Même les apologistes de gauche de l’administration Obama ont eu de la peine à avaler cette couleuvre.
Après avoir transféré des milliers de milliards de dollars aux banques et aux grandes entreprises afin de soutenir leurs profits, la Maison Blanche de Barack Obama cautionne l’assaut des Républicains de la Chambre des Représentants déterminés à imposer l’austérité et les coupes budgétaires.
A la nouvelle que le président Obama avait conclu un accord avec le président républicain de la Chambre, John Boehner, pour couper 38 milliards de dollars dans les dépenses fédérales pour l’année fiscale 2011 qui se termine le 30 septembre prochain, l’éditorialiste du Washington Post, E.J.Dionne a déclaré à la Radio Publique Nationale (National Public Radio) : « Peut-être que le président va faire campagne pour sa réélection avec le slogan "Une capitulation en laquelle nous pouvons croire."
La capitulation de Obama sur les 38 milliards de dollars a sanctionné la plus forte coupe budgétaire en une année dans l’histoire des États-Unis. Mais les Républicains de la Chambre veulent déjà réduire ce record en poussière. Ils exigent une mise en action de la politique de la terre brûlée du président de la commission du budget, Paul Ryan, à savoir son plan de réduction du budget fédéral [1] de 5800 milliards dollars sur dix ans. Dans ce plan de Paul Ryan, Medicare (prise en charge médicale pour les personnes de plus de 65 ans, réforme introduite en 1965 ; financement, entre autres, par les salariés et les employeurs) serait privatisé et Medicaid (système d’aide pour les soins en direction des personnes à « faibles ressources », avec un financement des États et du gouvernement fédéral) converti en un programme de subvention forfaitaire aux États, pendant que les impôts pour les riches et les entreprises seraient diminués encore plus.
Quiconque s’attend à ce que Obama fasse reculer Ryan devrait regarder de près l’accord que Obama a conclu avec Boehner sur les coupes à court terme. En donnant son accord à la réduction de 38 milliards, Obama a accordé à Boehner plus que ce que celui-ci avait exigé en début d’année. Boehner et les leaders républicains avaient d’abord demandé une réduction de 33 milliards des dépenses pour l’année fiscale en cours, mais le groupe du Tea Party dans la Chambre a exigé que Boehner fasse monter les enchères et la Chambre avait même voté une résolution demandant une réduction de 61 milliards de dollars.
Obama n’a, bien sûr, pas admis que les coupes étaient sévères, au contraire il a claironné que l’accord avec Boehner était un succès : « Voilà un accord pour investir dans le futur de notre pays tout en réalisant la plus grande réduction des dépenses annuelles de notre histoire. » [2]
La Maison Blanche a empêché les Républicains de supprimer totalement les subventions fédérales pour Planned Parenthood qui utilise l’argent pour soutenir le planning familial et des services de santé pour les femmes – et non pas pour assurer des avortements, comme les Républicains le prétendent. Mais Obama a effectivement concédé l’exigence des Républicains de supprimer le financement fédéral des cliniques effectuant des interruptions volontaires de grossesses à Washington D.C., rétablissant ainsi une restriction de l’époque Bush.
La couverture des médias s’est surtout focalisée sur les fiévreuses négociations quand une interruption du fonctionnement de l’administration de l’Etat menaçait, faute de vote du budget. Mais le vrai récit, c’est comment les politiciens, des deux partis, ont sacrifié les pauvres pour arriver à un accord.
Selon le Washington Post [3], la moitié des 38 milliards de coupes portent sur l’éducation et les programmes de travail et de santé publique. Parmi les coupes sombres, on trouve : une réduction de 1 milliard de dollars dans les programmes de prévention du SIDA, de l’hépatite virale, des maladies sexuellement transmissibles et de la tuberculose ; 600 millions de dollars amputés aux centres médicaux de proximité ; et une réduction de 390 millions de dollars dans les fonds de secours pour l’aide au chauffage pour les bas revenus.
Le New York Times a publié un résumé des autres coupes [4] : 1,6 milliard de dollars - soit 16% - du budget de l’Agence pour la Protection de l’Environnement (EPA), des réductions dans les programmes d’amélioration de la sécurité alimentaire et la suppression de 3 milliards $ de versements aux États qui accroissent le nombre d’enfants pris en charge dans des programmes d’assurance maladie pour familles à bas revenus. Les bourses Pell, qui offrent une aide financière fédérale pour les étudiants [bourses conditionnées à des critères sociaux pour étudiants à bas revenus, de moyenne des notes, de mode de vie…] sont supprimées pour les cours d’été. Trois autres milliards de dollars sont coupés dans les fonds fédéraux pour des projets de transports publics locaux.
Mais alors que les travailleurs souffriront d’une qualité de l’air et de l’eau moins bonnes, des possibilités d’éducation plus rares et d’un accès diminué aux soins médicaux, les galonnés du Pentagone reçoivent 5 milliards de dollars de plus pour faire joujou, ce qui amène les dépenses militaires totales pour l’année fiscale 2011 à 513 milliards de dollars. [5]
Et cette coupe, record historique dans le budget d’une seule année, va bientôt paraître des petites cacahuètes. La suite, c’est maintenant la bataille autour du budget 2012, que Paul Ryan a rattaché à son plan sur 10 ans pour réduire radicalement la taille du gouvernement des États-Unis et supprimer ce qui reste de l’État dit providence.
Pour s’imposer, les Républicains menacent de prendre en otage l’ensemble de l’économie des États-Unis en refusant de voter une augmentation du plafond de la dette des Etats-Unis. [6] Cela empêcherait le Trésor d’emprunter pour financer l’activité du gouvernement fédéral et pour rembourser les propriétaires d’obligations états-uniennes à travers le monde. Cela déclencherait assurément une crise financière internationale. Il est possible que les Républicains bluffent, mais la menace indique jusqu’où la droite est prête à aller pour faire avancer son programme.
Obama promet de répliquer par sa propre proposition de budget à long terme. Selon les articles de la presse, le président va exiger quelques hausses d’impôts sur les riches pour aider à augmenter les rentrées fiscales – mais Obama va aussi appuyer le travail de la commission sur le déficit de l’an passé qui avait recommandé de réduire le déficit de plus de 4000 milliards de dollars sur dix ans, principalement en diminuant sévèrement les dépenses.
Bien sûr, si Obama voulait vraiment exiger des super-riches qu’ils assument leur part des « sacrifices partagés », il aurait pu exiger qu’on laisse s’éteindre les déductions fiscales en faveur des super-riches qui dataient de l’ère Bush, quand leur date d’expiration fut arrivée au début de cette année. Au lieu de cela, Obama a béni un accord conclu durant la dernière session du Congrès sortant en décembre 2010 qui reconduisait toutes les déductions fiscales pour deux ans – qui ont rapporté aux contribuables les plus riches pas moins de 115,5 milliards rien qu’en 2011. [7]
Entre-temps, le budget de Obama pour l’année 2012, publié en février, incluait sa propre liste meurtrière d’austérité. [8]
La Maison Blanche a proposé un gel des dépenses fédérales discrétionnaires qui ne sont pas du domaine militaire ou sécuritaire, équivalant à une réduction en termes réels une fois qu’on prend en compte l’inflation. Obama avait déjà ciblé les bourses Pell pour toute l’année universitaire avant même que les Républicains ne s’en prennent à elles. Et c’est l’équipe budgétaire de Obama, et non pas John Boehner ou Paul Ryan, qui ont les premiers proposé de réduire le budget du Programme d’assistance au chauffage domestique pour les bas revenus de 5,1 milliards à 2,5 milliards l’année prochaine – une réduction qui mettrait littéralement au froid environ 3 millions de personnes. [9]
La cible des élections de 2012 : Wall Street
Cette récente capitulation de Obama devant les Républicains a aggravé le malaise croissant de ses partisans de gauche. « Qu’ont-ils fait du président Obama ? » demandait Paul Krugman dans sa colonne du New York Times. « Qu’est-il arrivé à cette figure inspirante que ses partisans croyaient avoir élue ? Qui est ce gars doux et timide qui a l’air de ne pas avoir de conviction particulière ? » [10]
En effet, nous sommes loin des jours ravagés par la crise en 2009, quand Barack Obama signait un paquet de relance économique de 787 milliards de dollars, le plus grand de l’histoire des Etats-Unis. Les médias spéculaient alors follement que Obama allait être une réédition du président Franklin Delano Roosevelt (1933-1945), celui qu’on crédite d’avoir institué le New Deal en pleine Grande Dépression.
En réalité, la relance se révéla désespérément sous-motorisée, en partie parce qu’un tiers de l’argent fut consacré à des baisses d’impôts relativement moins efficaces et en partie parce que la crise économique est si profonde. Le paquet de mesures fut assez gros pour empêcher un effondrement économique total, mais trop petit pour faire barrage à la vague croissante de chômage ces deux dernières années.
Cette crise de l’emploi continue à ce jour. La bonne nouvelle apparente d’une baisse récente du taux de chômage à 8,8% est trompeuse à cause du nombre de gens qui sont sortis complètement de la population active. L’Economic Policy Institute a publié que quelque 24,5 millions de travailleurs sont sans emploi ou sous-employés en mars 2011, soit près du double des 12,9 millions qui étaient recensés comme tels en 2007. [11]
On pourrait s’attendre à ce qu’un président démocrate exploite les temps difficiles que les travailleurs et travailleuses doivent affronter pour marquer des points sur le plan politique contre ses rivaux républicains au Congrès. Obama pourrait au moins appeler à un programme fédéral de création d’emplois. Même si ce programme était ensuite bloqué par le Congrès, cela mettrait au moins la faute sur les Républicains. Au lieu de cela, Obama prétend que le problème du chômage est plus ou moins derrière nous. Or les travailleuses et travailleurs dans chaque ville et dans chaque Etat savent que c’est faux.
En fait, plus sa campagne pour se faire réélire en novembre 2012 se rapproche, plus Obama accentue ses efforts pour satisfaire la « Corporate America », le monde des affaires. « Dans les deux prochaines années, » a écrit le commentateur Charles Ferguson, « un chiffre domine tous les autres : 1 milliard de dollars. C’est ce que va coûter la campagne pour la réélection du président. Le vrai public des propositions de budget, c’est Wall Street, et aucun de ses électeurs, et certainement pas le mouvement populaire qui l’a élu. »
Car certaines personnes s’en sortent très bien, merci ! Grâce au programme des 700 milliards de dollars pour le soulagement des actifs pourris (Troubled Assets Relief) et un engagement sans intérêt de la Réserve Fédérale à hauteur de plusieurs milliers de milliards $, les banques de Wall Street « too big to fail » (trop grandes pour faire faillite) sont aujourd’hui plus grandes et plus grasses que jamais. Comme David Weidner, l’éditorialiste de MarketWatch, l’a fait remarquer : « Les grandes banques continuent de prospérer dans leur époque post-renflouement. Jamie Dimon de JPMorganChase a reçu une augmentation de salaire de 51% et gagne maintenant 23 millions de dollars. John Stumpf de Wells Fargo s’est vu élever ses indemnités à 17,56 millions de dollars. Brian Moynihan chez Bank of America a reçu 10 millions de dollars pour sa première année. » [12]
Faire la clarté sur qui est du côté des travailleuses et des travailleurs
Les grands médias commerciaux rendent possible la politique d’austérité bipartisane en occultant tout examen sérieux des alternatives aux coupes des postes budgétaires. Pourtant, il y a des alternatives, il y en a même tout plein.
Comme l’ancien secrétaire au travail de Clinton, Robert Reich l’a fait remarquer, un retour aux taux d’impôts de l’administration Eisenhower à la fin des années 1950 effacerait tout le déficit et créerait un surplus pour financer des nouvelles initiatives du gouvernement qui bénéficieraient aux travailleurs :
« Des années 1940 jusqu’en 1980, le taux maximum de l’impôt sur le revenu sur les plus hauts revenus des Etats-Unis était au moins 70%. Dans les années 1950, il atteignait 91%. Aujourd’hui, c’est 35%. Même si vous incluez les déductions et les crédits, les riches paient aujourd’hui une fraction bien plus petite de leurs revenus qu’à n’importe quel moment depuis la Deuxième guerre mondiale.
L’impôt sur la fortune (qui ne frappe que les 2% du sommet de la pyramide) a aussi été amputé. En 2000, c’était 55% et il s’appliquait à partir de 1 million de dollars. Aujourd’hui, c’est 35% et il s’applique à partir de 5 millions de dollars. Les gains en capital – qui comprennent la plus grande partie du revenu des super-riches – étaient taxés à 35% à la fin des années 1980. Aujourd’hui, ils le sont à 15%.
Si les riches étaient imposés aux mêmes taux qu’il y a cinquante ans, ils seraient en train de payer plus de 350 milliards en plus que durant cette année 2011, ce qui se traduirait en milliers de milliards sur la décennie à venir. C’est assez pour accomplir tout ce dont la nation a besoin tout en réduisant simultanément les futurs déficits.
Si nous coupons ce dont nous n’avons pas besoin (les faveurs aux entreprises et la défense boursouflée), les impôts pourraient en plus être diminués pour tous ceux qui gagnent moins que 80’000 dollars par année. Et avec un système d’assurance-maladie centralisé, Medicare pour tous, au lieu d’une curée pour les fournisseurs de soins qui font des profits, le pays pourrait économiser encore des milliards en plus. » [13]
Mais à Washington, où les politiciens des deux partis sont achetés et payés, presque personne ne va prendre position en faveur d’un tel programme. Le groupe progressiste du Congrès qui compte 80 membres (Progressive Caucus) réclame dans son « Budget du Peuple » des impôts plus élevés sur les riches, des investissements dans la santé publique et dans l’éducation, et un grand programme d’emplois. [14] Mais la plupart des Démocrates impliqués ont échoué à organiser un défi cohérent à Obama quand les Démocrates avaient la majorité dans les deux chambres du Congrès, que ce soit sur les questions budgétaires, celles des libertés civiles ou des guerres sans fin.
Des propositions progressistes de n’importe quelle sorte ont peu de chances d’avoir un véritable impact sur le débat budgétaire à moins d’être liées à un mouvement social actif et en lutte. Roosevelt, après tout, a été poussé à gauche par une montée ouvrière et une classe ouvrière rebelle – alors que Obama n’a, pour le moment, senti la pression que du Big business, et c’est bien pourquoi il s’est incliné devant lui sans cesse.
Pour avancer, le mouvement ouvrier organisé et la gauche doivent reconnaître que Obama n’est pas un allié, mais un partenaire consentant dans l’offensive qui vise à réduire les niveaux de vie de la classe ouvrière des Etats-Unis, profondément et pour toujours.
Le potentiel pour la mobilisation à la base est suffisamment clair. Les immenses mobilisations des travailleurs et étudiants du Wisconsin contre la législation antisyndicale du gouverneur Scott Walker ont allumé des mobilisations dans les Etats voisins et à travers tout le pays. Quant à la journée d’action du 4 avril convoquée par l’AFL-CIO, si elle est restée largement symbolique, elle a néanmoins puisé dans une volonté d’agir et de riposter.
Nous avons besoin de continuer à construire ces luttes – et d’être au clair qui est avec nous et qui ne l’est pas. (Traduction de A l’Encontre)
(23 avril 2011)