En 2019, le ministre Roberge a fait ajouter à la Loi sur l’instruction publique que chaque enseignante ou enseignant choisit les activités de formation continue qui répondent le mieux à ses besoins en lien avec le développement de ses compétences. Lors de l’adoption du projet de loi n°40 à l’Assemblée nationale, il résume ainsi les effets de ce changement : « On vient écrire en toutes lettres, dans la Loi sur l’instruction publique, qu’on reconnait la grande expertise pédagogique des enseignants, […] qu’on reconnait que ce sont eux et personne d’autre qui choisissent leur formation continue » . Depuis des années, on constate que l’on se fait de plus en plus imposer des formations qui ne sont pas nécessairement pertinentes, qui ne répondent pas au besoin ou qui mobilisent du temps qui aurait pu être mieux utilisé. Les changements de 2019 devaient mettre fin à cette situation, mais le ministre Drainville veut nous faire retourner en arrière. Il vient modifier la loi pour permettre aux directions d’école et aux centres de services scolaires de décider, à la place du personnel enseignant, quelles sont les formations qui sont bonnes pour eux. L’autonomie professionnelle, c’est bien plus que de tenir le crayon quand vient le temps de compter nos heures de formation !
La pandémie nous a clairement démontré les limites de l’enseignement à distance. Dans certaines circonstances, notamment en formation professionnelle et en formation générale des adultes, ce mode d’enseignement peut avoir des avantages. Ce n’est cependant souvent pas le cas. L’enseignement comodal, avec la responsabilité d’élèves à distance et en présence en même temps, est particulièrement problématique. Avec le nouveau projet de loi, le ministre Drainville se donne le pouvoir d’imposer l’un et l’autre.
En tant qu’enseignantes et enseignants, nous sommes les experts de la pédagogie. Nous sommes formés pour pouvoir choisir les bonnes méthodes pédagogiques selon les élèves, les programmes, le contexte d’apprentissage et les ressources disponibles. Avec l’abolition du Conseil supérieur de l’éducation – dont les avis déplaisaient souvent au pouvoir politique en place – et la création d’un Institut national d’excellence en éducation (INEÉ), le ministre Drainville donnera le droit à un certain courant de la recherche en éducation d’imposer son point de vue. Après s’être fait imposer l’approche socioconstructiviste et la pédagogie par projet de la réforme, c’est maintenant celle de « l’école efficace » que l’on tentera de nous imposer comme seule façon de faire valable. Rappelons que l’éducation est une science humaine où cohabite une saine diversité de courants de pensée qui s’opposent à l’occasion.
La création de l’INEÉ entraine aussi l’abolition du Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE). Ce comité indépendant était responsable de s’assurer de la qualité de la formation universitaire en enseignement. Dans un contexte de pénurie où le ministre veut réduire radicalement la formation pédagogique des futurs enseignants et enseignantes, il était important de maintenir cette instance indépendante pour garantir un certain niveau de qualité. Nous craignons que la création du ministre, l’INEÉ, qui jouera maintenant ce rôle, soit beaucoup plus docile et ouverte à des réductions de formation initiale du personnel enseignant, ce qui dévalorisera la profession.
Le ministre Drainville ne semble pas considérer que les enseignantes et enseignants sont des professionnels qui, forts d’une formation de haut niveau et de leur expérience, ont l’expertise pour faire les bons choix pour la réussite des élèves. Ce projet de loi manifeste l’influence de l’appareil administratif et de certains chercheurs qui ont su imposer leur point de vue.
Un enjeu incontournable en éducation est la pénurie d’enseignantes et d’enseignants qualifiés. Il est urgent de rendre la profession plus attractive et de maintenir en poste les personnes en exercice. C’est d’une valorisation de la profession enseignante dont nous avons besoin, et celle-ci passe notamment par le respect de notre autonomie professionnelle et de notre expertise. Malheureusement, la réforme Drainville se dirige dans le sens contraire.
Josée Scalabrini, présidente de la FSE-CSQ
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