Radio-Canada a tardé avant d’annoncer le vainqueur de cette campagne électorale. Pourquoi tarder ? Ne savions-nous pas, au départ, c’est-à-dire en août dernier, que ce serait la CAQ… et c’est officiel maintenant à cause d’une seule chose : le mode de scrutin uninominal à un tour. Aujourd’hui, plus que jamais, une chose est certaine, le mode de scrutin uninominal à un tour est et reste le grand vainqueur du détournement électoral du 3 octobre 2022. À quoi s’attendre maintenant pour les quatre prochaines années ?
Des années ternes en vue…
Duplessis revendiquait pour le Québec « (l’)Autonomie provinciale ». Jean Lesage clamait à qui voulait l’entendre « Maîtres chez nous ». Danien Johnson face à Ottawa mettait de l’avant la position suivante : « Égalité ou indépendance ». Robert Bourassa avait forgé le concept de la « Souveraineté culturelle [1] ». Le Parti québécois a oscillé entre la « Souveraineté-association[2] » et la « Souveraineté avec plus ou moins d’associations avec le reste du Canada ». Le Parti libéral, depuis les années soixante, nous en a mis plein les oreilles avec différentes formules autour de « fédéralisme renouvelé [3] » ou le « Fédéralisme rentable ». François Legault pour sa part a pour vision, au sujet de l’avenir du Québec, une adhésion au fédéralisme comportant des revendications partagées avec certaines autres provinces du Canada anglais et une adhésion sans menace de rupture avec la structure politique canadienne. « Pas de chicane constitutionnelle », est le credo de la CAQ. Nous sommes en présence ici d’une adhésion ou d’une soumission de François Legault à l’AANB de 1867 et à la Loi constitutionnelle de 1982. Que revendique-t-il au fond pour assurer notre avenir culturel et politique ? Des choses illusoires. Il ne faut pas oublier que nous sommes toujours au Canada une minorité qui se fait contester le droit de se définir comme minorité au sein de ce deuxième plus grand pays au monde. Là est le problème. Quelle est la position du gouvernement de François Legault face à ces dispositions iniques de l’AANB et de la Loi constitutionnelle de 1982 à l’endroit du Québec ? Réponse : « Silence radio »… La déconflictualisation des rapports entre les fédéralistes et les nationalistes. Un repli frileux sur l’identité nationale. La crainte de l’autre qui est défini comme une menace suicidaire. Lui et certains de ses ministres utilisent des mots qui outrepassent possiblement leur pensée. Mais ces mots une fois prononcés nous amènent à nous demander s’ils sont racistes ou non ? Ceci nous amène à nous demander de quoi est faite l’idéologie qui porte François Legault dans sa gouverne ?
L’idéologie qui porte François Legault dans son exercice du pouvoir
François Legault est porté par une idéologie rétrograde en décalage avec les nouveaux défis qui nous confrontent. Sa compréhension du développement économique fait fi des contraintes écologiques. Les politiques qu’il propose n’ont rien de structurant. Rien ne nous annonce l’avènement de grands bouleversements dans le champ des rapports sociaux entre les hommes et les femmes ou face aux minorités opprimées. Étonnamment, le chef de la CAQ est probablement plus libéral qu’il le pense. Il a une conception du rôle de l’État et de l’organisation économique qui puise dans des auteurs comme les Smith et Freedman et non les Schumpeter et Keynes. La pandémie a eu pour effet de le contraindre à s’appuyer sur les ressources de l’État et des services parapublics. N’eût été cette pandémie, il aurait probablement réduit le nombre de fonctionnaires de 5000, comme il l’avait promis lors de la campagne électorale de 2018. Quoi qu’il en soit, il veut toujours continuer à confier notre développement économique aux entreprises privées. Dans sa vision du monde social, l’individu l’emporte sur le collectif. C’est l’individu qui fait les bons choix de programme scolaire et qui mérite, selon lui, d’être financé. Pas question donc pour lui d’abolir les droits de scolarité à l’université. Le chef de la CAQ tient au respect de la loi et l’ordre. Les syndicats ont une valeur uniquement utilitaire à ses yeux. Pas question non plus pour son gouvernement d’élargir ou de favoriser la syndicalisation de la main-d’œuvre sous-rémunérée. La position de son gouvernement dans ses négociations avec ses employéEs des secteurs public et parapublic est inflexible. Lui seul a la solution à imposer pour valoriser certainEs de ses salariéEs syndiquéEs. Aux groupes prioritaires identifiés par son gouvernement, il leur accordera un rattrapage salarial, aux autres une augmentation salariale en déca de l’inflation. Sous François Legault, plusieurs de ses propres salariéEs syndiquéEs se sont appauvriEs au travail. Sa vision de la prospérité passe par le laisser-faire et la générosité de l’État aux investisseurs privés. Sa vision « d’être Québécois » est frileuse et raciste. Ses politiques linguistiques, à l’endroit des immigrantEs, sont contestées à droite comme à gauche. En résumé, François Legault est un premier ministre typiquement provincial, qui n’a pas réalisé une percée significative auprès de l’électorat de Montréal. Il a une vision boiteuse de notre avenir collectif. Il n’a qu’un seul grand ami : l’argent. Nous retiendrons de son discours de la soirée électorale du 3 octobre qu’il a promis une valorisation de la profession enseignante. Nous verrons sous peu à quoi cela peut bien correspondre concrètement.
Et le gagnant, la gagnante est...
Incontestablement, si nous avons à déterminer qui est le grand gagnant ou la grande gagnante de cette soirée électorale 2022 sans surprise, force est de constater qu’il s’agit du système électoral uninominal à un tour.
Un système électoral qui accorde une généreuse majorité parlementaire à un parti politique qui a obtenu autour de 40% des suffrages exprimés (soit dans les faits environ seulement 25% des votes des citoyennes et des citoyens en âge de voter) est nécessairement l’outil indispensable aux victoires politiques aux apparences éclatantes. N’oublions pas que ce sont 60% des électrices et des électeurs qui ont voté contre les candidates et les candidats de la CAQ. Quiconque observe la vie politique depuis les cinquante dernières années a été en mesure de constater qu’il y a eu de nombreuses soirées électorales du genre "Grand balayage" en faveur d’un parti politique rouge, bleu ou bleu poudre... Ces victoires ne sont que des victoires fragiles et illusoires. Tôt ou tard, les partis politiques qui se hissent au parlement finissent par se faire détester de l’électorat et chasser du pouvoir. Parlez-en à Robert Bourassa, à René Lévesque et à Jean Charest. François Legault a beau célébrer sa victoire et prétendre qu’il a obtenu un mandat fort, il sait fort bien que ses assises sont fragiles. Il appartient maintenant aux partis de l’opposition de définir leur stratégie politique et parlementaire pour les quatre prochaines années. Les électrices et les électeurs qui exerceront leur droit de vote en 2026 décideront qui mérite de détenir le pouvoir pour les quatre années suivantes. Il y aura probablement aussi ce soir-là des distorsions entre le pourcentage des voix exprimées et le nombre de députéEs éluEs. Il sera probablement encore question d’une éventuelle réforme du mode de scrutin comme nous en entendons parler depuis l’élection du 29 avril 1970. Retenons de l’histoire que ni le PQ ni les libéraux ni la CAQ n’ont jugé bon, durant leur séjour au gouvernement, de réformer le mode de scrutin. Pourquoi ? Parce que les partis politiques savent que c’est par une minorité de voix qu’il est plus facile d’obtenir une majorité parlementaire. Morale de cette histoire : il se peut, en octobre 2026, que nous disions le soir de l’élection générale, "Et le gagnant et la gagnante est : le mode de scrutin uninominal à un tour..."
Tout fonctionne normalement, ça tourne en rond évidemment !
Qu’en est-il de l’avenir de la CAQ ?
La CAQ sera au pouvoir pour les quatre prochaines années, avec un peu moins de députéEs qu’anticipé. François Legault sera-t-il toujours, en 2026, le chef de cette formation politique sans grande vision d’avenir ?
Reprenons : Comment se restructureront les forces de l’opposition d’ici 2026 ? Là est la question comme dirait l’Autre ?
Yvan Perrier
4 octobre 2022
16h
yvan_perrier@hotmail.com
[1] Que son ministre Fernand Morin définissait comme correspondant à « la responsabilité ultime des décisions majeures concernant notre avenir collectif ».
[2] Qualifiée de « Souveraineté-bidon » par François Mitterand.
[3] Le politologue Léon Dion se définissait comme un « fédéraliste fatigué ».
Zone contenant les pièces jointes
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