La nécessité d’un vrai bilan
Ces mouvements ont expérimenté pendant des décennies cette situation de monopole, où l’offre politique s’est résumée à un appui plus ou moins tacite au Parti québécois, condamnant les autres à errer ou à s’abstenir. Or depuis la fin des années 1990, le bilan de ce système partisan piégé, qui génère l’immobilisme et de nombreux reculs pour la société, a été fait. Pour penser clairement, il faut éviter une certaine nostalgie. À en croire M. Aussant, il y aurait eu un « âge d’or » du PQ, ce qui aurait permis une « paix sociale ». Nous avons le regret de le dire, cette vision jovialiste n’est pas partagée par tout le monde. Au nom de cette pseudo paix populaire, on a imposé des reculs importants dans le sillon de la politique dite du déficit zéro de Lucien Bouchard, d’où les coupures massives dans les services publics. Le PQ également a refusé des revendications légitimes comme l’augmentation du salaire minimum à un niveau décent. Face à la globalisation promue par les élites économiques et les gouvernements américain et canadien, les mouvements populaires n’ont jamais été d’accord avec le PQ concernant les accords de libre-échange. Au lieu de parler d’une « paix sociale » qui n’a jamais existé, il faut comprendre les sérieux blocages qui font stagner le Québec. Malgré des politiques parfois intéressantes (la mise sur pied des CPE par exemple), les gouvernements du PQ se sont alignés sur les principes néolibéraux avalisés par les principaux partis traditionnels qui s’entêtent, malgré le lamentable crash financier de 2007-08 (qui a couté aux Québécois et Québécoises des milliards de dollars) les mêmes politiques qui conduisent à tout donner au 1 % et de temps en temps quelques miettes au 99 %. On fait croire aux gens que l’austérité est la seule voie alors que les profits et les revenus des riches font des bonds gigantesques, ce que démontre une ribambelle d’études savantes.
Qui résiste ?
Au Québec par contre, la population, dans la rue, a été en mesure d’entraver cette sinistre marche vers le gouffre. Cela a été le cas en 2003 lorsque le gouvernement Charest voulait mettre la scie mécanique dans les programmes sociaux. Cela a été encore plus évident en 2012 avec la grève étudiante et le mouvement citoyen qui s’en est suivi. La droite, c’est le peuple avec ses mouvements qui l’a bloquée. Pas le PQ. Aujourd’hui encore, on dit : « ne touchez pas aux acquis que nous avons arraché par des luttes acharnées, comme les CPE, les cégeps, l’accès à la santé ! Ce n’est pas vrai qu’on va laisser les pensions et les retraites légalement négociées s’envoler pour favoriser l’appétit vorace de quelques roitelets municipaux, les banquiers devenus ministres du gouvernement libéral et les idéologues de l’Institut économique de Montréal. Sur le plan politique, tout cela mène plusieurs mouvements citoyens à s’interroger. C’est de là entre autres que Françoise David a eu l’idée que le temps était venu de mettre en place quelque chose de nouveau avec les militants et les militantes de divers partis de gauche. La création de ce projet, Québec solidaire, a ouvert la porte à un renouvellement de la lutte politique. Certes, QS à lui seul ne monopolise ni la vérité absolue ni l’ensemble des efforts qui veulent remettre notre société sur les rails. Il y a encore de nombreux débats et c’est bien mieux que cela, vu que l’époque du parti unique et de la pensée magique est bel et bien révolue.
La convergence nécessaire
Une fois dit cela, l’idée d’une convergence ou d’une alliance entre plusieurs mouvements et forces politiques autour de certains objectifs reste valable. Mais pas une auto-liquidation. Les grands changements au Québec (et ailleurs) résultent toujours de ces convergences entre acteurs politiques et mouvements citoyens. Regardons notre Québec de la révolution tranquille. Ce sont les mineurs et les syndicalistes d’Asbestos, les enseignants et les étudiants, les journalistes de Radio-Canada, qui ont résisté et forcé le changement. Il y a eu une sorte de consensus québécois qui a permis de grandes réformes, ce qui voulait dire de grandes luttes pour défoncer le régime de noirceur imposé par une voyoucratie cléricale alignée sur les multinationales américaines et les forces conservatrices canadiennes. Ceci n’est pas pour nier le rôle joué par des personnalités comme René Lévesque et Paul Gérin-Lajoie, mais le fait est qu’ils n’étaient pas seuls et que leur intelligence a été de répondre à une grande vague populaire qui traversait toute la société.
Une nouvelle révolution tranquille
Que retenir de ceci ? Les mouvements populaires doivent être stratèges et profiter de ce que leur arc ait plusieurs cordes. Cet arsenal varié, faisant une large place à la rue, leur permet non seulement de préserver leur indépendance, mais aussi d’accroître notablement leur marge de manœuvre, en affichant plus de créativité. Celle-ci fait place à des coalitions, reconfigurations et alliances, bref, à une mécanique sophistiquée par laquelle ils espèrent, de temps à autres, arriver à définir l’agenda national. Entre temps, le renouvellement de l’action politique par QS est un facteur non négligeable. Que d’autres partis, y compris le PQ et Option Nationale, reviennent à une perspective qui peut relancer la lutte pour l’émancipation sociale et nationale (l’une ne va pas sans l’autre) pourrait également être une bonne chose. Sur de telles bases pourraient se créer de nouvelles dynamiques, car, c’est notre conviction, le Québec est enceint d’une nouvelle révolution tranquille. En attendant, Jean-Martin Aussant, tout aussi honnête et créatif qu’il soit, doit reconnaître les faits. Si un nouvel horizon pour la transformation du Québec doit réapparaître de manière crédible un jour, cela ne sera pas fait par un seul acteur. Il faudra compter sur la participation active des mouvements populaires. Un débat qui viserait à strictement « réinventer » le PQ, encore une fois comme LE parti unique, est voué à l’échec.
* Beaudet et Boudreau sont tous deux membres du collectif qui publie Les Nouveaux Cahiers du socialisme. Ils signent ce texte à titre individuel.