Gillard a créé l’année dernière un comité d’experts pour élaborer des propositions et un rapport devra lui être présenté. Compte tenu des mauvais sondages, Gillard peut utiliser la réforme constitutionnelle pour gagner du temps et trouver un faux-fuyant. Jusqu’à présent, les suggestions du Conseil législatif d’Australie, notamment du réformateur George Williams et de son groupe d’experts sont cohérentes : la disparition des dispositions archaïques et l’inclusion de clauses s’opposant à la discrimination des autochtones.
Mais n’y a t-il pas des enjeux plus importants qui devraient être considérés ?
La reconnaissance constitutionnelle des Autochtones n’est pas aussi facile qu’il y paraît. Le juge en chef de la Haute Cour, Murray Gleeson a souligné en 2007 : "La Constitution australienne n’est pas le résultat d’une culture juridique et politique, ou de circonstances historiques, créé ... [pour] protéger les droits des individus. Ce n’est pas le résultat d’une révolution, ou une lutte contre l’oppression.
"Elle a été conçu pour pour une union fédérale, par la métropole, des peuples d’autrefois colonies autonomes britanniques."
La liberté d’expression
En d’autres termes, ce n’est pas une charte des droits, contrairement à son homologue américain.
Néanmoins, la liberté religieuse est reconnue. Bien qu’il n’y ait aucune référence explicite à la liberté d’expression dans la Constitution, il existe un droit implicite de la liberté d’expression sur des questions politiques et de gouvernement.
La justification de cette forme plutôt limité de la liberté d’expression, c’est que le système de gouvernement représentatif établi par la Constitution ne pouvait pas fonctionner correctement sans ces libertés.
Par conséquent, elle permet à un homme à Townsville de protester contre « la corruption policière". Brûler le drapeau australien est interdit - mais ne légalise pas les protestations dans des zones interdites.
La Constitution est à la fois une source et une limitation du pouvoir. Il établit les législatures fédérales et d’État et fournit des lignes de démarcation pour chaque compétence. Il établit la Haute Cour pour trancher les différends et déterminer les limites de pouvoir de chaque gouvernement. La Constitution est le manifeste politique de la nation.
C’est en vertu du pouvoir de la Constitution que la reconnaissance de droits ancestraux doivent être soigneusement abordés : remodeler l’essence de l’existence d’une nation afin de reconnaître correctement l’histoire de sa dépossession, et des blessures subies - tout en offrant un avenir pour les peuples autochtones - exige une réflexion importante.
La forme de reconnaissance doit naturellement être avantageux pour les Aborigènes, sinon il y a peu d’avantages à l’exercice. Les leçons du plus important référendum en 1967 doivent être tirées. Un très grand nombre d’Australiens ont voté pour modifier la Constitution afin d’y inclure les Autochtones dans le recensement de la population et de contrecarrer la négligence de l’État envers les peuples autochtones par l’attribution aux autochtones du droits d’adopter des lois "pour les Autochtones » dans le Commonwealth.
Comme Michael Kirby a affirmé, "les conséquences de cette victoire n’ont pas toutes été envisagées".
Jusque là dans le déni des droits des autochtones, le parlement fédéral a adopté une série de lois traitant des droits fonciers et patrimoniaux, mis en place l’Aboriginal and Torres Strait Islander Commission (ATSIC) et d’autres services de santé et juridiques.
Ce fut alors un choc lorsque Canberra évoqua certaines de ces nouvelles clauses pour autoriser la destruction de petites entreprises clandestines tenues par des femmes autochtones en Australie du Sud. Le tribunal a jugé que l’État n’a pas à restreindre les lois afin d’être favorable à la cause autochtone : le pouvoir adopte des lois qui causent des dommages aux personnes autochtones.
Que les résultats du référendum de 1967 pouvaient être utilisés pour refuser la protection aux Aborigènes fut perçu comme un choc pour ceux et celles qui furent les champions du changement. Ce n’est pas ça qu’ils se sont battus ou ont voté en faveur.
Si la constitution vise à « reconnaître » les Autochtones et les insulaires du détroit de Torres, la question clé est la suivante : Quelle est la relation entre les peuples autochtones et la nation de l’Australie ? Si le but est de reconnaître les torts du passé, alors les droits et les acquis dont disposaient les peuples autochtones avant l’invasion doivent être pris en compte.
Prenez à témoin la réponse par la Central Australian Aboriginal organisations à l’enquête “Deux cents ans plus tard”.
Elle a déclaré : "Nous n’avons jamais reconnu la défaite et nous allons continuer de résister à cette tentative en cours pour nous asservir. Les peuples autochtones n’ont jamais cédé à l’invasion européenne et d’affirmer que la souveraineté sur l’ensemble de l’Australie ne peut se négocier sans eux.
"L’État colonial a été mis en place sur des terres autochtones. Nous exigeons que les colons qui se sont emparés de la terre reconnaissent cette souveraineté et sur cette base, négocier leurs droits d’être là. "
Nous sommes vaguement familier avec les conceptions de la liberté d’expression en Australie, mais le concept de la liberté du peuple autochtone y est absente.
Des rapports ont conclu que depuis 200 ans les peuples autochtones a été dominée à un tel point que le déséquilibre entre les autochtones et la population coloniale était la conséquence de cette domination.
Les “NT intervention laws” ont stigmatisé les Autochtones comme étant indignes de confiance. Ils permettent une attitude paternaliste et dominatrice sur les choix individuels et collectifs ce qui a contribué à rendre ces Autochtones encore plus dépendants.
La volonté du peuple doit prévaloir, sans doute. « Permettre » aux autochtones de décider de leur sort doit être un droit, pas un privilège accordé par le gouvernement. Quelle plus grande déclaration pourrait faire le peuple de l’Australie en faveur des peuples autochtones que celle-ci : « Voici votre liberté" ? Il n’en tient qu’au peuple de l’Australie à modifier leur Constitution pour inclure dans celle-ci des droits qui lient les parlements.
Il est irréaliste de s’attendre des élus l’application à la lettre ces questions de droits humains alors qu’ils ont un œil sur les sondages. C’est le peuple de l’Australie qui doit mettre sa marque pour le type de société dans laquelle ils veulent vivre.
Modifier la Constitution pour assurer la liberté des Autochtones reviendra à libérer la nation des erreurs du passé, en prenant en charge le présent et offrir un avenir aux Autochtones.
L’amendement constitutionnel pourrait se lire ainsi : « les Autochtones et les insulaires du détroit de Torres sont des peuples souverains qui ont le droit à l’autodétermination".
Ces mots possèdent trois avantages : d’abord, ils reconnaissent le statut souverain du peuple de l’Australie avant l’invasion par les Britanniques. Deuxièmement, que les peuples autochtones d’Australie, comme tous les autres peuples du monde, "déterminent librement leur statut politique ». Et troisièmement, les négociations entre le gouvernement et les peuples autochtones au sujet de leur relation se feront pour la première fois sur la même base, l’égalité.
Partir d’une telle reconnaissance politique pour les Autochtones pourrait s’articuler de plusieurs façons : soit par le biais d’un gouvernement autochtone - l’argument selon lequel il ne peut y avoir deux gouvernements en Australie ne tient pas compte tenu du fait qu’il y a six États, deux territoires et 560 gouvernements locaux, en plus du gouvernement fédéral - ou par le biais de la garantie d’un certain nombre de sièges dans les parlements.
La terre est au cœur de tout accord. Un des articles de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones préconise un retour de la propriété de toutes les terres traditionnelles, mais, lorsque cela n’est pas possible, pour d’autres terres qui seront offerts en compensation.
La protection de la culture et de la langue seraient hautement prioritaires. Le rétablissement de l’autorité des aînés dans les domaines traditionnels peut donner un nouvel élan aux lois et mettre un certain ordre là où la confusion règne quant à savoir si la loi blanche ou traditionnelle prévaut actuellement. Les lignes de démarcation seront judicieusement conclues par la négociation, et non pas dictées ou imposées.
De tels arrangements pourraient être écrite dans un document autorisé par amendement constitutionnel. Il pourrait s’agir d’un traité. L’argument en faveur d’un traité est justifiée par l’ampleur de la dépossession, de la domination et de ses conséquences pour la renaissance des peuples autochtones trop longtemps négligés.
De plus, l’amendement constitutionnel autorise le Commonwealth et les peuples autochtones à signer un accord sur un pied d’égalité.
Le sens à donner à l’’autodétermination est controversée. Qu’est-ce que cela signifie ? Une définition du groupe de travail s’est révélé difficile à appliquer à la fois en Australie et en droit international. Les groupes auxquels il s’applique peuvent déterminer librement leur statut politique - mais quels groupes ?
La position officielle australienne sur l’autodétermination autochtone limite l’autodétermination à « l’interne » du pays. Une définition australien de l’autodétermination interne est encore plus difficile à cerner que ce qui est son équivalent international.
L’élection au Québec du Parti québécois a mené à deux référendums, l’un en 1980, l’autre en 1995, posant la question de la séparation du Québec du Canada. Les deux référendums ont été défaits, le second avec des résultats très serrés.
La plupart des Canadiens français avaient vécu au Québec pendant des centaines d’années, parlent français et possèdent une culture différente des Canadiens de langue anglaise. Beaucoup de Canadiens français pensaient encore d’eux-mêmes comme d’une nation à part, ils ne sont pas des citoyens canadiens. Finalement, la question a été posée à la Cour son avis sur le droit du Québec à son indépendance.
En 1998, le tribunal a décidé que : "Un droit de sécession ne prend naissance en vertu du principe de l’auto-détermination des peuples en droit international seulement si « un peuple » est dominé dans le cadre d’un empire colonial [tels que le droit de l’Australie de rompre avec la Grande-Bretagne], où « un peuple » soumis à la subjugation, la domination étrangère ou l’exploitation, et peut-être où « un peuple » est empêché d’exercer librement son droit à l’autodétermination au sein de l’Etat dont il fait partie".
Ce serait un argument puissant que les Autochtones pourraient réclamer que la troisième partie s’applique à l’Australie et aux peuples autochtones. Toutefois, même lorsque les critères d’auto-détermination sont satisfaits, aucun groupe n’a été en mesure avec succès de rompre avec un État sans un soutien international forcant l’État colonial à accorder l’indépendance.
Aucune de ces mesures concrètes s’applique à l’Australie - pas encore
L’Appel Gillard pour la reconnaissance des peuples autochtones soulève des idées et des concepts non encore prises trop au sérieux, à Canberra. Les États-Unis reconnaîssent [les nations du peuple amérindien], le Canada a reconnu les droits ancestraux dans sa constitution et la Nouvelle-Zélande a signé le Traité de Waitangi avec les Maoris.
La réputation de l’Australie dans le domaine des droits de l’homme en général et les relations avec les peuples autochtones en particulier, pourrait faire un bond en avant.
Le préambule reconnaissant les droits des Autochtones existe dans le Queensland, New South Wales et dans les constitutions victoriennes. Ce sont des passaes de leurs constitutions qui créent des principes sans droits ni obligations. Dans chaque cas, les États “ reconnaissent les Autochtones " les honorent " et " admettent "leur existence et la contribution” qu’ils ont apportée à chacun de ces états.
Ce pourrait tout aussi bien pu être une référence à des moutons. Nous pouvons faire mieux que de soutenir un nouveau préambule dans la Constitution nationale.
[Michael Mansell est un avocat, militant et fondateur du Centre de Tasmanie autochtone. Cet article a paru dans NewMatilda.com. Il est reproduit avec la permission de l’auteur.]