Édition du 12 novembre 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

TRIBUNE. Coronavirus : le capitalisme est exsangue, vive l’écoféminisme !

Le capitalisme a démonétisé l’essentiel. Et les femmes sont devenues – parfois contre leur gré – les gardiennes d’un temple dans lequel elles ont été sociabilisées de force, et qui a été considéré comme ne générant rien. L’écoféminisme permet d’inverser l’entièreté de ce système.

Tiré de regards.fr

La crise du coronavirus nous hurle les défaillances du capitalisme. Son impossible résilience, son incapacité à s’adapter, mais aussi comment il a organisé un monde entièrement défaillant, en donnant une valeur importante à des choses futiles, jetables, lui permettant de s’autoalimenter et de perpétuer la dévoration qu’il a instituée. Il a démonétisé l’essentiel, relégué des pans entiers de la société dans le champ de la gratuité. La nature, les personnes racisées, les femmes, sont le fioul gratuit ou faiblement rémunéré du capitalisme.

Et pourtant. Ce que l’on découvre aujourd’hui, au moment où tout est à l’arrêt sauf l’essentiel, c’est que l’entière continuité de la vie du pays réside dans ces strates, nature comprise, qui ont été méprisées jusqu’alors. Aides-soignantes, aides à domiciles, caissières, infirmières, routiers, cueilleurs de fraises saisonniers, éboueurs, livreurs, balayeurs, bénévoles, agricultrices et maraîchers. Non-rentables. Mal payés. Effectuant souvent du travail gratuit.

Il a relégué les femmes dans les maisons. Il a capté leur travail gratuit, leur a attribué des caractéristiques collectives qui justifiait qu’elles occupent certaines fonctions, certaines tâches. Ces attributs qu’on leur a collé à la peau ont permis d’assurer une certaine acceptabilité de leur sort par les femmes elles-mêmes. À défaut, ce sont des marginales.

La douceur, la tendresse, la capacité à s’occuper des enfants, pour qu’elles remplissent leurs fonctions domestiques. L’absence de rationalité, l’inconstance, et bien sûr, les émotions pour qu’elles soient discrédité en cas de plainte. Efficace. Et les femmes sont devenues – parfois contre leur gré – les gardiennes d’un temple dans lequel elles ont été sociabilisées de force, et qui a été considéré comme ne générant rien.

Il est puissant, il est rationnel, il est académique, il est basé sur le progrès, l’absence d’émotion, les sciences dures. Il tolère le risque pourvu qu’il soit rentable. Il est viril. Il est blanc. Il est hétérosexuel.

De la même façon, il a été décidé que l’intérêt général, le soin, le maintien des liens, puisqu’ils ne pouvaient pas être privatisés, n’avaient dès lors aucune valeur, n’apportaient aucune forme de rentabilité et pouvaient dès lors être laissé aux femmes, aux volontaires, à celles et ceux qui n’ont que cela. Cette logique conduit au démantèlement depuis des années de l’ensemble des services publics, à la vente des Communs à des intérêts privés, qui les rentabilisent en les faisant payer, et donc en en réduisant l’accès. Cette logique a conduit à considérer que le salaire d’une aide-soignante pouvait être cent fois inférieur à celui d’un trader.

Peu importe l’utilité sociale, l’apport pour la collectivité de l’une ou l’autre de ces activités. Puisqu’il défie les intérêts du plus grand nombre, il ne lui reste que la force pour se faire accepter.

La force institutionnelle de la virilité en col blanc, qui outrepasse les avis du peuple (référendum de 2005), qui organise des institutions démocratiquement défaillantes et pourtant si puissantes, comme on peut le constater en Europe, mais aussi en France, avec un Parlement totalement impuissant à contrer les desiderata gouvernementaux.
La force policière en col bleu, qui frappe sur les corps des personnes racisées, les étouffent, dans la plus grande impunité. Cette force policière que les blancs ont découverte à l’occasion des manifestations des gilets jaunes, qui pourtant maintient à distance du pouvoir toute contestation depuis des décennies.

La gestion publique de la crise que nous connaissons traduit tous les travers de la politique viriliste et paternaliste qu’il s’agira de renverser : des peines d’amendes, de prison pour non-respect du confinement, du matraquage des personnes dans les quartiers populaires, le vocabulaire guerrier utilisé pour donner l’impression d’une quelconque compétence, l’absence de transparence, la réduction de l’intervention du Parlement, et donc la limitation de la démocratie : tout est à refaire.

L’écoféminisme, né sous la plume de la trop oubliée Françoise d’Eaubonne, permet d’inverser l’entièreté de ce système. Il constate une communauté de destins entre les femmes et la nature, et souligne que ces dernières ont souvent été les uniques défenseuses des attaques contre la nature, partout dans le monde.

Enrichi des travaux de Vandana Shiva, de Maria Mies, de Starhawk, de Joanna Macy, d’Ariel Salleh, d’Émilie Hache, et tant d’autres, il est un concept qui refuse de se laisser enfermer, mais qui, au moment où des réflexions sur l’après coronavirus commences à poindre, peut être tout à fait puissant.

L’écoféminisme a le mérite d’inverser totalement les valeurs attribuées par le capitalisme. L’ensemble des activités très souvent considérées comme féminines, c’est à dire les activités de soin des autres, de lien social, sont d’une utilité sociale bien plus importante que beaucoup de boulots de cols blancs, on le voit en temps de crise comme celle que nous traversons. Ces derniers, lorsqu’ils cessent leur activité, ne provoquent pas une paralysie du système. Voire le système s’en trouve amélioré.

La mise en place de pratiques économiques écoféministes pourra, au-delà de valoriser les activités de soin et de lien à leur juste valeur, sanctionner les comportements ou les activités aux conséquences destructrices pour la nature, dont nous sommes une partie.

L’écoféminisme – mettant au centre de ses préceptes des valeurs qui ont été très souvent considérées comme féminines – nous enseigne d’autres possibilités de gestion publique, d’autres façon de structurer le pouvoir. Il ne s’agit plus d’accepter un pouvoir qui domine, mais un pouvoir qui est un régulateur, qui a un effet sur le réel. Pas d’un pouvoir qui s’abat sur les personnes, mais d’un pouvoir qui prend en compte l’entièreté des expériences individuelles. Sans invalider certaines d’entre-elles, sans hiérarchiser entre les expériences valables, des puissants, et celles des manants, dont la voix compterait moins. Cela nécessite de prendre en considération l’émotion, de la mettre au cœur du processus de prise de décision.

En acceptant les émotions, en acceptant qu’elles puissent être des moteurs dans la prise de décision, l’on aurait pu dépasser le déni de celles et ceux qui nous gouvernent et n’ont pas pris suffisamment rapidement les bonnes décisions. L’aveu d’Agnès Buzyn, lorsqu’elle raconte sa peur d’aller dans les meetings, en connaissant la dangerosité du virus, nous renseigne sur la dissonance cognitive des femmes et hommes politiques, amputé·es d’une partie de leur intelligence. Partie de leur intelligence qui leur manque vraisemblablement pour lutter contre la catastrophe écologique qui nous arrive à toute vitesse.

L’écoféminisme propose de propose de rejeter l’omniprésence de la technique, de la théorie et de réhabiliter, comme politiques, les sujets intimes, les savoirs pratiques, dits « chauds ».

Ses méthodes de lutte sont créatives, elles sont jaillissantes et radicales. Comme lors du mouvement Chipko en 1973, où des femmes se sont opposées à la destruction d’une forêt pendant 5 années, en se relayant pour aller entourer les arbres. Comme à Arlington, en 1980, lorsque des milliers de femmes, s’opposant au nucléaire, ont entouré le Pentagone de laine, ou comme les femmes de Chooz, dans les Ardennes qui ont dès 1959 séquestré le maire de leur commune afin de protester contre la création de la centrale nucléaire.

Ces actions ont souvent été considérés comme des actions non politiques, car menées par des sujets que l’on considère comme non politiques.

Après la période de « confinement », ce ne sera pas à celles et ceux qui ont passé 6 semaines sous la couette de redéfinir les contours du monde que nous voulons, mais bien aux aides-soignantes, aides à domiciles, caissières, infirmières, routiers, cueilleurs de fraises saisonniers, éboueurs, livreurs, balayeurs, bénévoles, agricultrices et maraîchers de définir le monde qu’elles et ils font tourner.

Le capitalisme est exsangue. Vive l’écoféminisme !

Mathilde Julié Viot

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