Édition du 19 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Qui veut aider les Syriens ?

Le rapport de l’organisation humanitaire Oxfam a pénétré un peu le dispositif médiatique pour nous informer de l’ampleur d’une crise sans précédent qui frappe la Syrie. On parle en effet de plus de 200 000 morts (dont 160 000 tués par l’armée gouvernementale) et de près de 7 millions de personnes déplacées dont plusieurs vers les pays voisins comme au Liban et la Jordanie. Un ami et médecin libanais, Kamel Mohanna, me raconte qu’on ramasse un peu partout dans son pays des corps de réfugiés syriens morts de froid et de faim. L’aide humanitaire arrive au compte-goutte. Selon l’ONU, les grands pays donateurs ne répondent pas ou si peu. C’est un carnage.

Comme souvent, on ne sait pas ce qui se passe sur le terrain. Les médias ici s’occupent ici des quelques soldats canadiens et américains qui prétendent sauver l’Irak. Ou pire encore, sur les méchants terroristes qui se cachent au Canada pour troubler la paix. De temps en temps, on apprend que des jeunes partent combattre avec la rébellion. On les présente presque toujours comme partie prenante du « complot terroriste ».

Les Syriens, les Irakiens et tous les autres sont présentés comme une masse impuissante qui est la proie des méchants islamistes. Il faut les « sauver », même s’ils ne sont pas d’accord, pas tellement pour aider ces populations, mais pour empêcher l’avancée du « terrorisme » qui menace la « civilisation occidentale ». Derrière cela se profilent les mêmes ambitions impérialistes qui sévissent au Moyen-Orient et dont le but est de dépecer ces pays pour s’emparer des ressources énergétiques et empêcher une région toute entière de se lever pour la démocratie, la paix et la souveraineté nationale.

En Syrie, la situation est certes désespérée. Il faut dire que cela ne date pas d’hier. Pendant les décennies 1980 et 1990, le régime dictatorial de la famille el-Assad a sévi dans la plus totale impunité. Ce gouvernement faisait partie de ces « ennemis de nos ennemis » qui sont en fin de compte les « amis » des puissances. Il combattait la résistance palestinienne. Il « pacifiait » le Liban. Il participait à l’assaut contre l’Irak de Saddam Hussein. Et ainsi de suite. Sur la répression terrible qui frappait le peuple syrien, c’était le silence-radio.

Au début des années 2000, bien avant le printemps arabe, les Syriens sont sortis dans la rue pour réclamer la démocratie. Ils étaient des milliers de travailleurs et d’intellectuels qui pensaient changer la chose avec des manifestations pacifiques et des pétitions. Avec des amis syriens, j’avais invité à Montréal Ryad El-Turk, un leader de la gauche qui venait de sortir de prison après 20 ans de tortures et d’exactions. On n’a même pas pu obtenir une audience au ministère des affaires étrangères à Ottawa.

Au tournant de 2012, la révolte a éclaté. Encore là, cela a pris la forme de manifestations pacifiques. L’armée a tiré dans le tas, faisant des tas de victimes. Déstabilisé par tant de violence, l’opposition a tenté de se regrouper au sein de la Coalition nationale syrienne regroupant une grande partie des forces démocratiques, laïcs comme religieux, de toutes les régions et de toutes les confessions (la Syrie est très multiconfessionnelle, avec notamment des musulmans sunnites, chi’ites et alaouites et des chrétiens). Mal dirigée, mal conseillée et aux proies à diverses influences extérieures, la Coalition n’a pas levé.

Des alliés importants des États-Unis, notamment l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, ont senti qu’ils pouvaient s’insérer dans le conflit pour en prendre le contrôle. Ils le faisaient en partie pour aider leurs relais locaux, plus ou moins liés à la mouvance islamiste-radicale, en partie pour détourner le printemps arabe vers la militarisation et la discorde. Et c’est ainsi que peu à peu, des organisations comme Jabhat al Nusra (branche d’Al Qaida en Syrie) et l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL ou en arabe, « DAECH »), se sont imposées grâce à l’afflux de dollars, d’armes et de « volontaires » (souvent salariés) qu’on laissait passer en toute complicité pour affronter l’armée d’el-Assad. mais aussi pour massacrer sans pitié les autres secteurs de l’opposition.

Peu de temps après, comme dans la fable de Frankenstein, le « monstre » s’est retourné contre son géniteur. Ainsi, l’EIIL a conquis une grande partie de l’Irak, refoulant l’armée du régime irakien bien connue pour sa corruption et ses pratiques d’exaction contre une partie de la population, notamment les sunnites qui sont la majorité à l’ouest et au nord du pays tout en pénétrant le nord de la Syrie. Depuis, l’EIIL est devenue la « menace terroriste » que la « civilisation occidentale » doit éradiquer. Entre les lignes, on comprend que les États-Unis et leurs alliés-subalternes sont dans une alliance implicite avec el-Assad dont l’armée est responsable de la plus grande partie des tueries et des destructions.

Sur le terrain entre-temps, des groupes résistent. À Alep, la deuxième ville du pays, l’armée ne peut pénétrer dans plusieurs quartiers. Des combattants protègent les gens, dans des conditions d’une incroyable adversité. Des médecins et des infirmières travaillent dans le fonds des caves pour soigner les blessés, très souvent des enfants. Si vous avez le temps, allez visionner un documentaire absolument époustouflant de Al-Jazzera (c’est en ligne : http://www.aljazeera.com/programmes/specialseries/2014/08/aleppo-notes-from-dark-20148412419590705.html). Je vous préviens, vous êtes mieux d’avoir une boîte de kleenex à côté de vous.

En tout cas moi ce qui m’a frappé dans ce film, ce n’est pas tant la destruction faite par l’armée, c’est le courage des gens. Les résistants opèrent par des comités locaux décentralisés, qui tentent de mettre tout le monde ensemble avec aucun autre projet que de rétablir la paix dans leur pays-martyr. Il y a des musulmans et des chrétiens, des libéraux et des socialistes, en fin de compte, la grande majorité de la population.

Tout en se battant contre el-Assad, les combattants doivent aussi résister à l’EIIL. À Salamiyah, une ville de 300 000 habitants (dont beaucoup de réfugiés) au nord de Damas entre Hama et Homs, les coordinations de base résistent à l’avancée des tueurs et administrent la ville. Des combattants et même des combattantes restent au poste, avec l’appui de quelques groupes de gauche comme les Factions de libération du peuple (FLP). Plus au nord, ce sont les groupes kurdes, notamment le PYD, qui forme la plus grande partie de la résistance. 

Pendant que la guerre avec les islamistes se concentre au nord et surtout en Irak, le régime d’el Assad a pratiquement les mains libres pour accentuer la destruction et le massacre des populations à l’ouest et au centre du pays où la présence de l’EIIL est très faible. Alep est pratiquement encerclée, L’aviation déverse ses barils d’explosifs sur les quartiers populaires. Un million de personnes sont menacées.

Il est temps que la solidarité s’organise.

Pour en savoir davantage sur la résistance syrienne, consulter la page FB du Collectif ARS en solidarité avec la révolution syrienne : https://www.facebook.com/La.Revolution.Syrienne.en.Francais).
 
Ce dimanche à Montréal et dans plusieurs villes du monde, il y aura des manifestations de solidarité. Le Collectif TADAMON est l’une des organisations à appeler à la solidarité :

http://www.tadamon.ca/

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