Tiré de l’Humanité
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Publié le 12 novembre 2024
Benjamin König
Les pyromanes sont restés en France et les pompiers ont débarqué. Six mois après le début des violences qui ont enflammé la Kanaky-Nouvelle-Calédonie dans des proportions inédites depuis les « événements » des années 1980, les présidents des deux chambres parlementaires, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, ont atterri à la Tontouta, l’aéroport du Caillou, pour une mission du 10 au 14 novembre.
Le chantier est immense, les plaies à vif. Treize morts, près de 2 500 gendarmes et policiers déployés et presque autant d’arrestations, des centaines d’entreprises et de bâtiments publics détruits, un chômage et des inégalités béants, près de 2 milliards d’euros de dégâts. Moins visible mais tout aussi important : une société fracturée et un dialogue au point mort.
“Notre mobilisation visait précisément à négocier”
Ce mardi, les deux présidents ont poursuivi leur mission de « concertation » avec « une nouvelle méthode », selon Gérard Larcher, aux antipodes de celle employée par l’État depuis 2021. Allusion claire au passage en force du gouvernement sur le dégel du corps électoral, qui, comme en 1984, a mis le feu aux poudres.
« Notre mobilisation visait précisément à négocier, rappelle le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou. C’est le passage en force du texte qui a tout stoppé. » Quant à la mission des parlementaires, le député s’interroge : « Quel est leur mandat ? De notre côté, nous avons une proposition écrite sur la table. » Celle de la pleine souveraineté, comme le prévoit l’accord de Nouméa de 1998.
Pour les indépendantistes, les leçons à tirer sont nombreuses par rapport au peuple calédonien et à la jeunesse kanak, et vis-à-vis de l’État. Face à celui-ci, le sénateur de Lifou, Robert Xowie, résume ce « sentiment que l’histoire, les vieilles pratiques ou les réflexes colonialistes se répètent inlassablement ».
Quant à l’ampleur des violences survenues dans le Grand Nouméa, elles ont surpris par la détermination des jeunes et leur caractère à la fois identitaire et social. « Ce qui s’est passé est le résultat de l’échec des politiques publiques, de la citoyenneté qui était le cœur du projet de société », estime Emmanuel Tjibaou. Le fameux « destin commun » consacré par l’accord de Nouméa paraît avoir volé en éclats dans certains pans du territoire. Un constat amer établi par le député : « Personne ne prend en compte nos réalités océaniennes. Nous avons une identité et un héritage à partager, mais beaucoup ne le veulent pas. »
À cela s’ajoute une réelle division entre les deux composantes principales du FLNKS, le Parti de libération kanak (Palika) et l’Union calédonienne (UC). « Je suis UC mais je représente toutes les composantes du Front. Si j’ai été élu, c’est parce que tout le monde s’est mobilisé », tempère Emmanuel Tjibaou. En retrait depuis plusieurs mois, le Palika tenait son congrès le week-end dernier, avec des questions majeures : sa stratégie au sein du FLNKS, qui fête cette année ses 40 ans.
Sous la surveillance de l’ONU
La droite ressort elle aussi divisée. Sonia Backès et Nicolas Metzdorf, également député, s’enferment dans une radicalité qui rebute jusque dans leur camp. Dans un communiqué, ceux-ci accusent la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain, organisation indépendantiste créée par l’UC pour contester le dégel du corps électoral) d’avoir fomenté « un coup d’État ».
C’est ce que reproche en creux la justice française aux prisonniers kanak, comme l’indiquent les lourds chefs d’accusation que le procureur de Nouméa, Yves Dupas, a convoqués : complicité de tentative de meurtre, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime. Ce malgré les appels répétés au calme. En premier lieu, de la part de Christian Tein, dirigeant de l’UC et de la CCAT, désormais président du FLNKS depuis sa cellule d’isolement de Mulhouse. « Nous demandons leur libération », martèle Emmanuel Tjibaou, qui déplore : « Nous sommes obligés de répéter les mêmes choses car l’histoire se répète. » Allusion à la longue tradition d’exil forcé des chefs kanak, comme dans l’ensemble des colonies françaises.
Ce nouveau pan d’histoire de l’archipel ne s’écrit pas à huis clos. Le comportement de la France est scruté, notamment par l’ONU, dont quatre experts ont publié un rapport le 20 août. Leur constat est accablant. Le projet de loi constitutionnel est décrit comme une « menace de démanteler les acquis majeurs de l’accord de Nouméa ».
Après un décompte des morts, blessés et arrestations arbitraires, le document prend la forme d’un réquisitoire contre l’État français : « Le manque de retenue dans l’usage de la force contre les manifestants kanak et le traitement exclusivement répressif et judiciaire d’un conflit dont l’objet est la revendication par un peuple autochtone de son droit à l’autodétermination sont non seulement antidémocratiques, mais profondément inquiétants pour l’État de droit. »
Ce mardi, Gérard Larcher a parlé devant le Congrès d’une « souveraineté partagée ». Une première. C’est d’ailleurs le projet porté par l’ensemble du FLNKS, malgré quelques divergences. Quant au corps électoral, la réforme est remisée mais pas enterrée. Ce corps électoral peut être dégelé, mais dans le cadre d’un accord global sur la souveraineté et la citoyenneté, comme l’ont toujours demandé les indépendantistes. Une citoyenneté qui reposerait alors sur un principe universel : le droit du sol.
Problème : les anti-indépendantistes y sont toujours opposés, comme aux principes mêmes de l’accord de Nouméa. En juillet, l’ex-ministre Sonia Backès, toujours présidente de la province Sud, a proposé une partition de la Calédonie : « Au même titre que l’huile et l’eau ne se mélangent pas, je constate que le monde kanak et le monde occidental ont, malgré plus de 170 années de vie commune, des antagonismes encore indépassables. » Des Blancs repliés sur Nouméa, en autarcie et surtout « protégés » des Kanak : le modèle que proposent Backès et la droite anti-indépendantiste, c’est un apartheid.
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