Édition du 11 mars 2025

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Océanie

« L’Église catholique australienne et Donald Trump : l’art d’imposer un récit en niant toute culpabilité

Le cas du cardinal australien George Pell, ex-bras droit du pape François »

Glorifier le coupable et vilipender ses victimes : tel fut, affirme la journaliste Louise Milligan, le comportement de l’Église catholique australienne dans l’affaire du feu cardinal George Pell. Un comportement qui accentue la blessure dont souffrent les victimes du cardinal, et qui amenait récemment d’autres de celles-ci à se manifester pour la première fois, à contacter Milligan, et à lui détailler les abus qu’elles ont subies de la part du cardinal.

CE N’EST PAS FACILE DE SUIVRE DONALD TRUMP, qui, lors de son premier mandat, a choisi deux juges catholiques conservateurs à la Cour suprême et, lors de son deuxième, a choisi comme vice-président le catholique extrêmement réactionnaire qu’est J. D. Vance.

Trouvé coupable de fraude financière et d’agression sexuelle, Trump nie toute culpabilité...

Les médias ‘fake news’ mènent une campagne de dénigrement contre moi, dit-il. On utilise le système de justice comme arme pour me punir, alors que je suis complètement innocent !

L’économie américaine, disent la plupart des économistes, va plutôt bien en termes de croissance, de chômage, de transition vers l’énergie propre, et l’inflation, qui a monté beaucoup surtout à cause de la pandémie COVID 19, baisse de façon significative...

Non, dit Trump, l’administration Biden fut la pire de l’histoire des Etats-Unis et l’économie, qui sous Biden a connu un taux d’inflation record, est en train de crouler !

La réalité importe peu.

Que le taux d’inflation, au début des années 1980, dépasse carrément ce qu’il était sous Biden, atteignant 14% (et le taux d’intérêt 18%), tout cela n’a pas d’importance.

Ce que dit Trump devient un récit auquel adhère immédiatement une partie substantielle de la population américaine.

Lorsque la foi est énorme, les faits importent peu.

L’Église catholique ne maitrise peut-être pas aussi bien que Trump l’art de gérer un récit. Ni celui de nier systématiquement toute culpabilité en alléguant être simplement victime d’une campagne de dénigrement. Cependant, comme le démontre le cas du cardinal Pell en Australie, sa compétence dans ce domaine est tout de même assez remarquable.

L’affaire cardinal Pell

MI-MARS 2019, LE CARDINAL GEORGE PELL, le plus grand leader de l’Église catholique australienne et alors bras droit du pape François au Vatican, est reconnu, dans un verdict unanime d’un jury de douze membres, coupable d’abus sexuel de deux mineurs dans la cathédrale de Melbourne dans les années 1990. Sa sentence : six ans de prison.

Le cardinal maintient qu’il est innocent et dépose une plainte auprès de la Cour d’appel de l’État de Victoria.

En aout 2019, cette cour, dont les membres ont visionné la vidéo du témoignage choc de la victime menant au verdict du jury, rend sa décision : le verdict est maintenu tel quel.

Grand batailleur, le cardinal revient à l’attaque et adresse un nouveau recours, cette fois à la Cour suprême d’Australie. L’avocat qu’il choisit pour sa défense, Robert Richter, est un des plus illustres du pays. Le cardinal ne l’a pas retenu à cause de ses croyances religieuses – il est athée – mais en raison de sa compétence. Il est renommé pour avoir réussi à défendre avec succès même certaines figures les plus notoires de la pègre de Victoria.

La cour accepte d’entendre son appel.

Les victimes sont bouleversées et se sentent dépitées. Elles soupçonnent que les profonds liens d’amitié que le cardinal Pell entretient depuis fort longtemps avec les gens les plus puissants d’Australie, en particulier l’élite politique et financière, ont contribué à ce revers qu’elles vivent.

Début avril 2020, la Cour suprême rend sa décision : elle blanchit le cardinal.

Contrairement au jury et la Cour d’appel de Victoria, elle n’a pas visionné la vidéo du témoignage choc de la victime. Elle estime néanmoins que la Cour d’appel de Victoria et le jury n’ont pas suffisamment tenu compte de toutes les preuves présentées par l’avocat Richter, certaines de celles-ci ne permettant pas, à son avis, d’affirmer hors de tout doute la culpabilité du cardinal.

Après avoir passé 404 jours en prison, le cardinal Pell est donc libéré.

La nouvelle fait rapidement la manchette à travers le monde.

À peine quelques heures après cet acquittement, le pape François laisse clairement entendre, sans mentionner explicitement le cardinal Pell, que ce dernier a été, comme Jésus, injustement jugé et condamné. Lors d’une messe qu’il est en train de célébrer dans sa résidence Santa Maria à Rome, le pape affirme :

En ces jours de Carême, nous avons vu la persécution que Jésus a enduré et comment les docteurs de la loi se sont acharnés contre lui, le jugeant avec sévérité alors qu’il était innocent. Je voudrais prier aujourd’hui pour toutes les personnes qui, parce que quelqu’un leur en veut, subissent une peine injuste.

Et, dans les minutes qui suivent, le bureau de presse du Vatican exprime la satisfaction de l’Église de voir la cour rétablir la ‘vérité’ de ‘l’innocence’ du cardinal :

Le Saint-Siège, qui a toujours exprimé sa confiance dans l’autorité judiciaire australienne, se félicite de la décision unanime de la Haute Cour concernant le cardinal George Pell, l’acquittant des accusations d’abus sur mineurs et annulant sa peine. En confiant son affaire à la justice de la Cour, le cardinal Pell a toujours clamé son innocence et a attendu que la vérité soit établie.

Après avoir posé ces deux gestes de solidarité envers son ex-bras droit au Vatican, le pape François en pose un troisième quelques mois plus tard.

Le 12 octobre 2020, il accorde une audience privée au cardinal Pell, et, signe évident qu’il veut que celle-ci soit largement diffusée à travers le monde et devienne virale dans les réseaux sociaux, il autorise la production d’un bref clip vidéo où on l’entend dire chaleureusement au cardinal, Je suis content de te voir... ça fait plus qu’un an, une allusion au temps que Pell a passé en prison.

De retour à Rome, le cardinal, de toute évidence pour illustrer son innocence, accorde beaucoup d’interviews, dans lesquelles il laisse entendre qu’il y aurait peut-être une ‘connexion possible’ entre le cauchemar judiciaire qu’il à vécu en Australie et sa mission dans les finances du Vatican.

À la mi-décembre 2020, le cardinal Pell publie Prison Journal, un livre rassemblant des extraits du journal intime qu’il avait tenu lors de son long séjour en prison. Lors du lancement de ce livre, il louange Donald Trump, un politicien dont les opinions conservatrices ressemblent beaucoup aux siennes, et qui vient de nommer à la Cour suprême des Etats-Unis trois juges très conservateurs, dont deux catholiques.

Sa contribution est positive. Certes, Trump est un peu barbare, mais à certains égards importants, il est « notre » barbare (chrétien), affirme le cardinal.

Lorsque trois archevêques américains lisent Prison Journal, ils couvrent immédiatement d’éloges le cardinal Pell, un le comparant à Saint Ignace de Loyola, Martin Luther King, et même à Jésus !

Le 10 janvier 2023, le cardinal Pell subit soudainement un arrêt cardiaque qui lui sera fatal.

Grand reporter à Paris Match, François de Labarre publie, quelques mois plus tard, Vatican Offshore – l’argent noir de l’Église. De Labarre raconte qu’en 2014, le pape François, dans sa recherche d’un administrateur chevronné et rigoureux qui pourrait faire le ménage dans un Vatican plongé dans une montagne de corruption financière, a retenu les services du cardinal Pell. Adhérant à l’hypothèse que faisait circuler à Rome le cardinal Pell à la suite de sa libération de prison, il affirme que les accusations de pédophilie portées contre le cardinal en Australie ne seraient qu’un coup monté par ses adversaires au Vatican qui craignaient la perte de leur assiette au beurre. Pour salir et discréditer le cardinal Pell, cette mafia en soutane, soutient De Labarre, a carrément inventé toute cette histoire d’abus sexuel, se joignant à des médias australiens assoiffés de scandales et à la police corrompue et anti-Église catholique de Victoria pour faire subir au pauvre cardinal des années de persécution !

Dans sa recension de Vatican Offshore [dans la revue Présence en juin 2023, Louis Cornellier qualifie le livre de Grand reportage, aussi solide que consternant ! . Il n’en fait pas la moindre critique.

L’Église célèbre les funérailles du cardinal Pell de façon grandiose

L’ÉGLISE CATHOLIQUE AUSTRALIENNE SAIT FORT BIEN que si le cardinal Pell a réussi à sortir de prison parce que la Cour suprême a conclu que le jury ainsi que la Cour d’appel de Victoria n’avaient pas suffisamment tenu compte de certaines preuves qui, à son avis, ne permettaient pas de conclure, hors de tout doute, la culpabilité, cela ne voulait nullement dire que le cardinal était forcément innocent ! Car on ne peut pas confondre le fait de ne pas être reconnu coupable hors de tout doute et le fait d’être, en réalité, innocent.

Cette nuance a d’autant plus d’importance que le cardinal Pell, au moment de son décès, se trouvait toujours dans une situation on ne peut plus embarrassante, les charges rejetées par la Cour suprême n’étant pas les seules portées contre lui. Il y en avait encore 27, et celles-ci provenaient de 14 présumées victimes.

Quelques exemples.

• Un homme allègue que Pell, alors séminariste, a abusé sexuellement de lui, alors enfant de chœur de 12 ans, dans un camp de jeunes de l’île Phillip en 1961 ;
• Un autre dit que, lorsqu’il était enfant, Pell l’emmenait hors du foyer pour enfants où il était pupille de l’État et le violait ;
• Un autre allègue que lorsqu’il vivait au Saint-Joseph’s Home for Children à Ballarat, Pell, qui venait chez eux en été pour utiliser la piscine et jouer avec les enfants, a à plusieurs reprises mis ses mains dans son costume de bain et inséré son doigt dans son anus, lui causant une douleur considérable ;
• Deux anciens élèves de St Alipius allèguent que Pell avait saisi à plusieurs reprises leurs parties génitales, et parfois tellement fort que cela était douloureux, alors qu’il nageait avec eux dans la piscine Eureka à Ballarat en 1978-79.

De plus, de nombreuses victimes en Australie accusaient le cardinal Pell, et ce depuis plusieurs années, d’avoir protégé les prêtres, qui se trouvaient alors sous son autorité, et qui les avaient abusés sexuellement alors qu’ils étaient mineurs, tout en cherchant systématiquement à les discréditer. La Commission royale sur les réponses institutionnelles aux abus sexuels sur enfants avait écouté ce qu’alléguaient ces victimes, écouté la défense présentée par le cardinal, mené une enquête rigoureuse et tiré ses conclusions.

Cependant, comme le cardinal Pell, au moment où cette commission publiait son rapport final en 2017, était en train de subir un procès durant lequel la cour entendait le témoignage choc d’une victime qui alléguait avoir été, avec son copain adolescent, abusé sexuellement par le cardinal, la commission avait temporairement supprimé de son rapport les conclusions susmentionnées. Ceci, dans le soucis de ne pas influencer indument l’esprit des jurés appelés à statuer sur la culpabilité ou l’innocence du cardinal.

La Cour suprême d’Australie ayant libéré le cardinal Pell de prison en 2020, la commission procédait alors à rendre publiques ses conclusions dans cette affaire. Et celles-ci étaient, pour le cardinal, on ne peut plus dévastatrices. Plus que tout autre membre ecclésial important qui avait témoigné devant la commission, le cardinal se voyait écorché et carrément discrédité.

Dans ces pages jusqu’ici secrètes, affirme David Marr, le verdict rendu par la commission est on ne peut plus clair : afin de protéger les enfants de la communauté catholique qu’il servait en tant que prêtre à Ballarat, et ensuite comme évêque à Melbourne, Pell aurait pu agir, mais il ne l’a tout simplement pas fait.

Les excuses que Pell a données à la commission pour avoir fait si peu pour la protection des enfants sont disséquées et rejetées une à une. Les commissaires rejettent comme invraisemblables, inconcevables, insoutenables et inacceptables les principales affirmations contenues dans les preuves présentées par le cardinal.

Non seulement l’Église catholique sait, au moment du décès du cardinal Pell, tout ce qui précède, mais elle est aussi consciente d’une autre affaire embarrassante.

Exactement cinq semaines avant le décès du cardinal, un dénommé David reçoit une lettre du National Redress Scheme, le programme national public de réparation créé le 1er juillet 2018 en réponse à la Commission royale sur les réponses institutionnelles aux abus sexuels sur enfants. Nous avons terminé notre enquête au sujet de ton allégation d’avoir été abusé sexuellement par le cardinal Pell alors que tu étais âgé de huit ans, dit la lettre. Nous avons informé l’Église que nous reconnaissons, après enquête, le bien fondé de ton allégation et que nous allons t’octroyer une compensation de $95 000.

Malgré cette montagne de faits qui devraient normalement conduire une institution, qui affirme toujours prioriser les plus démunis et exploités de la terre, à faire preuve d’une certaine modestie, l’Église catholique organise pour le cardinal Pell le 2 février 2023, un peu à la Donald Trump, des funérailles de grande solennité et pompe.

Le récit qu’elle tente d’imposer dans l’opinion publique, avec un certain succès d’ailleurs, est que le décédé est innocent, que ses accusateurs sont des menteurs, et qu’il fut un soldat de la vérité, et possiblement un futur saint.

Au moins 275 prêtres – dont l’évêque Paul Bird du diocèse de Ballarat qui avait été informé de la compensation de $95 000 versée à David, et 75 séminaristes sont présents dans la cathédrale St. Mary de Sydney ce jour-là. Sont aussi présents plusieurs des plus prestigieux politiciens du pays, des représentants des médias, et même un juge.

L’archevêque Anthony Fisher affirme, lors de la messe funéraire, que le cardinal Pell portait un amour extraordinaire envers les séminaristes. Il a passé 404 jours en prison pour des crimes qu’il n’a jamais commis, dit-il. Le comparant à ‘Richard the Lionheart’, le grand roi guerrier d’Angleterre au 12ième siècle, l’archevêque affirme que le lion dont le rugissement s’est tari de manière inattendue il y a 23 jours, a été victime d’une campagne médiatique, policière et politique visant à le punir... (...) Son influence fut énorme et celle-ci va se prolonger dans le futur.

L’ex-premier ministre australien, Tony Abbott, un catholique qui, dans sa jeunesse, a passé quelques années au séminaire en vue de la prêtrise, affirme que le cardinal est le plus grand catholique que l’Australie ait jamais produit et l’un de ses plus grands fils.

Le frère du cardinal, David Pell, affirme que les accusations portées contre son frère sont carrément fausses. Mon frère, dit-il, a été la victime d’une longue campagne de dénigrement.

Pour imposer le récit glorifiant le cardinal Pell tout en discréditent ses victimes, l’Église n’hésite pas à recourir à d’autres moyens. Dès qu’un de ses membres ose remettre en question cette interprétation de la réalité, l’Église cherche à le réduire au silence en le punissant.

En septembre 2022, le prêtre dominicain australien, Peter Murnane, publie Clerical Errors : How Clericalism Betrays the Gospel and How to Heal the Church, un livre dans lequel il dénonce carrément l’hypocrisie crasse dont fait preuve l’Église dans l’affaire Pell. L’Église dans laquelle j’œuvre comme pasteur depuis des décennies, et que j’aime profondément, est en train de trahir les valeurs évangéliques les plus fondamentales, dit-il !

Afin de mener la recherche pour son livre, et aussi pour prendre congé un certain temps de confrères dominicains qu’ils trouvaient carrément cléricalistes, Murnane avait demandé d’aller vivre seul en appartement un certain temps, et son supérieur avait acquiescé à sa demande.

Cependant, dès qu’apparaît son livre, il reçoit de son provincial dominicain, un ami de l’archevêque Fisher qui est lui-même un grand ami du cardinal Pell, le ‘précepte formel’ suivant, qui, dans l’arsenal dominicain relatif à l’obéissance, est l’équivalent d’un lance-roquettes :

Tu as un mois pour revenir dans notre communauté et retirer de circulation le livre que tu viens de publier. Si tu ne le fais pas, tu pourrais en subir de graves conséquences, n’excluant pas le renvoi de notre ordre.

Peter Murnane, avec lequel je corresponds régulièrement, n’a pas retiré de circulation son livre. Il vit toujours en appartement, et a lui-même décidé de se distancer de sa communauté religieuse, tout en maintenant de profonds liens d’amitié avec plusieurs Dominicains.

Comme moi, Murnane trouve farfelue la thèse avancée dans le livre Vatican Offshore selon laquelle les accusations contre le cardinal Pell ne représenteraient qu’un simple coup monté contre lui par la mafia corrompue au Vatican. Dans L’affaire cardinal Pell : simple "coup monté par ses adversaires" ?(2023) je démolis d’ailleurs, de façon assez percutante, je crois, cette thèse simpliste. Au lieu de représenter, comme l’allègue Louis Cornellier dans Présence, un Grand reportage, aussi solide que consternant, j’affirme que ce livre reflète un journalisme d’enquête superficiel, sensationnel, voire carrément biaisé.

L’immense douleur de voir ton agresseur présenté comme un quasi saint tout en étant toi-même vilipendé

VOIR À LA TÉLÉVISION L’ÉGLISE CÉLÉBRER DE FAÇON AUSSI GRANDIOSE les funérailles de celui qui les a agressés sexuellement alors qu’ils n’étaient qu’enfant ou adolescent, représente, pour les victimes du cardinal, une douleur immense.

Une douleur qui est d’autant plus profonde et dévastatrice que, durant ces funérailles, on parle d’eux comme s’ils n’étaient que des menteurs, des personnes confuses ou délirantes, ou comme s’ils faisaient partie d’une vaste conspiration contre le cardinal.

Et une douleur qui s’ajoute à toutes les autres souffrances et traumatismes découlant des abus subis dans le passé.

Les faits d’abus « ne datent pas de 30 ans », affirme mon ami théologien Jean-Guy Nadeau, « car ils se sont produits encore hier dans l’âme des victimes et se produiront probablement encore demain, voire toute la vie. » Il ne s’agit pas seulement, poursuit-il, d’un acte « ou une série d’actes du passé, mais des conséquences quotidiennes toujours présentes de ces actes sur le plan de la santé physique, psychologique, sur le plan des relations humaines, de la relation à soi ou de la relation à Dieu : la honte, l’impression de saleté, les angoisses, les cauchemars, les réveils nocturnes ou les insomnies, les maux de ventre ou autres, (...) les relations amoureuses et parentales difficiles ou même impossibles ».(1)

La reporter Louise Milligan, autrice de Cardinal : The Rise and Fall of George Pell (2017), connaît la souffrance, si bien décrite par Jean-Guy Nadeau, qu’ont enduré et qu’endurent encore aujourd’hui les victimes du cardinal.

Depuis qu’elle a initié son enquête il y a neuf ans, Milligan a rencontré douze des quatorze victimes du cardinal. Elle croit leurs témoignages et s’en trouve profondément touchée et bouleversée.

Je ne peux pas parler au nom des multiples accusateurs de Pell, dont la plupart ne se sont jamais rencontrés et qui se trouvaient à des endroits différents à des moments différents, affirme Milligan. Je ne peux pas parler au nom de la police de l’État de Victoria, du ministère public, de la cour d’appel de l’État de Victoria, des décideurs du ‘National Redress Scheme’ ou des éminents Australiens qui ont présidé pendant cinq ans la Commission royale d’enquête sur les abus sexuels commis sur des enfants, qui ont lu d’innombrables documents relatifs à la connaissance qu’avait Pell des agresseurs et qui ont conclu qu’il était au courant et qu’il n’avait rien fait pour les arrêter.

Mais je peux parler en mon nom, en tant que journaliste qui a rencontré un grand nombre de ces hommes qui ont déclaré que Pell avait volé leur innocence. (...) Ce que j’ai découvert, c’est qu’il y avait des allégations convaincantes, tragiques et bien documentées à son encontre. Et il y en a de plus en plus. (...) Je ne peux tout simplement pas me détourner et faire comme si ces hommes n’existaient pas. D’autant plus que l’Église sait maintenant qu’un organisme indépendant a évalué certaines de leurs plaintes, les a validées et leur a accordé une indemnisation.

Milligan connaît trois hommes qui ont porté des accusations contre le cardinal Pell et qui ont reçu des paiements de réparation, et au moins deux qui ont reçu des règlements civils. Et il y au moins quatre affaires civiles présentement en cours, dit-elle.

Ce qui révolte le plus les victimes, poursuit Milligan, est la tendance systématique de l’Église de toujours éviter de reconnaître sa propre responsabilité. Une révolte, dit-elle, qui a récemment amené des victimes du cardinal, qu’elle n’avait jamais rencontré auparavant, à prendre contact avec elle et à lui décrire les abus qu’ils ont subis.

Une autre victime se manifeste et contacte Louise Milligan

CE N’EST QU’EN DÉCEMBRE 2024 QUE LOUISE MILLIGAN trouve enfin le courage de faire ce qu’elle avait toujours évité de faire jusqu’alors, sachant que cela serait trop éprouvant pour elle sur le plan émotionnel : s’asseoir, et visionner au complet l’enregistrement télévisé des funérailles du cardinal Pell tenues le 2 février 2023.

Alors qu’elle est en train de visionner la vidéo, plus précisément au moment même où elle arrive au discours de l’ex-premier ministre Tony Abbott dans lequel il déclare que le cardinal Pell est le plus grand catholique que l’Australie ait jamais produit et l’un de ses plus grands fils, une déclaration qui suscite de longs et bruyants applaudissements dans la cathédrale St. Mary’s, son téléphone se met soudainement à sonner.

À l’autre bout du fil se trouve Andrew, une victime de Pell.

C’est la toute première fois qu’Andrew se manifeste et contacte Milligan.

Alors qu’Andrew raconte son histoire, il s’arrête souvent, éclatant en sanglots, et s’excusant chaque fois. Milligan démontre de l’empathie, et l’encourage à poursuivre.

C’est alors que je vivais une thérapie que j’en suis venu à comprendre qu’il fallait que je dise la vérité. Une compensation financière ne m’intéresse absolument pas. Celle-ci serait, à mon avis, de ‘l’argent sale’. M’ouvrir, dire ma souffrance devrait me permettre de faire mon deuil, de me réconcilier avec moi-même.

Andrew explique à Milligan que l’abus le plus violent et horrifique qu’il a subi provenait du prêtre avec lequel le cardinal Pell vivait dans un presbytère, Gerald Ridsdale.

Milligan sait que Ridsdale est considéré comme un des pédophiles les plus prolifiques d’Australie. Elle écoute avec compassion Andrew.

Ridsdale me forçait souvent à pratiquer le sexe oral et tentait le sexe anal, se fâchant contre moi parce qu’il ne parvenait pas à me pénétrer. Il me donnait fréquemment des coups de poing dans l’estomac et me frappait à la tête, raconte Andrew.

Pell venait parfois me rendre visite avec Ridsdale. Il me décrivait à Ridsdale comme étant « mon garçon ». Lorsqu’il faisait cela, tous les deux échangeaient de regards. Des regards qui traduisaient une sorte de plaisanterie privée. Leur petit secret, pour ainsi dire...

En 2002, Pell, alors archevêque de Sydney, avait allégué que l’avortement était un pire scandale moral que l’abus sexuel de mineurs par le clergé. Et lorsque l’avocate de la Commission royale sur les réponses institutionnelles aux abus sexuels sur enfants, Gail Furness, demandait au cardinal, qui témoignait en février 2016 par vidéoconférence depuis Rome, comment c’était possible qu’il puisse totalement ignorer le fait que le prêtre avec lequel il vivait dans le presbytère à Inglewood, Ridsdale, abusait sexuellement beaucoup de mineurs, un fait qui était pourtant de notoriété publique dans cette ville, Pell, alors bras droit du pape François, répondait :

Je... Je ne peux pas dire avoir déjà su que tout le monde était au courant. Je savais qu’un certain nombre de personnes le savaient. (...) C’est une histoire triste, et qui m’intéressait peu. (It is a sad story, and it was not of much interest to me). (2)

Le ‘Redress Scheme’, explique Milligan, a conclu en août 2024 qu’un jeune garçon, James, avait effectivement été violé par voie anale par Pell dans un gymnase. James a reçu une lettre l’informant qu’il recevrait donc une indemnisation de $95 000.

Milligan a rencontré ce garçon, aujourd’hui adulte, et sa mère âgée, Carmel, il y a quelques semaines à Ballarat.

Voilà la plainte, affirme Milligan, que James a déposée auprès du ‘Redress Scheme’ :

Le gymnase était vide, et à l’intérieur du gymnase, il y avait un petit trampoline, et Pell m’a mis dessus. Je me souviens qu’il m’a dit ’Baisse ton pantalon’. J’ai cru qu’il allait me fouetter avec sa ceinture. Il ne l’a pas fait. Il m’a mis quelque chose dans le cul - je suppose que c’était son pénis. C’était très douloureux. Je saignais des fesses par la suite. Il m’a ensuite laissé dans le gymnase.

Une fois qu’il avait déposé sa plainte et que l’Église en avait été notifié, James raconte à Milligan qu’il a rencontré par hasard l’évêque Paul Bird, du diocèse de Ballarat, dans une bibliothèque.

L’évêque Bird lui a demandé : Comment t’appelles-tu ?

Lorsque je lui ai donné mon nom complet, dit James, il m’a tout simplement tourné le dos.

Il m’a snobé. Il m’a complètement snobé.

Le diocèse de Ballarat n’a pas accepté de reconnaître l’abus que James avait subi, souligne Milligan. Il a aussi refusé de reconnaître les abus subis par les autres plaignants qui, selon la lettre du ‘Redress Scheme’ adressée à James, se sont manifestés et ont contribué à la décision de reconnaître le bien-fondé de la plainte de James.

(1) Jean-Guy Nadeau, Une profonde blessure : les abus sexuels dans l’Église catholique, Médiapaul, 2020, p. 158.
(2) Cette citation provient de Chrissie Foster et Paul Kennedy, Still Standing, Penguin Random House Australia, p. 183.


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