelque temps en leur compagnie. Lundi, la pluie semblait menacer de couper la route vers Brisbane, mais j’avais quand même décidé de retarder mon départ jusqu’en début d’après-midi de façon à rester avec eux le plus longtemps possible.
C’est alors que le déluge s’est abattu sur nous. Je n’avais jamais vu tant de pluie tomber en si peu temps, quoiqu’ayant été élevée sous les tropiques. Nous attendions dans l’abri extérieur d’un restaurant, non loin de l’endroit où la désolation était à son comble. Bientôt l’eau a commencé à nous arriver aux chevilles, mais nous restions indifférents encore aux éléments qui se déchaînaient à l’extérieur. Quand nous avons quitté le restaurant, cette crue soudaine n’en était plus à son paroxysme ; on pouvait apercevoir des voitures restées stationnées parmi les flots impétueux qui atteignaient quelques mètres de hauteur. C’est alors que j’ai compris qu’il fallait vraiment que je conduise jusqu’à Brisbane, mais il était évidemment trop tard. Tant de routes étaient fermées à la circulation qu’il me fallut 45 minutes pour rouler jusqu’au sommet de la chaîne de montagnes de Toowoomba, un trajet qui normalement me prenait moins de 10 minutes.
Arrivée là-bas, on m’apprit que la route à travers la chaîne était impraticable en raison des glissements de terrain, ce qui fait que j’ai dû conduire environ 45 minutes de plus pour retourner à la maison où était mon amie. Bien entendu, le temps que j’ai dû mettre pour rallier Toowoomba était le cadet de mes soucis. La dévastation était omniprésente, si bien que lorsque j’ai finalement réussi à pénétrer dans la ville, j’ai dû rouler le long d’une des rues les plus touchées par les inondations. Le spectacle qui s’offrait à mes yeux était incroyable : partout des flaques d’eau sale étaient jonchées de meubles que les flots avaient arrachés des magasins, et des voitures s’étaient carambolées au bord de la route. Les policiers et les intervenants des services d’urgence ont su avec bravoure et vaillance diriger la circulation et restaurer l’ordre parmi le chaos ambiant.
J’ai bien tenté de retourner à Brisbane le jour suivant, mais toutes les routes reliant Toowoomba aux autres villes d’importance, y compris Brisbane, étaient complètement bloquées. Je m’estimais chanceuse de ne pas avoir essayé de quitter Toowoomba avant le repas du midi, comme j’avais songé à le faire, car alors j’aurais très bien pu devenir une autre victime de la crue dévastatrice. Je figure parmi celles qui ont eu de la chance.
Je suis parvenue à m’envoler de Toowoomba aujourd’hui, de sorte que je fais maintenant partie de la foule de gens qui essaie de quitter Brisbane avant que les inondations causent un maximum de dégâts. Tandis que nous nous réunissons pour venir en aide aux personnes dans le besoin et réfléchir aux meilleures façons d’atténuer et de prévenir les catastrophes, les inondations du Queensland nous rappellent immanquablement l’existence des changements climatiques. Les climatologues prévoient que l’augmentation des températures va s’accompagner de phénomènes climatiques extrêmes plus marqués et plus fréquents.
Les crues records qui balaient actuellement le Queensland correspondent hélas trop bien à ce que les scientifiques entendent par phénomène extrême grave. Quand on songe à ces inondations, à celles de l’année dernière dans le même État, et à celles d’il y a deux ans, on commence à discerner l’apparition d’un nouveau régime météorologique sans précédent dans la région. On prévoit déjà que les répercussions des inondations sur l’économie australienne seront plus graves que l’avaient été celles de Katrina sur l’économie américaine, c’est pourquoi je trouve ironique que certains invoquent régulièrement la nécessité de « sauvegarder l’économie » pour justifier l’inaction de la société en matière de protection climatique.
Parmi les principales industries du Queensland, l’industrie charbonnière est ironiquement l’une de celles ayant été le plus durement touchées par les inondations, alors que c’est elle qui s’est le plus démenée pour persuader les gouvernements de ne pas agir pour contrer les changements climatiques : par exemple, on pourrait utilement instaurer un mécanisme d’échange des émissions. On peut espérer que les crues actuelles serviront au moins d’avertissements : nous ne pourrons jouir d’une saine économie sans un environnement sain. Notre première priorité doit être la protection du climat, il en va de notre bien-être et de la santé de notre économie.
Quand je songe que Greenpeace, plusieurs organisations environnementales et des climatologues préviennent depuis des dizaines d’années qu’il faut agir pour sauvegarder le climat, les inondations du Queensland me rappellent qu’on aurait dû agir depuis longtemps pour combattre les changements climatiques. Espérons que les preneurs de décision seront en mesure de décoder les signaux d’alarme que la planète nous envoie actuellement, et que des mesures urgentes vont être adoptées pour réduire les émissions de carbone. Des communautés se regroupent aux quatre coins du Queensland pour s’entraider en ces temps difficiles : les Australiens et les citoyens d’ailleurs doivent maintenant suivre leur exemple pour secourir notre planète. Mon coeur et mes pensées vont aux victimes de ces inondations désastreuses.
Linda Selvey habite au Queensland. Elle est la directrice générale de Greenpeace Australie