Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Congrès 2019 de Québec solidaire

Tassement à droite sous un masque de radicalité indépendantiste

Le congrès Solidaire de novembre 2019 recelait un certain nombre de décisions non banales à prendre telles le recours à l’écofiscalité comme moyen central de financement du Plan de transition du parti, la stratégie indépendantiste sous couvert de quelle politique transitoire jusqu’au référendum constitutionnel d’un Québec indépendant qui doit avoir lieu à l’intérieur du premier mandat, le pays sans ou avec armée sans compter les modifications statutaires concernant l’aile parlementaire, sujet devenu viral avec l’affaire de l’investiture pour l’élection partielle de la circonscription de Jean-Talon à Québec, et la question de la Commission nationale autochtone surgissant comme un cheveu sur la soupe.

Virage de 180 degrés pour dire oui à la Commission nationale autochtone

La création de la Commission nationale autochtone (CNA) avec droit de représentation au Comité de coordination nationale est certainement la grande réussite de la lutte des membres à la base de ce congrès. Il fallait voir le vendredi soir l’inadmissible intervention intempestive de la porte-parole tassant la Solidaire inuit Alicia, ex candidate du parti dans la circonscription d’Ungava comprenant le Nunavik inuit annexé à la province fédérale de Québec en 1912, pour affirmer qu’elle s’opposait à la création du CNA à ce congrès-ci parce que ce point n’avait pas été mis à son ordre du jour par le Conseil national. En réalité, la direction du parti, et particulièrement la porte-parole qui a personnellement pris en charge la question autochtone et inuit, n’est pas pressé de composer avec une voix représentative des peuples autochtones et inuit au sein du parti.

Il a fallu la détermination du groupe pilote du projet qui a mobilisé la base Solidaire — cinq associations de circonscriptions soutenaient cette création dans le Cahier de résolutions sans compter le grand nombre d’autres qui les ont appuyées par la suite — et qui a alerté certains grands médias (Radio-Canada, Métro) qui ont rendu public cette affaire interne — pourquoi ce droit d’utiliser les médias serait-il réservé à la porte-parole qui ne s’est pas gênée pour susciter un candidat issu d’un parti de droite pour une élection partielle — pour obliger la direction nationale à faire volte-face lors de la dernière journée du congrès. « Enfin on nous écoute » de conclure la militante inuit appuyé par un camarade abénaki.

Québec solidaire veut le marché carbone rejeté par la FTQ, et la taxe carbone voulue par les pétrolières

Cette voix autochtone favorable à la préservation de la terre-mère pourrait être nécessaire afin d’arrêter le penchant droitier de la lutte climatique du parti. Le congrès a supprimé du programme le rejet de la bourse et de la taxe carbone pour plutôt promouvoir « un système d’écofiscalité efficace, juste et équitable » qui les inclut au point de rejeter spécifiquement un amendement de deux circonscriptions réclamant de maintenir le rejet de la bourse carbone. Or cette bourse est la mesure clef d’écofiscalité réellement existante appliquée par le gouvernement du Québec (http://www.finances.gouv.qc.ca/documents/Autres/fr/AUTFR_RecoursEcofiscalite.pdf). Même la principale fédération syndicale du Québec s’oppose en principe à la bourse carbone... pour mieux accepter critiquement son cousin germain, la taxe carbone :

Au fil des ans, la FTQ est devenue de plus en plus critique par rapport au marché du carbone [...]. Après maintes considérations, nous constatons que le marché du carbone comporte beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages. En tant qu’outil néolibéral, il ne correspond pas à la vision de la FTQ qui privilégie des solutions collectives pour effectuer la transition vers une société et une économie sobres en carbone. Cela ne veut pas dire que nous nous opposons à tout mécanisme de tarification du carbone comme les taxes sur le carbone. (https://ftq.qc.ca/wp-content/uploads/2017/06/Ecofiscalite-Document-appui.pdf)

L’écofiscalité est une régressive taxe indirecte, une espèce de taxe de vente enrobée d’écologisme pour fin d’acceptabilité sociale. Pour Québec solidaire, elle doit avant tout servir à financer son Plan de transition. En partant, l’utilisation de l’écofiscalité pour des fins de financement est un détournement de sa logique interne qui prétend régler le problème par seulement une hausse des prix des produits et services selon la quantité de carbone (ou d’hydrocarbures) qu’ils contiennent sans tenir compte que le système des prix du dit libre marché est contrôlé par une poignée de transnationales financiarisées. Comme le GIEC a démontré scientifiquement l’urgence climatique, cette hausse des prix doit être drastique, de l’ordre de 210$ la tonne de carbone d’ici 2030 — il est de 18$ en ce moment au Québec — d’affirmer la très néolibérale « Commission de l’écofiscalité du Canada, mandatée pour trouver les politiques climatiques les plus efficaces par rapport aux coûts afin de réduire les émissions de GES » (https://journalmetro.com/actualites/national/2401591/la-taxe-carbone-devra-augmenter-a-210-dici-2030-selon-une-commission/).

Pour rendre digeste cette taxe régressive, pour elle la panacée de la lutte climatique, le capital financier propose de complètement la redistribuer ce que font à 95% les Libéraux fédéraux avec leur taxe carbone. Les Libéraux québécois ont préféré s’agglutiner à la bourse carbone de la Californie pour, de un, oblitérer le caractère fiscal de la mesure, de deux, cacher son niveau très bas sous couvert du marché des droits de polluer alors que c’est l’État qui fixe chaque année la quantité de ces droits artificiels, de trois, s’accaparer le produit de la vente de ces droits pour le redistribuer à l’entreprise privée par l’intermédiaire d’un Fonds vert. Comme cette dernière manoeuvre laissait trop paraître la queue du singe sous son habit vert, la CAQ a tout simplement supprimer le Fonds au bénéfice de l’arbitraire du ministre de l’environnement.

Cerise sur le gâteau, les populistes réactionnaires canadiens, dont la voix est le Parti conservateur, dénoncent cette taxe carbone à cor et à cri ce qui lui donne une façade progressiste. Il ne faut pas se laisser tromper par ce faux débat canadien entre la droite centriste, pro taxe carbone, et la droite dure, anti taxe carbone. Il faut plutôt se souvenir que les transnationales pétrolières sont favorables à la taxe carbone car elles savent qu’ultimement elles contrôlent les règles du jeu en utilisant l’arme ultime du maintien de leur compétitivité mondiale (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1313691/grandes-petrolieres-appui-taxe-carbone).

Les conditions Solidaire de l’écofiscalité sont autant de raisons de la rejeter

Le mouvement climatique, du moins ses principaux ténors, s’est laissé prendre au piège, à la piètre subtilité près qu’il faudrait hausser rapidement le niveau de la taxe. Québec solidaire vient de s’y laisser avaler à son tour. Pour se distinguer de la dite bourgeoisie progressiste, les Solidaires alignent une dizaine de conditions dont la redistribution progressive y compris pour les PME, la transparence de la gestion, une couverture complète des GES, la différentiation régionale, l’obligation d’alternatives, l’interdiction de la spéculation, l’évaluation périodique et l’application aux importations et que le système soit transitoire. Personne ne semble s’être aperçu que le strict respect de ces conditions rendraient l’écofiscalité inopérante avant longtemps sauf pour quelques niches.

Côté redistribution, plus l’écofiscalité est redistribuée, moins elle est disponible pour le financement des investissements publics écologiques tels le transport en commun généralisé et gratuit ou le logement social écologique. Plus elle est redistribuée progressivement plus elle aliène les classes dite moyennes. Si en plus on veut faire les deux (redistribuer et financer), il faut alors hausser drastiquement l’écofiscalité et, de facto, prendre à la gorge d’autant plus le peuple travailleur banlieusard. Quant à prôner le retour du banlieusard à la villecentre, c’est complètement faire abstraction du phénomène de la rente foncière qui explique la fuite vers les banlieues pour le plus grand profit des transnationales et industrie de la « corruption » du complexe autopétrole- unifamiliale qui se délectent de l’étalement urbain. Évidemment on peut éliminer la rente foncière par la nationalisation du sol mais c’est là une autre paire de manches qui n’a rien à voir avec l’écofiscalité.

Les dites classes moyennes, surtout celles vivant en banlieues et en régions — le terreau des « gilets jaunes » — finissent par y voir clair. Les responsables de la catastrophe climatique ne sont pas les consommatricestravailleurs que l’on veut écraser par la régressive écofiscalité mais quelques centaines de transnationales financiarisées dont une centaine émettent 70% des GES mondiaux (https://www.ledevoir.com/societe/environnement/503173/rapport-plus-de-70-des-ges-emis-par-une-centaine-d-entreprises). L’écofiscalité fait payer les pollué-e-s et non les pollueurs même si le paiement passe par l’intermédiaire des pollueurs.

Il faut cependant distinguer les écotaxes anti-populaires de la taxation des produits de consommation luxueuse qui sont la plupart du temps énergivores et polluants. La taxation supplémentaire des VUS fait partie de la dernière catégorie car existe l’alternative d’acheter une auto moins énergivore ou même pour certain-e-s pas d’auto du tout. Mais il ne faut jamais oublier que la majorité des gens des banlieues et régions n’ont pas d’autre choix que de se procurer une auto. Les ménages populaires vont vivre en banlieue parce que le coût de l’habitation est moins cher ce qui ensuite les oblige à utiliser leurs autos parce que l’alternative du transport en commun réellement existant ne répond pas à leurs besoins. Pour ces choix cruciaux déterminant le cadre de vie de ces ménages, il n’y a pas ce « choix du consommateur », base de la théorie des prix (micro-économie) qui sert de fondement à l’écofiscalité.

On voit bien que les conditions Solidaire de redistribution progressive et d’alternatives ne sont pas respectées d’un point de vue de gauche et ne le seront avant longtemps si jamais elles le sont. La mise au pas de la spéculation suppose celle du capital financier, rien de moins. La taxation des produits importés suppose une mise en cause des traités de libre-échange surtout vis-à-vis les États-unis, toute une commande. La régionalisation de l’écofiscalité réserve de joyeux arbitrages qui vont diviser le peuple travailleur et faire le lit du patronat. La transparence fait fi des pressions en sous-main des transnationales qui vont brandir la menace de la grève des investissements et de la fuite des capitaux au nom de leur compétitivité sur le marché mondial. Cette dite écofiscalité de gauche est un nauséabond oxymoron qui concède la direction de la lutte climatique aux affairistes de ce monde.

Exit le « dépassement du capitalisme » de la prime jeunesse Solidaire

Comment financer la lutte climatique sans recourir à l’écofiscalité ? Par une mobilisation de toute l’épargne nationale aux dépens de la Finance jusqu’à et y compris son expropriation sans compensation, ce qui nécessite la réalisation de l’indépendance nationale contre un Canada reposant sur l’axe pétrolier-financier Calgary- Toronto, y compris une profonde réforme fiscale qui imposera le capital sous toutes ses formes, profits, capitalisation, revenus élevés, fortune, héritage et consommation de luxe. Mais la timide et imprécise réforme fiscale Solidaire est découplée de la lutte climatique. L’option B de Québec, rejetée par le congrès, allait dans ce sens même si elle ne posait pas le problème fondamental du contrôle des flux de capitaux.

Deux autres amendements, malheureusement présentés dogmatiquement en opposition à l’option B, ouvraient grande la porte dans cette direction en proposant la nationalisation des « grands secteurs de l’économie afin d’implanter un plan de transition économique sous le contrôle démocratique de la société. » Elle ne fut pas retenue pour le débat et le vote sous prétexte d’impréparation préalable, ce qui n’est pas faux mais qui traduit une déficience de la démocratie interne vis-à-vis la préparation du congrès et son déroulement comme on le verra.

L’écofiscalité coupe l’herbe sous les pieds d’un plan musclé d’urgence climatique à la hauteur, et au-delà, d’une planification de temps de guerre. Pourtant les deux tiers des québécoises et québécois sont d’accord que « l’urgence climatique requiert que nos gouvernements adoptent une réponse de temps de guerre » (https://abacusdata.ca/is-climate-change-an-emergency.../...). Quand les intérêts vitaux du patronat sont en jeu, il est le premier à renoncer à la prééminence des forces du marché. Quand c’est l’existence d’une humanité civilisée qui est en jeu, l’humanité anti-capitaliste doit l’imiter mais cette fois sur la base d’une planification démocratique et d’une mobilisation permanente du 90-99% pour contrer le capital, surtout pétrolier et financier, et pour la construction d’alternatives de bas en haut.

Ses propres chantres les plus compétents et perspicaces admettent la faillite de la transition capitaliste

Dans les chaumières de la modération ménageant le capital on criera à l’utopie gauchiste. L’urgence climatique est-elle un slogan ou une réalité ? Car rien ne va plus sous le ciel capitaliste et ce depuis longtemps. D’admettre dans son rapport de 2019 sur la transition énergétique le World Economic Forum, le père des think tank du capitalisme mondial

L’électrification, essentielle à la décarbonisation, ne représente que 19% de la consommation finale totale d’énergie. Les investissements dans les combustibles fossiles, en pourcentage des investissements totaux dans les approvisionnements énergétiques, ont augmenté en 2017 pour la première fois depuis 2014. La part totale des combustibles fossiles dans l’approvisionnement en énergie primaire est resté stable à 81% au cours des trois dernières décennies. (http://www3.weforum.org/docs/WEF_Fostering_Effective_Energy_Transition_2019.pdf)

Les chantres du capitalisme vert invoquent comme excuse commode que les percées technologiques vont régler à terme le problème de la transition. Pourtant le World Economic Forum concède qu’« [e[n 2018, seuls quatre des 38 domaines de la technologie énergétique étaient sur la bonne voie pour respecter son scénario de développement durable que l’agence décrit comme ’’une transformation majeure du système énergétique mondial’’ ». Et un de ces quatre succès technologiques est la fausse solution du véhicule électrique qui perpétue l’étalement urbain et menace de mener l’humanité du Charybde des hydrocarbures au Scylla du minage des métaux et terres rares. De conclure ce rapport : « Même après une décennie d’investissements soutenus en capital et un environnement politique favorable aux sources d’énergie renouvelables et aux véhicules électriques, l’approvisionnement en énergie renouvelable (énergie solaire photovoltaïque et éolienne terrestre) ne représente que 1,6% de l’approvisionnement mondial en énergie primaire. De plus, le stock de véhicules électriques en 2017 ne représentait que 0,2% des véhicules légers sur les routes. »

Pourquoi un tel échec ? « Le blocage technologique est créé par les coûts fixes élevés de la base installée, la longue durée de vie des infrastructures physiques et les économies d’échelle qui encouragent le maintien du cap actuel plutôt que la poursuite d’autres options technologiques. » Conscient de la catastrophe climatique à laquelle la population est de plus en plus sensible, le capitalisme essaie de se verdir en combinant le complexe auto-pétrole-unifamiliale avec une nouveau complexe auto-électricité/électronique-condo se déployant de la ville-centre vers la banlieue par les tentacules autoroutières. Idem pour la conversion de l’agro-industrie à l’agriculture biologique. Il prétend même remplacer le premier complexe par le second mais suffisamment lentement, beaucoup trop lentement en fonction des cibles du GIEC+, pour permettre au premier complexe d’amortir avec profit son capital déjà investi, particulièrement ses réserves de pétrole. La priorité est la rentabilisation du capital déjà investi et non la survie de l’humanité.

Faut-il alors se surprendre que The Economist, la revue par excellence du capitalisme financier mondial, constate l’échec de l’Accord de Paris :

« Aujourd’hui, le Programme des Nations Unies pour l’environnement et d’autres organisations de recherche publient un rapport évaluant si le monde est susceptible d’atteindre ses objectifs climatiques. En vertu de l’accord de Paris de 2015, 188 pays se sont volontairement engagés à mettre en place des plans pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre (appelées « contributions déterminées au niveau national » ou NDC). Ensemble, ces promesses sont inférieures à ce qui est nécessaire pour maintenir la hausse des températures mondiales inférieure à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici la fin du siècle. L’étude d’aujourd’hui conclut que même ces cibles peu ambitieuses ne seront pas probablement atteintes. Les chercheurs ont étudié des documents de politique émanant de grands pays producteurs de combustibles fossiles afin de calculer la quantité de charbon, de pétrole et de gaz naturel qui sera extraite au cours des 20 prochaines années. Selon ces projections, les émissions mondiales de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles atteindront 41 gigatonnes d’ici 2040, soit plus que les 36 gigatonnes prévues par les NDC et bien au-dessus des 19 gigatonnes nécessaires pour maintenir le réchauffement à une température inférieure à 2°C. » (Economist Expresso, 20/11/19)

Comme le montre le graphique joint, le monde est aligné pour produire en 2040 entre 3 et 4 fois plus de GES que le niveau maximum pour rester en bas de 1.5°C de hausse de température.

À moins de réagir maintenant, et même là, le grand réchauffement est irrémédiable

Il se peut même, selon un rapport publié dans la prestigieuse revue Nature pinacle de la publication biologique, que le monde ait déjà franchi les points de bascule le menant vers un réchauffement rapide menaçant l’existence même de la civilisation humaine si contradictoire soit-elle :

[…] Le nouvel article [de Nature] est publié alors que l’ONU avertit que l’action est très loin de freiner l’élévation de la température mondiale, le monde étant actuellement sur la voie du 3°C-4°C. Le commentaire de nature répertorie neuf points de bascule pouvant avoir été activés.

« Nous avons ces preuves alarmantes qu’une partie de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental pourrait être en retrait irréversible », a déclaré Lenton [un des auteurs]. « Tous les signaux sont clairs. » Une situation similaire semble se produire dans le bassin de Wilkes, dans l’est de l’Antarctique. L’effondrement de ces calottes glaciaires ferait éventuellement monter le niveau de la mer de plusieurs mètres.

Les scientifiques ont expliqué que la calotte de glace massive du Groenland fondait à une vitesse accélérée alors que la glace de l’océan Arctique se rétrécissait rapidement. « Le pergélisol partout dans l’Arctique commence à dégeler de manière irréversible et à libérer du dioxyde de carbone et du méthane », ont-ils déclaré. Le courant Gulf Stream dans l’Atlantique, qui réchauffe l’Europe, a également ralenti de 15% depuis le milieu du 20e siècle. « C’est à peu près dans la fourchette de variabilité naturelle, mais il est également difficile d’exclure que cela fait partie d’un ralentissement plus long », a déclaré Lenton.

Les scientifiques rapportent que 17% de la forêt amazonienne a été perdue depuis 1970. Le point de non-retour, où la perte de forêt entraîne son assèchement pourrait se situer entre 20% et 40% ont-ils déclaré. Dans les forêts tempérées, en particulier en Amérique du Nord, le réchauffement a provoqué davantage d’incendies et d’attaques de parasites transformant potentiellement certaines régions d’un puits de carbone à une source. Sous les tropiques, les coraux devraient être éliminés par 2°C de chaleur.

Une cascade de points de bascule pourrait se produire car, par exemple, la fonte de la banquise arctique amplifie le réchauffement en exposant un océan sombre qui absorbe plus de lumière solaire. Cela pourrait augmenter la fonte des zones de glace du Groenland et du pergélisol. « Plusieurs risques peuvent interagir, un changement en renforçant un autre, et un réchauffement suffisant d’un degré ou deux peut produire des effets en cascade dramatiques », a déclaré Williamson.

Le professeur Martin Siegert, de l’Imperial College de Londre, a déclaré : « Ce nouveau travail est précieux. Ils sont un peu spéculatifs, mais peut-être faut-il l’être. » Il a souligné que le taux extrêmement rapide de pompage de CO2 dans l’atmosphère n’a probablement jamais eu lieu sur Terre auparavant. « Cela peut signifier que les points de bascule peuvent se produire de manière inattendue car il n’y a pas de précédent géologique pour ce taux de changement de CO2. » […] (https://www.theguardian.com/environment/2019/nov/27/climate-emergency-world-may-havecrossed- tipping-points)

Et c’est dans ce contexte que Québec solidaire a décidé de structurer son Plan de transition autour de l’écofiscalité ! Ce n’est certainement pas une telle stratégie soutenue par les banques, les pétrolières, les Libéraux, la CAQ et Québec solidaire qui changera la donne. Québec solidaire aurait pu au moins s’élever au niveau du manifeste électoral du Parti travailliste britannique, « le plus radical depuis des décennies » de dire The Guardian. Ce qui est remarquable de ce manifeste n’est pas son anticapitalisme — il ne l’est pas — ni son renoncement au mythe de la croissance — il relève du Green New Deal prônant une croissance verte — mais le fait que plus ce parti se rapproche de la majorité parlementaire lui permettant de former le gouvernement plus il se radicalise contrairement à la dynamique passée de Syriza (et de Podemos et de LFI et de Die Linke).

Il ne s’est pas réfugié derrière l’excuse éculée des centristes électoralistes qu’il faut aller au centre pour battre le Parti conservateur Brexit de Johnson. À remarquer aussi que son audacieuse politique d’investissements verts n’est pas financée par une régressive écofiscalité à la Solidaire mais par l’imposition des pétrolières et une réforme fiscale qui va imposer les très riches jusqu’à 50% de leur revenu. Le Labour de Corbyn a choisi l’option B rejetée par le congrès Solidaire ! Une inquiétude cependant : la direction du parti a reculé sur la politique de frontières ouvertes votée par la base, dangereuse concession centriste à l’extrême-droite anti-immigration. Quant à Québec solidaire, il n’a jamais été question d’une telle politique d’où le silence gêné de sa direction sur les seuils d’immigration réduits par la CAQ.

Le terrain a été préparé par l’attrait du « progressisme » et par la professionnalisation du parti

Comment est-ce possible que le congrès Solidaire se soit laissé piéger par l’écofiscalité, arme privilégiée du capitalisme vert, alors que même les ténors intellectuels du capital admettent la faillite de leur système ? Comment les multiples contradictions de l’écofiscalité de gauche, pourtant clairement signalées dans la résolution du congrès comme autant de conditions, ont-elles pu échapper à sa vigilance ? Y contribue l’apparent progressisme de la taxe carbone redistributive du gouvernement Trudeau que les mouvements écologiques nationaux ne dénoncent pas et même approuvent, tel Greenpeace, comme étant « un pas dans la bonne direction » (https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/04/01/la-taxe-carbone-nationale-divise-le-canada_5444168_3244.html). Pareillement, la direction Solidaire, malgré quelques critiques, n’a jamais dénoncé l’écofiscalité à l’encontre de son programme qui pendant dix ans la rejetait clairement. Cet omerta lui a permis d’officiellement la mettre entre parenthèses pour l’élection de 2018 comme moyen principal de financement de son Plan de transition par ailleurs jamais débattu ni voté par la base du parti. Pourtant ce Plan constitue de facto le pilier socioéconomique du projet de société Solidaire.

Pour cette modification drastique de son programme, la direction Solidaire a pu compter sur la pleine collaboration de sa Commission politique, plus particulièrement de ses comités écologie et économie qui conjointement ont concocté la suave résolution votée par le congrès malgré qu’ils aient été tenus à l’écart de l’élaboration du Plan de transition. Pendant longtemps, la participation volontaire à la quinzaine de comités de cette Commission sous la responsabilité de personnes élues par le Conseil national attirait la militance de bonne volonté qui soit militait soit se passionnait pour l’une ou l’autre thématique. Il n’en restait pas moins que ces comités thématiques restaient déconnectés de la militance sur le terrain ce qui les porte à valoriser l’expertise avant tout. Avec le succès électoral du parti, et la professionnalisation s’ensuivant, on a vu les experts progressistes prendre la responsabilité et peupler certains de ces comités particulièrement ceux clefs de l’écologie et de l’économie. Or l’expertise est formatée par nos universités et contrainte par le marché du travail. En découle un préjugé favorable à la réforme du capitalisme dont le marché est considéré comme indépassable sans compter une pression des pairs dont le rôle est crucial pour la progression d’une carrière personnelle ou l’obtention de subventions.

La tradition des débats préalables organisés et de ceux portant sur l’essentiel tend à disparaître

Puis il y a la question de la démocratie interne à ce qui a trait au processus menant au congrès y compris son déroulement. Le problème réside plus dans l’avant-congrès que pendant. Le parti a « oublié » d’anciennes pratiques. Lors de l’enjeu 1 (et peut-être 2) du programme il y a une dizaine d’années, appliquant conséquemment le principe de transparence, le parti avait ouvert une colonne de discussion sur son site non pas intranet mais internet dans laquelle pouvait intervenir tout membre ou groupe d’affinité auquel des nonmembres pouvaient participer. Les prédécesseurs du parti, l’UFP et Option citoyenne, avaient sur leur site une colonne de discussion en page d’accueil régie seulement par la nétiquette. Jusqu’à récemment, par exemple pour le débat sur les signes religieux, le parti a organisé quelques débats contradictoires à la fois in vivo et internet, débats qui auraient très bien pu être diffusés sur internet et non seulement aux seules initiées.

Plusieurs points à l’ordre du jour auraient mérité pareil traitement. Ensuite aurait pu se tenir les assemblées générales tant pour le cahier de propositions que de résolutions. Ça prend du temps ? Le congrès n’a lieu qu’à tous les deux ans sans compter que la démocratie n’a pas de prix et sa pratique rigoureuse finit toujours par sauver du temps d’acrimonie. Il n’est pas certain non plus que cette fois-ci les assemblées générales ont été menées avec le sérieux nécessaire puisque moins de 30% des circonscriptions organisées ont participé au cahier de résolutions. Parmi elles, ma circonscription, habituellement studieuse, a fait son assemblée la dernière journée réglementaire avec à peine le quorum, par ailleurs minimaliste, la majorité de la coordination étant absente.

Reste le déroulement du congrès proprement dit. Des ateliers requerraient du temps donc soit un ordre du jour allégé ou des congrès plus longs ou plus fréquents. Par contre, il y aurait avantage à revenir à la pratique des congrès des premiers temps de l’UFP qui délimitaient des options pour les débats cruciaux, ce que la Commission politique pourrait faire, sur lesquels on votait d’entrée de jeu à la fin de la plénière mais sans amendements lesquels venaient dans un deuxième temps mais seulement pour l’option retenue. Cette plénière permettait de débattre le fond de l’affaire tout en pouvant annoncer des amendements.

La mobilisation pour faire signer des pétitions inutiles et faire du pointage électoral permanent

Cette impréparation pré-congrès et cette obsession du détail en congrès sont-elles l’envers de la médaille du parti-mouvement dont la priorité est de faire signer des pétitions dans le cadre de la campagne Ultimatum 2020 et de la machine électorale dont la priorité est de mobiliser les congressistes pour faire des téléphones de pointage en plein congrès pour une élection partielle ? Le parti a un congrès à seulement tous les deux ans. Les tâches en sont lourdes. Le cahier de synthèse a 54 pages densément remplies. On doit prendre des décisions sur un tas de sujets sujets à controverse. Il faut se concentrer intensément pendant deux jours et une soirée sans compter les caucus de toutes sortes sur l’heure du lunch. Faire pression sur les congressistes pour faire du pointage téléphonique dépasse les bornes. S.v.p. s’adresser aux autres membres le temps du congrès.

La campagne Ultimatum 2020, marque de commerce du parti de la rue, réclame certes la fin de l’exploitation et de l’exploration d’hydrocarbures. Mais elle « oublie » de réclamer le rejet du transit-exportation d’hydrocarbures alors que le projet gazoduc-liquéfaction GNL Saguenay, pourtant objet d’une résolution d’urgence au congrès, est la question controversée de l’heure au Québec en ce qui a trait aux hydrocarbures. Cerise sur le gâteau, cette campagne met au défi la CAQ de produire un plan conforme aux objectifs du GIEC pour l’automne 2020 ce qu’on sait très bien qu’elle ne fera pas. Pendant ce temps, on laisse l’initiative à une CAQ, initialement complètement dépourvue de politique climatique, qui présentera son plan de transition « tout électrique » en janvier.

Drôle de campagne qui perd l’initiative climatique face à un adversaire initialement acculé dans les câbles. Mais il est vrai que le Plan de transition Solidaire est fort problématique. C’est bien beau réclamer la transformation des banlieues comme le fait le porte-parole dans son nouveau livre mais où est le plan d’action Solidaire pour y arriver alors que son Plan de transition ne propose que des bouts de train aérien (REM) et de métro et des subventions à l’auto électrique qui accentuent l’étalement urbain dénoncé par ailleurs. Le parti va-t-il finir par réclamer un transport en commun en surface partout, gratuit, fréquent, confortable, électrifié et en voies réservées aux dépens des autos solos à bannir d’ici 2030 en zone urbaine ? Mais s’attaquer aux « chars » ne fait pas bon ménage avec l’électoralisme.

« Ok boomer », tu as beaucoup gagné mais il fallait aller jusqu’au bout et renverser le capital

Revendication trop radicale ? Impossible à arracher au capital ? De ce temps-ci, il est à la mode de faire le procès de ma génération, les baby boomers que je préfère appeler la génération de 1968 ou encore les soixante-huitards car c’est là leur legs aux générations suivantes. C’est leur-notre mobilisation dans la rue, de l’immense majorité populaire s’entend et proportionnellement encore plus des francophones, particulièrement sous la forme de dures grèves, ce qui manque terriblement aujourd’hui, qui a forcé les gouvernements en place, sous la gouverne des élites formées par les temps de crise et de guerre, à faire d’immenses concessions qu’on appellera l’État-providence. Favorisées par la prospérité d’après-guerre (les trente glorieuses), ces grandes mobilisations surtout de la période 1966-1976 dont la grève générale de 1972 qui a très brièvement été prérévolutionnaire (occupations de radios et de quelques petites villes), ont entraîné de profondes réformes et une importante augmentation du pouvoir d’achat que le capitalisme néolibéral s’acharne à gruger et à démanteler depuis les années 1980.

La mobilisation de ma génération, dont le noyau dirigeant était prolétarien, accédant à l’université et aux emplois publics très disponibles mais alors mal payés, bénéficiait de conditions démographiques et économiques favorables. Cela a permis à sa grande mobilisation d’avoir d’importants effets sociaux mais cela a aussi donné au capital les moyens de la coopter (bons emplois, consumérisme de plus en plus soutenu par l’endettement, concertation État-syndicats) tout en préparant le retour du boomerang qui allait se concrétiser à partir de 1979- 80. La leçon à tirer de ce succès-échec est à mon avis que la mobilisation doit aller jusqu’au bout c’est-à-dire renverser le capitalisme. Comment autrement venir à bout de la crise climatique au coeur d’une crise civilisationnelle ?

Un malaise à propos de la démocratie interne qui commence à ressembler à une crise... sous contrôle

On n’en est pas là, tant s’en faut. L’élection partielle dans la circonscription de Jean-Talon à Québec a envenimé un fort malaise à propos de la démocratie interne provenant de l’écart des réseaux militants de la vie du parti les concernant directement. Et voilà que ce malaise qui avait entraîné la fondation du groupe Solidaires pour la démocratie interne rebondit. La porte-parole, appuyée par les deux député-e-s de Québec, à une semaine de l’assemblée d’investiture déjà contestée par trois candidatures qui font campagne depuis un mois, sort dans les médias de masse, ce qui est hors de portée des non-député-e-s du parti, pour un candidat ex homme d’affaires, ex candidat d’un parti municipal de droite et employé de ce parti, en congé temporaire pour faire campagne, sans militance reconnue dans le mouvement social et dont la candidature est questionnée dans le mouvement social de Québec.

Il a fallu une fronde au sein du parti, particulièrement de l’association concernée, pour que cette candidature ne soit pas choisie par l’assemblée d’investiture. Il n’en fallait pas plus pour que certaines associations de circonscriptions profitent du congrès, dont l’ordre du jour prévoyait déjà un ajustement des statuts concernant les rapports entre l’aile parlementaire et le parti, pour réclamer qu’il y ait des balises du droit d’expression médiatique de cette aile concernant les affaires internes du parti. La direction a cependant réussi à neutraliser ces amendements, qui furent battus, en convainquant le groupe Solidaires pour la démocratie interne d’une démarche conjointe en vue du prochain Conseil national au printemps prochain, ce qui permet de gagner du temps.

Depuis l’élection très centralisée tant pas sa thématique que par son organisation, la tendance centralisatrice se poursuit et se renforce avec la campagne Ultimatum 2020 et la prise en charge de l’élection Jean-Talon par le centre quitte à s’aliéner l’association locale. En contrepartie, la direction collective par le congrès s’allège surtout par une moindre participation (moins de 600 délégué-e-s pour une possibilité de plus de 900 ; 24 associations locales sur 80 organisées ont contribué au cahier de résolutions ; aucun poste électif en jeu contesté à part celui de porte-parole homme par un jeune candidat inconnu provenant d’une association marginale ayant obtenu 11% des voix, score connu grâce aux médias à l’encontre de la politique du silence du parti ). On constate que le congrès a entériné toutes les principales propositions de la direction à une forte majorité pour le meilleur et pour le pire.

Pendant que les Solidaires pour la démocratie interne négocient en vase clos sans rapport de forces, c’est l’attentisme. On peut prévoir qu’il en sortira quelques recommandations soit cosmétiques soit générales qui tomberont dans l’oublie. L’exemple à suivre est celui du collectif antiraciste et anticolonialiste qui a piloté l’adoption de la Commission nationale autochtone. Il a d’abord construit le rapport de forces en obtenant de nombreux appuis internes et, en même temps, en alertant les grands médias. Ensuite seulement il a négocié au cours du congrès et obtenu un renversement complet de la position de la direction qui, vendredi soir, ne voulait rien savoir.

Les « wedge issues » populistes versus le projet de société alternatif pour le peuple travailleur

L’affaire Jean-Talon comporte un volet de message politique que le congrès n’a pas abordé. Par exemple, pour cette campagne électorale, le parti a produit deux vidéos, l’une contre le troisième lien entre les deux rives du St-Laurent à Québec, promesse de la CAQ qui favorisa l’auto solo, et l’autre sur la préservation du patrimoine que le gouvernement laisse détruire par les promoteurs immobiliers. Comme les gens de Jean-Talon sont très peu directement concernés par le troisième lien, ces deux thèmes semblent s’adresser à la « classe moyenne » dite progressiste lectrice du Devoir et non au peuple-travailleur lecteur du Soleil et du Journal de Québec.

N’aurait-il pas fallu s’adresser aux besoins du prolétariat par exemple en faisant une vidéo sur le logement social écologique (à consommation d’énergie presque nulle) ? Ou une vidéo pour un réinvestissement massif dans le secteur public austérisé à la veille des négociations qui se présentent mal sans Front commun. Thème non climatique ? Pas du tout. les emplois du secteur public sont riches d’énergie humaine avec un minimum d’énergie mécanique et riches de création de liens sociaux qui mettent en échec le consumérisme. Ces services sont le ’prendre soin’ des gens soit le revers du ’prendre soin’ de la terre-mère. Il se pourrait que cette négligence de notre base populaire soit coûteuse électoralement.

Les « wedge issues » comme disent les anglophones (revendications pointues qui scindent l’opinion publique entre « progressistes » et « conservateurs ») ça fonctionne parfois électoralement quand elles sont bien choisies. C’était le cas lors de la campagne de 2018 (frais dentaires et transport en commun à demi gratuit, CLSC 24/7...) et c’est peut-être le cas dans Jean-Talon avec le troisième lien. Cette approche populiste de gauche, car il s’agit bien de ça, refoule cependant le projet de société à l’arrière-plan.

Durant la campagne électorale de 2018, le programme et la plate-forme Solidaire ont été marginalisés : ils étaient mentionnés en petites écritures à la toute fin de la page d’accueil du site web et n’étaient pas disponibles sur papier. Ce raccourci populiste est peut-être rentable à court terme mais il ne prépare pas le peuple travailleur à un gouvernement Solidaire et encore moins ne l’incite à se mobiliser pour lui. La conséquence en sera un renoncement Solidaire à son projet de société soit dès avant de former le gouvernement (ex. Podemos, LFI) ou plus dramatiquement après (ex. Syriza en 2015). Le parti deviendra la cinquième roue du carrosse néolibérale.

Le « fake news » de l’écofiscalité de gauche enterré par le sujet vedette de l’indépendance armée

Si on lit les compte-rendus médiatiques du congrès rien de ce qui précède n’est mis en évidence ou même n’apparaît sauf la question de la Commission nationale autochtone. On constate même une tendance « fake news » avec des titres comme « Les riches doivent payer pour réduire les GES, affirme Québec solidaire » (FM 103,3) ou encore des passages comme « Les membres de Québec solidaire ont discuté d’écofiscalité hier matin. La formation n’a pas voulu se prononcer sur une hausse de coût éventuelle qui pourrait être refilée aux consommateurs après l’adoption de mesures fiscales plus sévères contre les pollueurs. » (La Presse) et « Les délégués ont adopté des mesures concernant l’instauration d’un système d’écofiscalité pour faire payer les grands pollueurs, mais n’ont pas pu décider s’ils étaient pour ou contre la Bourse du carbone. » (Radio-Canada). Cette désinformation atteint son comble quand La Presse canadienne commence son résumé du congrès en disant que

Québec solidaire (QS) jette le doute sur la Bourse du carbone que le premier ministre François Legault s’apprête à aller défendre en Californie. Dimanche, la coporte-parole de QS, Manon Massé, a déclaré que les solidaires réunis en congrès à Longueuil n’avaient pas décidé s’ils étaient pour ou contre. Selon elle, le système actuel de plafonnement et d’échange de droits d’émissions permet à de grands pollueurs, comme la cimenterie McInnis, à Port-Daniel en Gaspésie, « de faire de l’argent ». (https://journalmetro.com/actualites/national/2398426/manon-masse-remeten- question-la-bourse-du-carbone/)

Par contre retient l’attention médiatique, et sans trop de biais, le raffermissement indépendantiste du programme du parti. « L’indépendance du Québec au coeur du congrès de Québec solidaire » de titrer le Journal de Québec de Québécor alors que Le Devoir titrait « QS se dit en mesure de rendre ’’attirant pour toutes les générations’’ le mouvement indépendantiste ». Ajoutons-y le sujet annexe de l’armée québécoise : « Si le Québec devenait indépendant sous QS, une armée serait constituée » (La Presse). En effet, les congressistes devaient choisir entre l’option sans armée et l’option hybride dont un volet armée ce qui fut voté haut la main. L’option de l’auteur de cet article « Une politique de défense démocratique et populaire » n’a pas réussi à franchir l’étape de l’acceptation par sa circonscription d’où son absence du cahier de propositions.

Une défense démocratique populaire, moyen terme entre armée nationaliste et non-violence dogmatique

Une force de résistance et de soutien d’un pays de ’prendre soin’ des gens et de la terre-mère aurait deux buts : préserver l’intégrité du territoire de son pays, en tenant compte de son aspect multinational et soutenir les pays et collectifs politico-sociaux qui oeuvrent dans ce sens. Cette résistance et cette capacité de soutien sont fonction de la profondeur démocratique de son pays, ce qui est très problématique en société capitaliste laquelle exclut par définition la démocratisation de la base économique d’où de perpétuels conflits sociaux latents ou ouverts jusqu’à et y compris la guerre civile. De même l’accumulation du capital commande un expansionnisme exponentiel de la base économique qui mène à l’interventionnisme et à l’impérialisme dont les conséquences sont des guerres commerciales et financières débouchant quasi inévitablement sur des guerres réelles qui peuvent devenir mondiales.

De ce constat découle que la force de résistance et de soutien d’un Québec indépendant et solidaire doit être à l’interne démocratique (élection des responsables et des « officiers », parité et diversité nationale) et sous contrôle serrée d’institutions élues ou nommées par des gens élus, centrales et régionales, redevables au parlement. Dans ce contexte de pleine démocratisation contraignant le dangereux mais inévitable « esprit de corps », se priver d’avance du recours aux armes, alors que mille scénarios sont possibles et des plus imprévisibles, est un renoncement à maximiser son rapport de forces. Mais le recours aux armes a un coût économique, social et idéologique qu’il faut reconnaître et minimiser en commençant par le nombre de gens armés dont c’est le métier quoique la formation générale aux armes dans une milice peut servir de contrepoids à l’« esprit de corps ». Il faudrait y consacrer des ressources non disponibles pour des buts directement sociaux, établir des alliances fiables pour s’approvisionner et vendre étant donné la sophistication de l’armement sans compter le choix judicieux des armes requises pour des missions de résistance et de soutien.

Une stratégie d’élection quasi-référendaire sur fond d’insuffisante rupture purement nationaliste

Juste après que le PQ ait tenu son « congrès national extraordinaire » pour se redéfinir et finir par tourner en rond, le congrès de Québec solidaire visait à renforcer son parti-pris indépendantiste en modifiant son programme de sorte à poser des gestes de « rupture » dès son accession au gouvernement avec l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 amendé en 1982 lors de la « nuit des longs couteaux » sans l’accord du Québec. Ce qui est remarquable, cependant, c’est que ces gestes de rupture contenus dans la proposition votée n’ont aucun contenu ni écologique ni social. Ils sont une pure affaire de redistribution unilatérale de pouvoirs existants en faveur du gouvernement québécois dont la perception des impôts et taxes par le seul gouvernement québécois est le geste qui a le plus retenu l’attention médiatique.

Dans leur discours médiatique, toutefois, les porte-parole ont voulu atténuer le caractère nationaliste de ces transferts de pouvoir unilatéraux en mettant plutôt l’accent sur des gestes de rupture écologique que pourtant la résolution votée ignore totalement :

Les membres d’un gouvernement solidaire bloqueront tout projet d’oléoduc ou de gazoduc, imposeront des mesures d’écofiscalité aux entreprises, percevront et redistribueront les impôts, taxes et contributions fédéraux payés sur le territoire québécois, et ce, même si la Constitution du Canada leur interdit d’aller de l’avant... […] Pourtant, QS n’est pas sans savoir que les pipelines interprovinciaux relèvent de la compétence fédérale. ’ »Moi, je vous dis qu’au jour 1 de notre élection, ce ne sera pas de responsabilité fédérale », a lancé la cheffe parlementaire de QS à l’Assemblée nationale, tout en promettant de « ramer fort » lorsque le Canada « va essayer de nous passer un pipeline à travers la gorge ». (Le Devoir)

Le dilemme des porte-parole les portant à tordre le bâton est compréhensible. D’instinct ou de raison, la direction du parti cherche à contourner à la fois le piège de la « bonne gouvernance » de la période de transition et dépasser la stratégie suicidaire de la Constituante-référendum dès le premier mandat qui mène à un brutal interventionnisme à la mode espagnole. Qui n’a pas compris que les leçons que les fédéralistes ont tirés du référendum de 1995 gagné par la peau des dents, de leur grande peur de la défaite, annoncent non pas un scénario écossais pour le prochain référendum mais un scénario catalan. D’autant plus que les fédéralistes n’ont pas hésité à employer l’armée sur le territoire québécois en 1970 et en 1990 pour résoudre manu militari des conflits nationaux. L’air de rien, la nouvelle stratégie de la rupture déplace le moment stratégique vers l’élection d’un gouvernement Solidaire laquelle élection devient de facto quasi-référendaire.

Pour une alternative de ’prendre soin’ afin que le scénario catalan ne revienne pas par la fenêtre

Le problème est que cette nouvelle stratégie de la rupture, si elle n’est pas comprise dans le vieux moule du respect constitutionnel auquel Québec solidaire vient de renoncer — ce qui explique le ralliement de la gauche anticapitaliste à cette proposition de la direction du parti — est transposée dans le nouveau moule de la seule rupture constitutionnelle découplée de la rupture socio-économique et socio-écologique. Cette contradiction est d’autant plus évidente que le congrès Solidaire a contrebalancé cette radicalité indépendantiste par un tournant à droite écologique, en optant pour la régressive écofiscalité, et nationaliste, en optant pour une armée régulière, même uniquement défensive et hybride. Cette contradiction béante dans le projet de société Solidaire entre le pôle national-constitutionnel radical — à l’intégrité territoriale près ce sur quoi les porte-parole ne semblent pas s’entendre preuve que le cancer nationaliste gruge le parti — et le pôle socio-écologique lesté de capitalisme vert expose le parti et par là toute la société québécoise à une défaite cuisante dès avant l’élection ou après, à la Syriza, s’il franchit le premier obstacle d’acquérir la majorité parlementaire. Le scénario catalan, chassé par la porte, revient par la fenêtre.

C’est dans ce no man’s land stratégique que le congrès a abandonné le parti, ce que tente de masquer les porte-parole en tapant sur la tête pro troisième lien et pro GNL-Saguenay du premier ministre... en oubliant qu’il ne suffit pas d’être contre les hydrocarbures et contre les véhicules à essence mais pour un alternative reposant sur le plein emploi écologique. Gagner une élection quasi-référendaire suppose une super mobilisation prolongée à la hauteur de celles de l’Algérie, du Liban, etc. en passant par Hong Kong et le Chili. Et même plus jusqu’à la grève politique appelée sociale au Québec. On pourrait dire une combinaison de la révolution démocratique-nationale de 1837-38 avec la grève générale socio-économique de 1972. Ça ne se décrète pas, ça arrive, mais le parti, grâce à son ascendant, pourrait certainement hâter sa venue en radicalisant le pilier socio-économique de son projet de société par la promotion d’une société éco-féministe et éco-autochtone de ’prendre soin’ des gens — ce à quoi contribuerait un Front commun du secteur public — et de la terre-mère financé soit à la mode du manifeste Labour de Corbyn soit en imposant et en expropriant le capital au lieu d’assommer les gens à coups d’écofiscalité et ainsi les aliéner face à lutte climatique.

Une lutte climatique canadienne victorieuse passe par l’indépendance du Québec

Pourquoi pas mener cette lutte dans un cadre canadien ce qui lui donnerait plus facilement une portée mondiale, niveau auquel la lutte climatique sera gagné ou perdu ? Parce qu’une victoire climatique canadienne passe par l’indépendance du Québec. Le Canada financier-pétrolier de l’axe Toronto-Calgary, dont la constitution ne reconnaît pas la nation québécoise et pétri de méprisant Quebec bashing, s’est construit historiquement comme une prison des peuples, des autochtones-inuit au peuple québécois en passant par les peuples acadien et terreneuvien et les de plus en plus nombreuses nationalités dite visibles par Statistique Canada. C’est une chance historique que la résilience du peuple québécois lui donne la capacité démographique, économique, linguistique et culturelle de lutter d’une façon crédible pour son indépendance le rendant apte à briser cette chaîne d’oppression pour tant sa libération qu’en appui à celle des autres nations et nationalités opprimées du Canada.

Il n’y a pas de raison que le peuple canadien anglais ne soit pas réceptif à ces luttes de libération d’autant plus si elles se font sous l’égide des luttes climatique et pour la biodiversité à l’exemple de celles de plusieurs mouvements autochtones et potentiellement d’un Québec solidaire doté d’un plan de ’prendre soin’. Le peuple canadien-anglais y trouverait le supplément d’âme pour contrer l’alliance réactionnaire climato-sceptique Alberta- Saskatchewan-Ontario et l’expansionnisme bitumineux des Libéraux fédéraux. Une radicale politique d’urgence climatique par un Québec indépendant libéré de l’entrave canadienne agirait comme modèle nord-américain. Réciproquement, un projet de société indépendantiste prônant cette politique s’attirerait l’appui de la gauche canadienne-anglaise ce qui faciliterait la réalisation de l’indépendance. C’est là un cercle vertueux et la voie stratégique la plus politiquement efficace.

Marc Bonhomme, 2 décembre 2019
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c a

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