Édition du 12 novembre 2024

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Québec

Réforme du RRQ : forcer en douce les personnes âgées à retourner au travail ?

En décembre dernier, le ministre des Finances Eric Girard déposait l’évaluation actuarielle du Régime de rentes du Québec (RRQ) et en profitait pour diffuser un document de consultation présentant les réflexions du gouvernement en ce qui concerne le RRQ afin de lancer la consultation publique qui, conformément à ce que prévoit la loi, doit avoir lieu tous les 6 ans. Parmi les propositions en débat, le report de 60 à 62 ans (voire 65 ans) de l’âge à partir duquel les rentes du RRQ peuvent être demandées.

8 février 2023 | tiré du site de l’IRIS

Cette proposition de reporter le début du versement de la rente du RRQ est évoquée dans le document de consultation dans une section nommée « Accroitre la sécurité financière à la retraite », laissant croire que la motivation première du gouvernement est d’améliorer le revenu des aînés. Cet argument est soutenu par le fait que le montant de la rente du RRQ demandée à 60 ans est inférieur à celui dont pourrait bénéficier une personne si elle en faisait la demande à un âge subséquent. Par exemple, le montant versé à 60 ans est environ 33 % inférieur à celui dont une personne bénéficie en en faisant la demande à 65 ans. Pourtant, plusieurs indices laissent penser que cette mesure semble avant tout motivée par une volonté d’incitation à l’emploi des personnes âgées, comme il est d’ailleurs évoqué du bout des lèvres dans une unique phrase (p. 26) : « Ce relèvement de l’âge d’admissibilité pourrait d’ailleurs encourager la participation au marché du travail des personnes de 60 ans ou plus ».

Notons que la santé financière du RRQ est excellente, le rapport d’évaluation actuarielle affirmant que « autant du côté du régime de base que du côté du régime supplémentaire, les entrées de fonds sont suffisantes pour financer les sorties de fonds pour chacune des 50 années de la période de projection ». Toute proposition de réforme visant à amener les personnes âgées à retourner sur le marché du travail ne peut donc pas utiliser l’habituel argumentaire de la rigueur budgétaire.

Une mesure visant à soutenir le revenu de qui ?

Si cette mesure vise à soutenir le revenu des personnes âgées, le document de consultation ne comprend aucune analyse de son effet différencié selon le revenu, en particulier selon la perspective des aîné·e·s à faible revenu, et de l’interaction avec les autres mesures de soutien du revenu destinées aux personnes âgées. En effet, plusieurs paragraphes sont dédiés à montrer qu’au vu du mécanisme de bonification de la rente, « il est généralement avantageux de reporter le début du versement de sa rente de retraite du RRQ à l’âge de 65 ans ou même de 70 ans » (p. 23), pour autant que l’on vive assez d’années ensuite pour en profiter. Le mot « généralement » dans cette phrase sous-entend que dans certaines situations, cela pourrait ne pas être le cas, mais cette éventualité n’est pas étudiée dans le document, ce qui serait pourtant important pour se positionner adéquatement sur cette proposition de report de l’âge. À notre avis, les aîné·e·s à faible revenu pourraient potentiellement être pénalisés par une telle mesure.

Soulignons que le choix de débuter le versement de la rente du RRQ à 60 ans n’est pas toujours un choix volontaire et libre de la part des individus. L’exemple le plus éloquent est celui des personnes bénéficiaires de l’aide sociale qui, comme nous informe le Protecteur du citoyen, sont contraintes une fois atteint l’âge de 60 ans de demander ces rentes. En effet, puisqu’il s’agit d’un programme de soutien du revenu de dernier recours, les règles sont faites de telle sorte qu’un individu doive épuiser toutes sources de revenus dont il pourrait profiter plutôt que de demander l’aide sociale, même si cette décision peut le pénaliser sur le long terme. Ainsi, le montant accordé par le RRQ fait vraisemblablement diminuer les prestations d’aide sociale[1] et, en plus, réduit à vie le montant versé par le RRQ, ce qui s’apparente à une pénalisation de la pauvreté. Ce premier exemple nous montre que le gouvernement semble vouloir ignorer les interactions entre les rentes du RRQ et les autres politiques publiques de soutien du revenu.

Un deuxième exemple est l’interaction des rentes de retraite avec le programme de Sécurité de la vieillesse et plus particulièrement avec le supplément de revenu garanti (SRG), une prestation dédiée aux aîné·e·s à faible revenu. Ce n’est pas la première fois qu’un report de l’âge de début de versement des rentes de RRQ est suggéré. En 2019, l’Institut canadien des actuaires le proposait déjà, ce qui a mené le professeur Pierre-Carl Michaud et ses co-auteurs à étudier les conséquences de ce changement. S’ils concluaient que de nombreuses personnes tireraient des bénéfices à retarder le début du versement de leur rente, leurs résultats montrent qu’il est avantageux pour d’autres, en particulier les personnes seules et celles ayant de faibles gains en carrière, de la débuter avant 62 ans[2]. Ils estimaient que l’âge optimal pour commencer le début de la rente peut être avant 62 ans pour les personnes au bas de la distribution des revenus, car les gains obtenus par un report de la rente font diminuer les prestations du SRG.

Le gouvernement ne nomme pas explicitement les personnes dont il souhaite bonifier le revenu, mais nous estimions important de prendre la perspective des personnes âgées précaires. Or, les deux exemples précédents montrent qu’il est simpliste d’avancer que le report de l’âge du début du versement des rentes du RRQ soutient le revenu « des aînés », comme s’il s’agissait d’une population homogène. Au contraire, ces changements auront des effets fort différents selon le statut socioéconomique.

Un changement de plus vers un renforcement de l’incitation au travail

De nombreux changements institutionnels survenus dans les dernières décennies laissent croire que cette mesure s’inscrit dans une volonté du gouvernement de renforcer les incitatifs à l’emploi des personnes âgées, dont l’instauration du crédit d’impôt de prolongation de carrière, le programme de subvention salariale[3], le crédit d’impôt pour les PME favorisant le maintien en emploi des travailleurs d’expérience, et différents changements au régime fiscal initiés tant sur le plan provincial que fédéral, permettant par exemple de combiner des revenus de travail avec les rentes de retraite provenant du RRQ ou des régimes complémentaires. Ces mesures, qui visaient à influencer les décisions des individus vis-à-vis du moment de leur retrait du marché du travail, étaient jusqu’à présent essentiellement d’influence libérale. Or, faire passer l’âge du début de versement des rentes à 62 ans tranche avec cette logique et apparaît davantage comme une mesure prescriptive qu’incitative. Pourtant, l’âge moyen de départ à la retraite et le taux d’activité de la population âgée de 65 ans et plus sont en augmentation constante depuis au moins vingt ans.

Notons que ce ne serait pas la première fois que la CAQ souhaite soustraire des droits à la population aînée. Parmi les modifications apportées par le projet de loi 59 aux lois sur la santé et sécurité au travail, un changement touche l’indemnité de remplacement du revenu dont les travailleurs et les travailleuses âgé·e·s peuvent bénéficier lorsque survient une lésion professionnelle qui limite leur capacité à occuper leur poste. Auparavant, une disposition offrait une protection particulière aux personnes âgées de 55 ans et plus victimes d’une lésion professionnelle qui prévoyait implicitement une présomption d’incapacité de travail une fois survenu un accident de travail, de telle sorte que l’on n’exigeait pas de leur part qu’ils retournent sur le marché du travail après avoir subi une telle lésion. Le projet de loi 59 a aboli cette disposition, ce qui oblige ces victimes d’accidents à retrouver un emploi sous peine de perdre leur indemnité[4]. Or, s’il est difficile pour une personne ayant subi une lésion professionnelle de retrouver un emploi, ça l’est d’autant plus pour une personne âgée devant se réorienter vers un nouvel emploi. Dans son mémoire déposé au conseil des ministres, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale Jean Boulet reconnaissait que l’une des raisons d’être de sa réforme se basait sur le contexte de rareté de main-d’œuvre qui nécessitait un « retour prompt et durable en emploi » des personnes victimes de lésions professionnelles.

En France, la réforme de l’âge de la retraite présentée par le président Emmanuel Macron a récemment mené plus d’un million de personnes à manifester et a généré de nombreux débats sur le sens du travail. Il semblerait opportun que le Québec discute davantage de ces enjeux avant d’adopter des mesures qui auraient pour effet d’augmenter la pression qui pèse déjà sur les personnes âgées afin qu’elles retournent sur le marché du travail.

Notes

[1] Dans certains cas, les prestations d’aide sociale peuvent même être annulées, si tant est que la personne ait accès à des rentes de RRQ équivalentes au revenu fourni par le programme.

[2] Michaud et al. (2020). Hausser l’âge d’admissibilité aux prestations du Régime de rentes du Québec ?, Institut de recherche en politiques publiques, 44. https://cutt.ly/jFuhUSL

[3] Ce programme semble aujourd’hui avoir été aboli.

[4] Voir la page de l’UTTAM pour davantage de détails : https://uttam.quebec/modernisation-SST/10-incapacit%C3%A9-age.php

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