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Emmanuel Macron aura donc passé 18 heures en Nouvelle-Calédonie pour finir par annoncer qu’il pourrait éventuellement défaire ce qu’il a fait et que beaucoup lui conseillaient de ne pas faire. Le tout sans jamais reconnaître sa part de responsabilité dans la crise politique que traverse l’archipel depuis bientôt deux semaines. Elle est pourtant immense, comme s’accordent à le dire la plupart des personnes qui ont eu à traiter ce dossier au cours des trois dernières décennies. Et qui en ont mesuré la complexité, tout autant que la fragilité.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, juste avant de redécoller pour la métropole, le président de la République a donné une conférence de presse dans laquelle il a dressé ses « objectifs » à court terme : le retour au calme et la reprise du dialogue entre les loyalistes et les indépendantistes. « Nous allons reprendre pas à pas chaque quartier, chaque rond-point, chaque barrage », a-t-il indiqué, évoquant les 3 000 forces de sécurité intérieure et les 130 membres du GIGN et du Raid déployés dans l’archipel pour faire face à « des émeutiers [aux] techniques quasi insurrectionnelles ».
Il s’agit là de sa « priorité », a-t-il ensuite insisté dans un entretien accordé à plusieurs médias locaux. « C’est pas le Far West, la République doit reprendre l’autorité sur tous les points. [...] En France, c’est pas chacun qui se défend, il y a un ordre républicain, ce sont les forces de sécurité qui l’assurent », a martelé le chef de l’État, en désignant explicitement les militants des quartiers populaires de Nouméa, mais sans jamais évoquer clairement les milices qui se sont constituées du côté des loyalistes. Et dont le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, avait soutenu l’existence.
Face à la presse, et après avoir abordé la question de la reconstruction, Emmanuel Macron s’est attardé sur celle du « chemin politique », reconnaissant que ce sujet était « derrière une grande partie des violences ». « Nous ne partons pas d’une page blanche », a-t-il affirmé, en se référant au préambule de l’accord de Nouméa signé en 1998. « La reconnaissance du peuple kanak, cette histoire commune, les ombres et les lumières... », a égrené le président de la République, sans jamais employer le mot « colonisation », pourtant au cœur de ce texte fondateur et des révoltes actuelles.
Le chef de l’État est resté volontairement flou sur la suite des évènements, se contentant d’expliquer qu’il ferait « un point d’étape d’ici un mois au maximum ». Mais en omettant sciemment de nommer les choses et de poser ainsi les véritables bases du problème, il a finalement donné un aperçu assez clair de ses intentions. Et exprimé entre les lignes sa volonté de poursuivre la méthode initiée fin 2021, au moment où il avait imposé le troisième référendum dans l’espoir de conclure le processus de décolonisation en l’absence du peuple colonisé.
Une méthode grossière
Interrogé sur ses échanges avec la délégation d’indépendantistes, Emmanuel Macron a d’ailleurs indiqué qu’il « ne reviendrai[t] pas sur le troisième référendum ». « C’est un point de désaccord, mais il est assumé », a-t-il dit, balayant une nouvelle fois les raisons pour lesquelles le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) avait à l’époque appelé à la non-participation. Les Kanak, premières victimes de la pandémie, étaient alors dans le temps des coutumes du deuil, qui sont intrinsèquement liées à leur identité, elle-même au cœur du contrat social calédonien.
Non content de nier le fondement même de l’accord de Nouméa, le président de la République s’est aussi employé à parler à la place des indépendantistes, avant même que ces derniers ne se soient exprimés. « Je crois qu’ils sont conscients de leurs responsabilités », a-t-il affirmé, à la façon d’un maître d’école faisant état de ses remontrances auprès de garnements. Une façon de procéder pour le moins grossière lorsqu’on connaît l’importance de la parole pour le peuple kanak. « Maintenant, je veux leur faire confiance », a ajouté le chef de l’État sur le ton de la magnanimité, comme s’il n’avait pas lui-même rompu ce contrat.
Un contrat qui reposait depuis près de quarante ans sur une exigence : l’impartialité de l’État. Plus qu’une exigence même, un principe cardinal qu’Emmanuel Macron n’a cessé de bafouer depuis 2018 et sa première visite officielle dans l’archipel. D’abord en répétant que « la France serait moins grande et moins belle sans la Nouvelle-Calédonie ». Puis en prenant fait et cause pour le camp loyaliste, jusqu’à nommer l’une de ses figures de proue au gouvernement – Sonia Backès, présidente de l’assemblée de la province Sud depuis 2019, devenue secrétaire d’État chargée de la citoyenneté entre 2022 et 2023. Enfin en tentant de mettre la pression sur les indépendantistes en imposant le dégel du corps électoral.
Emmanuel Macron considère avoir fait « le maximum d’efforts possibles » pour un retour au calme.
Les signaux d’alarme clignotaient pourtant dans tous les sens. Il y a quelques jours encore, même Édouard Philippe, dernier premier ministre à s’être occupé de ce dossier à Matignon, a publiquement affirmé que « nous [étions] sortis du cadre politique » dans lequel vivait la Nouvelle-Calédonie depuis les accords de Matignon en 1988. Ce cadre reposait « sur une forme d’impartialité de l’État, sur l’idée que toutes les évolutions devr[aient] être le produit d’un compromis, c’[était] ça la promesse », a précisé le maire du Havre (Seine-Maritime).
Ces différents coups de boutoir ont fini par faire exploser l’archipel. À présent qu’il a tout bien cassé, le chef de l’État exige des indépendantistes qu’ils réparent, selon une variante de la formule désormais consacrée de Gabriel Attal. Lui « considère avoir fait le maximum d’efforts possibles pour un retour au calme ». C’est du moins ce qu’il a expliqué lors de sa conférence de presse, lorsqu’une journaliste l’a interrogé sur la présence d’un représentant de la cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) dans la délégation des indépendantistes qu’il a rencontrée.
Une présence d’autant plus remarquée que le militant en question, Christian Tein, fait partie des nombreux membres de la CCAT actuellement assignés à résidence. « Les responsables politiques indépendantistes m’ont demandé de l’associer, a justifié Emmanuel Macron face aux médias locaux. J’ai accédé à cette demande par souci d’efficacité. C’est un geste de ma part de confiance et même de responsabilité. J’espère qu’ils seront à la hauteur de cette confiance et qu’ils tiendront leur parole [...]. S’ils ne sont pas au rendez-vous aux résultats, j’aurai eu tort. »
Une mission et toujours autant de questions
Également questionné sur la façon dont son gouvernement, et en particulier son ministre de l’intérieur et des outre-mer, avait tenté de rendre cette organisation politique infréquentable, le président de la République a balayé le sujet. « Les ministres font attention à ce qu’ils disent », a-t-il affirmé, oubliant un peu vite que Gérald Darmanin, posté juste derrière, avait parlé de « groupe mafieux » et qualifié Christian Tein de « voyou », tandis que l’ex-secrétaire d’État Sonia Backès employait le mot « terroristes ».
En signe d’« apaisement » – les guillemets sont de rigueur –, Emmanuel Macron s’est « engagé » à ce que la révision constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral « ne passe pas en force dans le contexte actuel » et que « nous nous donnions quelques semaines afin de permettre la reprise du dialogue en vue d’un accord global ». Une solution qui a sa « préférence » depuis toujours, a-t-il assuré, comme s’il n’était en rien responsable de la façon dont l’exécutif a conduit toute cette affaire, au mépris de la prudence et des alertes.
Comme toujours en pareilles circonstances, le président de la République s’est exprimé de telle façon que chacun·e puisse interpréter les sous-textes à sa manière. Ce qui n’a pas manqué, notamment dans le camp loyaliste, où le député Renaissance Nicolas Metzdorf, rapporteur du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale, s’est réjoui du maintien du « calendrier initial », tandis que l’élu Calédonie ensemble (parti non indépendantiste), Philippe Gomès, a jugé que le chef de l’État avait dit « diplomatiquement que cette réforme “unilatérale et partielle” [était] abandonnée ».
Pour réengager le travail, le chef de l’État a choisi une mission de discussion administrative et confié à trois hauts fonctionnaires, spécialistes de la Nouvelle-Calédonie ou des sujets constitutionnels, le soin de poursuivre les échanges avec les forces politiques. Cet accord global, a-t-il précisé en conférence de presse, devra comporter la question du dégel du corps électoral, mais aussi l’organisation du pouvoir, la citoyenneté, le « nouveau contrat social » censé régler les inégalités qui se sont accrues dans l’archipel, et son avenir économique.
Il concernera également « la question du vote d’autodétermination », a conclu le président de la République, sans trop s’attarder sur ce point. Il est pourtant crucial, car il dément toutes celles et ceux qui, au sein du gouvernement et de la majorité, font mine de penser que le processus de décolonisation s’est achevé avec le troisième référendum et que la Nouvelle-Calédonie restera éternellement française. C’est renier, là encore, l’engagement que la France avait pris en signant l’accord de Nouméa : conduire l’archipel « sur la voie de la pleine souveraineté ».
Ellen Salvi
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