La Convention du parti Démocrate qui se tient à Philadelphie jusqu’au 28 juillet a été le théâtre des dernières batailles des partisans de Bernie Sanders. L’objectif du Comité National Démocrate (DNC) était clairement d’unifier les camps des partisans de Clinton et de Sanders et de se mettre en ordre de bataille, pour organiser ce qui sera le thème permanent de la campagne, jusqu’en novembre : le vote utile pour battre Donald Trump. Le soutien public, le ralliement de Bernie Sanders à la campagne d’Hillary Clinton avait été acté dès le 11 juillet, lors de la réunion du DNC à Orlando, qui avait établi la plate-forme programmatique du parti, incluant le salaire minimum de 15$ de l’heure, l’instauration progressive du tiers-payant pour les dépenses de santé et la gratuité des frais d’inscriptions universitaires. Ce qui avait permis à Bernie Sanders de déclarer « Grâce aux millions de gens qui se sont impliqués dans le processus politique- dont beaucoup pour la première fois-, nous avons désormais le programme le plus progressiste de l’histoire du parti démocrate ». Mais ces concessions « de gauche » ne pourraient bien n’être qu’un leurre. Dans un article publié sur le site de la revue de la gauche radicale « Counterpunch » (http://www.counterpunch.org), Kshama Sawant, dirigeante de Socialist Alternative remarque que ces concessions sont très limitées : rien sur le traité transpacifique, sur la fracturation hydraulique ou la couverture médicale (Medicare) pour tous. Elle insiste sur le fait que les plateformes électorales n’ont jamais engagé aucun candidat démocrate et qu’elles sont toujours restées « un ensemble de promesses vagues et toujours rompues. Elles sont jetées par la fenêtre avant même que l’encre ne soit sèche lors de la convention ».
De plus, Wikileaks a publié à l’ouverture de la Convention, plus de 20 000 emails échangés entre les membres du DNC, pendant la campagne des primaires, et dont le propos était clairement de déstabiliser la campagne Sanders et de favoriser Hillary Clinton. Le malaise ainsi créé, et la colère des partisans de Sanders a été telle que la présidente du DNC, une des plus importantes dirigeantes du Parti Démocrate, Deborah Wasserman Schultz, a dû démissionner dès le premier jour de la Convention. C’est donc dans une ambiance très tendue et très émotionnelle que Bernie Sanders a prononcé le dernier discours de sa campagne, appelant à se rallier à Hillary Clinton sans hésitation, mais aussi à mettre tout en œuvre pour que la « révolution politique » impulsée ces derniers mois, par les douze millions de votants en sa faveur puisse trouver de nouvelles formes d’organisation et de nouveaux débouchés. A la suite de la désignation officielle d’Hillary Clinton, près d’un tiers des délégués ont quitté la salle, pour rejoindre les différentes manifestations et forums qui se déroulent à Philadelphie.
Comme l’écrit Arun Gupta, également dans Counterpunch, « le moment Sanders en tant que phénomène national est probablement terminé ». Aujourd’hui, la gauche « socialiste », et ce n’est plus un gros mot, américaine se trouve donc confrontée à un débat très complexe, sur lequel pèse une échéance électorale très lourde. Le vote utile, ou « le moindre mal », qui est l’expression utilisée là-bas, va sans doute obscurcir les choix et rendre certaines orientations très difficiles à populariser. Au niveau des organisateurs de la campagne de Sanders, le choix est de rester au sein du Parti Démocrate, notamment au travers de la structure « Our Revolution » qui a pour objectif de recruter, former et soutenir 100 candidats aux élections au Sénat et à la Chambre des Représentants, sur les bases politiques de la campagne Sanders, au mois de novembre. De même, les supporters de Sanders, militants du parti Democratic Socialists of America (DSA, 7500 membres) ne souhaitent pas quitter le parti Démocrate . Ils ont organisé avec d’autres forces politiques socialistes et de gauche, en parallèle à la convention démocrate, à Philadelphie, une réunion, « Socialist Convergence » au cours de laquelle différentes options sont débattues entre les organisations et militants qui ont pris part à la campagne Sanders, ainsi qu’avec le Green Party. Maria Svart, Directrice Nationale de DSA a déclaré : « Nous ne voulons pas réformer le Parti Démocrate, nous voulons le prendre. DSA est en train de s’organiser stratégiquement. Nous devons d’abord battre Trump en novembre, mais ensuite, nous resterons indépendants ».
D’autres franges militantes importantes de la campagne Sanders appellent maintenant à soutenir Jill Stein et la campagne du Green Party (http://www.jill2016.com). Depuis le début des primaires, Jill Stein a mené campagne sur un programme très proche de celui de Sanders : effacement de la dette étudiante, plein emploi, lutte contre le réchauffement climatique via un new Deal écologique, couverture médicale universelle, fin des incarcérations massives, développement d’une nouvelle citoyenneté et lutte contre le racisme. Contrairement à Bernie Sanders, le choix de Jill Stein a toujours été de promouvoir la possibilité de faire émerger un « troisième parti » et elle a regretté la décision de Sanders de ne pas se présenter comme indépendant. Jusqu’au bout, elle lui a proposé de rejoindre la campagne du Green Party, soit en tant que vice-président, soit, en étant prête elle-même à s’effacer, en tant que candidat présidentiel.
A l’issue de la convention démocrate, et avant la convention du Green Party qui se tiendra à Houston la première semaine d’août, Jill Stein a publié une déclaration dans laquelle elle s’adresse « aux dizaines de millions de personnes inspirées par l’appel de Bernie Sanders pour une révolution politique, les 60% des Américains qui veulent un nouveau grand parti, et les indépendants qui dépassent en nombre à la fois les Démocrates et les Républicains, pour rejeter cette stratégie perdante du vote pour le moindre mal et nous rejoindre dans le combat pour le plus grand bien. Je demande à la majorité indépendante d’exiger notre inclusion dans les débats présidentiels afin que, comme Sanders l’a démontré, nous puissions réunir dans des débats honnêtes une majorité d’Américains derrière un programme pour l’une Amérique et un Monde pour tous ».
La gauche radicale américaine commence déjà à soutenir Jill Stein et la campagne du Green Party. Dans l’article déjà cité de Counterpunch, Kshama Sawant explique pourquoi elle lui apporte son soutien. Même si Socialist Alternative ne partage pas l’ensemble des positions du Green Party, il est considéré comme l’un des outils qui permettra de dépasser la situation actuelle et d’avancer vers la création d’une nouvelle force politique. C’est la même position qui est exprimée par le Comité National de Solidarity : « Nous appelons à voter pour Jill Stein, mais plus qu’un vote de protestation, c’est une nouvelle organisation politique indépendante qui nous est nécessaire. Ce sera un long chemin et il n’y a pas de formules magiques pour créer un parti de la classe ouvrière aux USA qui pourra être le porte-voix des mouvements sociaux (comme Black Lives Matter par exemple). Mais à ce point, une chose doit être claire : le piège de voter encore une fois pour un candidat « corporate » de moindre mal ne pourra nous laisser que face à des choix toujours pires et toujours plus stériles ».
La réunion de Socialist Convergence, qui a regroupé DSA, Socialist Alternative, Solidarity, International Socialist Organization, le Green Party et les structures locales de Black Lives Matter, a été l’occasion de relancer la structure unitaire « Left elect » qui a pour objet de présenter des candidatures unitaires de la gauche radicale à toutes les élections locales. Les relations avec la gauche syndicale, qui s’était massivement investie dans la campagne Sanders doivent également être étudiées et approfondies.
La Convention Démocrate et la désignation d’Hillary Clinton ne signe donc pas la fin de cette importante période politique ouverte par l’incroyable mobilisation autour de la campagne de Bernie Sanders. Même s’il est probable, dans le contexte de vote utile face à Donald Trump, que Jill Stein ne parviendra pas à ébranler, en novembre 2016, de manière significative, le système électoral et le bipartisme, les bases d’une repolitisation en profondeur de larges secteurs de la population américaine ont été posées. Les idées alternatives, les références à l’écosocialisme, commencent à acquérir droit de cité. Il faudra bien qu’elles trouvent les forces politiques et les nouvelles formes de mobilisation pour les porter.
Mathieu Dargel