Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Océanie

Quoi de neuf à l’approche du référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ?

À deux mois de la tenue du référendum, il n’est pas inutile de faire le point sur la situation pré-réfendaire. Nous passons en revue quelques questions : le maintien du corps électoral gelé après le 4 novembre, les conditions de vote, les sondages, appels à la non-participation, nouvelle réglementation de la vente des armes, désindexation des salaires…

Tiré du blogue de l’auteur.

Maintien du corps électoral gelé après le 4 novembre

Nombreux sont ceux qui s’interrogeaient sur l’avenir du corps électoral à la sortie du référendum le 5 novembre en cas de victoire du « non ». La logique était que celui-ci reste le même jusqu’à la fin du processus prévu dans l’accord de Nouméa, soit au terme des trois référendums possibles. Et c’est en effet ainsi qu’a tranché le conseil constitutionnel.

Selon La Dépêche de Nouvelle-Calédonie, Paul Néaoutyine a interpelé le Premier ministre, Édouard Philipe, sur ce qui allait advenir, après le référendum du 4 novembre 2018, des dispositions de l’accord de Nouméa qui ne devait durer que vingt ans. Le Conseil d’État, à la demande du Premier ministre, a rendu le 4 septembre un avis sur les élections provinciales qui doivent se tenir d’ici neuf mois en 2019 et les suites de l’accord. Si le référendum du 4 novembre 2018 voit le « non » à l’indépendance l’emporter, le corps électoral qui y participera sera maintenu dans les conditions actuelles avec le gel du corps électoral et l’irréversibilité constitutionnellement garantie :
« tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière. » (Avis du conseil d’État, 4/9/2018)

Des bureaux délocalisés à Nouméa pour les électeurs des îles pour le référendum du 4 novembre

Toujours d’après La dépêche de Nouvelle-Calédonie, comme le réclamait notamment le FLNKS et comme le prévoit la loi organique du 19 avril 2018, un bureau de vote délocalisé pour les électeurs des communes des îles (Bélep, Ouvéa, Lifou, Maré et de l’île des Pins) résidant sur la Grande Terre est prévu à Nouméa. Pour pouvoir y voter, les électeurs concernés ont jusqu’au 14 septembre pour en faire la demande. Les procurations sont aussi possibles, mais selon les estimations, devraient avoisiner les 3 %.

Les Calédoniens seraient de 69 à 75 % contre l’indépendance le 4 novembre prochain

L’institut Quid novi[1] a réalisé un nouveau sondage en interrogeant 2 677 personnes (au cours de trois vagues successives selon la méthode des quotas entre juin et août 2018), à propos de leurs intentions de vote pour la consultation référendaire sur l’indépendance du territoire dont les résultats sont publiés en ligne par La dépêche de Nouvelle-Calédonie. Mais le FLNKS-UNI accuse ces sondages de campagne de désinformation :

Quant à la représentativité des sondés, on peut en effet se poser des questions puisque, d’après quid novi, les « échantillons représentatifs de la population des 18 ans et plus [a été sélectionné] selon la méthode des quotas » avec une « stratification de l’échantillon par zone » et des « quotas au sein de chaque zone : âge, genre ». Quand on pousse plus avant, on s’aperçoit que le découpage de l’échantillon selon les zones n’est pas très précis et ne peut donc pas refléter les caractéristiques des différentes communes de la Grande Terre et des îles :

174 154 électeurs sont inscrits sur la liste spéciale pour le scrutin référendaire (lesc). Dans ce sondage, 69 % à 75 % des personnes interrogées déclarent vouloir voter « non » à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie avec un taux de participation est estimé à 86 %[1] : c’est le pourcentage de personnes interrogées ayant répondu « oui » à la question « Avez-vous l’intention d’aller voter pour le référendum du 4 novembre prochain ? ». Mais ce pronostic est à nuancer selon les âges et les lieux d’habitation :

« 85 % des habitants du Grand Nouméa qui précisent qu’ils iront bien voter lors du référendum, un habitant sur quatre aux îles Loyauté (24 %) déclare ne pas vouloir se rendre dans son bureau de vote le 4 novembre. De plus, si les personnes de + de 60 ans déclarent qu’elles iront voter à plus de 91 %, chez les jeunes âgés entre 18 à 24 ans la participation serait pour l’heure comprise entre seulement 74 % à 77 %. »

Quid de l’influence du mot d’ordre du Parti travailliste[3] de ne pas participer à cette consultation taxée de coloniale ? L’institut Quid Novi explique qu’il « ne semble pas avoir d’écho pour le moment » dans le camp indépendantiste.

Ce sondage est le troisième réalisé en un an. Par rapport aux sondages précédents, la participation est en forte hausse puisqu’elle atteint désormais 86 % (contre 75,6 % lors du sondage de mai 2017) ne laissant donc que 14 % à l’abstention (contre 24,4 % en mai 2017). La part des indécis se réduit aussi de façon importante puisqu’elle n’est plus que de 5 % contre 15 % auparavant, voire 21,4 % en mai 2017, ce qui est le résultat des campagnes menées par les différents groupes politiques.

« S’agissant des pronostics de résultats, chez les partisans du “non” à l’indépendance, ils passent de 58 % à 69 %. Un chiffre sans grande surprise puisqu’il correspond grosso modo aux résultats des partis non indépendantistes durant les élections locales de ces trente dernières années. Dans le même temps, la proportion de personnes déclarant vouloir voter “oui” à l’indépendance augmente elle aussi, passant de 15 % à 20 %. »

L’institut Quid Novi estime, sur la base d’une ventilation entre les trois vagues du sondage et de la baisse du nombre d’indécis qui continuerait à s’accentuer, que 69 à 75 % des électeurs seraient susceptibles de voter « non » lors de la consultation du 4 novembre.

« Les écarts observés sont en fait directement liés à l’indécision d’une partie de l’électorat qui prend semblerait-il beaucoup de temps pour faire son choix. De plus, on constate que le vote indépendantiste pourrait être majoritaire uniquement dans le Nord Est de la Grande Terre. Dans les îles Loyauté, l’institut Quid Novi estime que “tout dépendra de la campagne qui sera menée mais il y a une probabilité non nulle que le vote indépendantiste ne soit pas majoritaire à date”. Dans toutes les autres zones, le refus de l’indépendance devrait être majoritaire. En tribu néanmoins, parmi ceux qui sont certains d’aller voter, 33 % voteraient “non”, 50 % “oui”, 11 % ne savent pas encore et 6 % ne répondent pas. […] De manière plus précise, la proportion de personnes inscrites sur la LESC et opposées à l’idée d’indépendance croît avec l’âge (30 % des moins de 30 ans, 38 % des plus de 30 ans). 43 % des moins de 30 ans pensent que la Nouvelle-Calédonie peut être un pays indépendant un jour mais que nous ne sommes pas prêts. De leur côté, 45 % des personnes appartenant aux catégories socioprofessionnelles de type cadre, profession libérale ou intermédiaire pensent que l’indépendance n’est pas viable. Ils sont plus de 60 % chez les Européens (qu’ils soient nés ou non en Nouvelle-Calédonie). »

Les appels à la non-participation au référendum du 4 novembre

Pour l’instant, seules deux organisations sont concernées par cette non-participation, l’USTKE qui avait été signataire des accords de Matignon, mais pas de l’accord de Nouméa, qui a pris cette décision mi-septembre, et le Parti travailliste (PT) créé depuis par des membres de l’USTKE d’ailleurs. Lors du dernier congrès de l’USTKE, mi-septembre, Hnalaïne Uregei par exemple s’exprimait ainsi :

«  Rien na changé, c’est même encore pire […] la question de fond, la seule question, pour un nationaliste, pour nous indépendantistes : c’est quoi vouloir l’indépendance, c’est vouloir être responsable, c’est vouloir diriger notre pays, […] c’est un droit, c’est un droit qui est consacré par la charte des Nations unies, c’est un droit qui est consacré par le droit international auquel a souscrit la France, et donc ce droit international est bien spécifié, […] que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, c’est uniquement réservé aux peuples colonisés, caractérisés de colonisés. Moi j’irai voter le jour où ce sera le vrai référendum d’autodétermination, c’est-à-dire que seul le peuple kanak vote […] C’est la première fois qu’un peuple colonisé fait une telle concession. Y’a aucun précédent dans l’histoire coloniale, qu’elle soit françaises ou anglaise […] on leur reconnaît le statut de victimes de l’histoire. Mais en contrepartie, qu’est-ce qu’on a reçu ? […] Pour un indépendantiste, c’est quoi la ligne jaune à ne pas franchir ? C’est quoi le plus important ? Le plus important, et tout découle de là, c’est de savoir si l’indépendance est négociable ou pas ; l’indépendance ce n’est pas négociable. »

Selon Quidnovi :

« 11 % d’abstention chez les Mélanésiens AVANT l’appel du Parti travailliste (vagues 1 et 2), 7 % lors de la vague 3. L’appel du parti travailliste ne semble pas avoir d’écho pour le moment. »

Mais il semblerait que, malgré tout, des militants du PT comme de l’USTKE soient investis dans la campagne pour le « oui ». Comme nombre de militants indépendantistes sont à la fois FLNKS et syndiqués à l’USTKE, ils se trouvent donc pris entre deux consignes : faire campagne pour le oui ou la non-participation. Rien de plus normal alors que certains choisissent leur appartenance politique plutôt que celle syndicale pour cette consultation qui est des plus politique pour l’avenir de leur pays.

On peut se demander alors quel sens donner à une campagne pour l’abstention (bien qu’à ce jour, il n’y a eu aucune initiative publique du pt ou de l’USTKE pour mener campagne) sans proposer d’alternative. Quel en est l’objectif pour les responsables du PT et de l’USTKE ? Surtout, que comme nous le voyons dans les réactions au dernier sondage publiées par La dépêche de Nouvelle-Calédonie, les anti-indépendantistes arguent de l’importance du vote pour le « non » pour enterrer définitivement la demande d’indépendance, voire même ne pas poursuivre les deux autres référendums prévus dans les quatre années à venir. Et forcément, plus l’abstention sera importante et plus la part du « non » annoncée sera élevée.

Pour Sonia Backès par exemple, « l’avenir de la Nouvelle-Calédonie dépendra de l’écart qu’il y aura entre le “non” et le “oui”, et on espère gagner le plus largement possible. » Pour Philippe Gomès :

« […] voter pour l’indépendance, ça veut dire qu’on considère que le pays est capable d’être un État indépendant. Et beaucoup d’indépendantistes considèrent que le pays n’est pas capable aujourd’hui d’être un État indépendant. Donc cela ne m’étonne pas que l’on passe de 60 % de non à l’indépendance aux provinciales à 70 % à l’occasion de ce référendum, chronique d’un résultat annoncé. »

Enfin, pour Gaël Yanno :

« Jai toujours plaidé moi pour que ce référendum ait lieu et que la question claire soit posée aux Calédoniens après vingt ans d’accord de Nouméa. Et je suis heureux de voir que les Calédoniens répondent clairement et je suis convaincu que dans deux mois ils apporteront cette réponse claire d’un maintien de la Calédonie dans la république française. »

Et s’il est un réel enjeu dans le référendum du 4 novembre, c’est en effet pour les indépendantistes de pouvoir compter leurs voix. Et la campagne pour le « oui » est la suite logique de la signature par le FLNKS des accords de Matignon puis de Nouméa.

« Mettre fin à un système de domination dit colonial, de façon pacifique et organisée est possible par un bulletin de vote. C’est probablement ce que pensaient nos aïeux qui se sont battus pour nous offrir cette chance. L’heure de montrer qu’ils avaient raison est arrivée. En disant OUI le 4 novembre… » (Éditorial, La voix de Kanaky n° 9, sept-oct. 2019)

Comme l’a noté la mission de visite des Nations unies en Nouvelle-Calédonie en mars 2018 :

« Toutefois, la situation reste incertaine et fragile, compte tenu de la divergence des opinions au sujet du référendum. Certains avis sont tranchés, qu’ils soient favorables ou opposés au statu quo, et les désaccords intergénérationnels persistent quant au déroulement et au résultat du scrutin, quel que soit ce résultat. La génération des Néo-Calédoniens nés après les troubles civils et politiques des années 1980 est en général moins préoccupée par le processus d’autodétermination que les générations précédentes. Les délinquants juvéniles, notamment les jeunes d’origine kanak de Nouméa, sont considérés comme un problème potentiel. » (ONU, assemblée générale 2/04/2018, Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, Rapport de la mission de visite des Nations unies en Nouvelle-Calédonie (12-16 mars et 19 mars 2018), A/AC.109/2018/20, pp. 20-21)

Nouvelle réglementation sur la vente des armes

On ne peut s’empêcher de faire le lien avec cette nouvelle réglementation sur la vente des armes. Car comme nous venons de la voir, le rapport de force, au terme du processus des trois référendums, et le corps électoral débloqué, ne sera pas favorable aux indépendantistes. Sans compter, comme s’interroge Gomès, les risques de voir le territoire replonger à nouveau dans la violence… On sait déjà que certains Caldoches se sont réarmés en prévision du résultat du référendum :

« L’usage des armes a été libéralisé depuis cinq ans, explique Sylvano Adelkader, […] maintenant en une demi-heure, avec une pièce d’identité, vous obtenez votre permis de chasse, vous garez votre pick-up devant l’armurerie et vous ressortez les bras remplis de carabines et de munitions. […] “Ça va arriver, ils vont tirer, il y aura des morts”, prévient la marie. » (Carine Fouteau, 5 mars 2018, « À Bourail, les non-indépendantistes se préparent à “défendre leurs terres” », Médiapart.fr)

Aussi, on voit d’un autre regard le fait que, depuis le 1er août 2018, le décret n° 2018-542 du 29 juin 2018, qui modifie le régime de détention des armes et leur commerce, est entré en vigueur. Désormais, toute vente entre particuliers doit être contrôlée par un professionnel.

« Rien à voir, nous dit-on, avec la période actuelle en Nouvelle-Calédonie et les échéances qui approchent, “ce décret achève la transposition de la directive européenne du 17 mai 2017 sur les armes à feu, prise après les attentats de Paris”, explique le haut-commissariat en ajoutant que “l’évolution du droit européen conduit au remplacement du régime de l’enregistrement des armes à feu par un régime de déclaration en préfecture” et que “les armes neutralisées, qui étaient libres de détention, sont désormais soumises à cette obligation déclarative”. »

Désindexation des salaires ?

Vestige de la France coloniale, les indices de majoration des salaires des fonctionnaires ont un impact sur le pays qui a de forts effets négatifs : « hausse des inégalités, niveau trop élevé des prix et de la dépense publique, surévaluation de la monnaie, choix d’investissement dispendieux dus à l’argent “facile” » (La voix de Kanaky n° 9, p. 7). L’auteur de l’article, Désindexation, quel impact pour notre pays ? dans La Voix de Kanaky indique que « La France donne beaucoup, mais mal » :
« En quinze ans, les dépenses de l’État ont doublé, même si cette part des transferts dans le PIB baisse tendanciellement. »

En résumé, un PIB de 1000 milliards de FCFP[1] (8,38 milliards d’euros) ; 155,5 milliards de transferts de la France (15 % du PIB) dont « 63 % de traitements et de pensions et seulement 24 % de dotations et contrats de développement ! […] D’ailleurs, […] l’essentiel des transferts, soir 120 milliards de FCFP repart vers la métropole : assurance-vie, cotisations retraites du secteur privé […], placements immobiliers en France et en Australie […] ».

N’oublions pas que « l’indexation reste au cœur de la colonie de peuplement »…

Merci de nous avoir lu.

Notes

[1] L’institut Quid novi (franchise de Kantar TNS) est une société d’études qui réalise régulièrement des mesures d’opinion auprès de la société calédonienne. Selon l’uni, « les entreprises qui pilotent ces pseudos-sondages sont la propriété de personnes opposées à l’indépendance, proche des partis anti-indépendantistes » (Tract FLNKS « Attention manipulations ! »).

[2] Ce qui dénote une très forte participation. À titre de comparaison, « au Québec, 93,52 % des électeurs avaient participé au 1er référendum sur l’indépendance de la province canadienne […] en Écosse, ils avaient été 84,59 % des inscrits à se déplacer pour voter au sujet de l’indépendance du pays vis-à-vis du Royaume-Uni. » (La dépêche calédonienne)

[3] La non participation du pt au référendum du 4 Novembre 2018, suite au vote à l’unanimité durant le Congrès extraordinaire, samedi 14 juillet. Selon son président, Louis-Kotra Uregei, « C’est une position qui est réaliste. Le Parti travailliste ne participera pas à un référendum qui n’a d’autodétermination que le nom. Pour nous, c’est un plan de l’État pour emmener le peuple kanak dans une voie sans issue. Nous voulons que, dans ce pays, la réalité kanak existe et nous ne voulons pas devenir demain une communauté noyée dans le peuple calédonien. » (https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/parti-travailliste-ne-participera-pas-referendum-qui-n-autodetermination-que-nom-608833.html).

[4] 1 000 FCFP = 8,38 €.

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