Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Qui fut, que fut Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev ?

Gorbatchev ne fut pas le fossoyeur de la révolution : celle-ci était morte, au moins depuis la prise du pouvoir par Staline en 1928.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
3 septembre 2022

Par Daniel Tanuro

Les réseaux sociaux charrient beaucoup de bêtises sur Gorbatchev.

La révolution, c’est le pouvoir révolutionnaire du peuple auto-organisé dans des conseils - les « soviets ». Quand Gorbatchev est entré en fonctions, il y avait belle lurette que le pouvoir était aux mains exclusives d’une couche de bureaucrates qui vivaient comme des capitalistes.

Ces parasites ne faisaient même plus semblant de croire au socialisme : leur rêve était de s’approprier la propriété étatique pour la transmettre à leurs descendants, pour achever leur métamorphose et ne plus être obligés de suivre dévotement les dogmes de la religion d’Etat « marxiste-léniniste » (pauvre Marx, pauvre Lénine).

Cette clique de vieillards a mis Gorbatchev au pouvoir pour tenter de sauver le système de l’effondrement. Car tous le savaient : l’effondrement paraissait inévitable.

Le plan de Gorbatchev était d’introduire des réformes de marché pour dynamiser l’économie planifiée (perestroika) et des réformes démocratiques pour donner une légitimité au pouvoir de la bureaucratie (glasnost). Il n’était pas de faire éclater l’URSS ni de rétablir le capitalisme.

Gorbatchev a échoué pour toute une série de raisons (l’Afghanistan, Tchernobyl, la course aux armements de Reagan...). L’ambiance de « fin de système » a exacerbé la guerre des clans au sein de la bureaucratie, on sentait venir la curée, chaque bureaucrate voulait s’assurer son pouvoir pour l’après, par tous les moyens. Les forces centrifuges ont grandi, notamment au niveau des républiques fédérées.

Mais le fond de l’affaire est que le monstrueux système d’une économie collectivisée fonctionnant (très mal) au service d’une caste bureaucratique et aux dépens des classes populaires était impossible à réformer.

Il n’y avait que deux solutions : soit une révolution anti-bureaucratique avec réinvention du pouvoir populaire soviétique ; soit le rétablissement du capitalisme par la dictature des bureaucrates achevant leur mutation en capitalistes et faisant leur jonction avec le capital international. Après des décennies de totalitarisme et de mensonge, la première solution était devenue infiniment improbable.

Le parti communiste chinois a vite tiré les leçons de Gorbatchev : perestroika oui, glasnost non. Et surtout pas de droits démocratiques pour les nationalités de l’Empire !

C’est ainsi que la bureaucratie a réussi à garder le pouvoir tout en se transformant et en transformant la Chine en grande puissance impérialiste... au prix d’une dictature de fer exercée par un appareil policier hérité du stalinisme, qui emploie les méthodes high tech de la Silicon Valley.

Poutine aussi a tiré les leçons. Plutôt que le plan « naïf » de Gorbatchev, avec sa « glasnost », il aurait fallu en 1988-1991 couper les têtes, mettre au pas les Polonais, les Baltes, les Ukrainiens, les Géorgiens. Envoyer les chars, comme a Prague en 1968 et à Budapest en 1956.

Pour Poutine, cette dictature aurait dû être installée dès le début, car elle était le complément naturel de l’appropriation de la propriété étatique par la bureaucratie. La transformation des bureaucrates en oligarques capitalistes se serait faite alors de façon centralisée, sous la houlette de Moscou, au lieu de se faire de façon chaotique, sauvage, éclatée, dans des républiques indépendantes.

Poutine veut faire tourner la roue de l’histoire à l’envers (dans la mesure du possible de son armée) pour donner aux oligarques l’empire russe qu’ils n’auraient, selon lui, jamais dû perdre. Un empire base sur les céréales et les énergies fossiles. C’est le sens de la guerre en Ukraine et c’est bien de guerre impérialiste qu’il s’agit.

Faire tourner la roue de l’histoire à l’envers définit le fantasme réactionnaire. A l’époque de l’impérialisme, celui-ci a toujours les traits du fascisme. C’est le sens de l’idéologie qui accompagne la guerre contre l’Ukraine. Ce n’est pas par hasard que Douguine est un adepte de l’occultisme et un admirateur d’Evola. Ce n’est pas par hasard que le crime de Poutine est béni par le patriarche Kyrill en tant que croisade contre les gays et lesbiennes, ces « dégénérés de l’Occident ».

Et la gauche, là-dedans ? Elle est rattrapée par son histoire, par ses histoires.

Celles et ceux qui n’ont rien compris au phénomène bureaucratique, celles et ceux qui ne comprennent pas que Staline a dirigé une contre-révolution, qui pensent au contraire que le goulag, les procès de Moscou et le pacte avec Hitler ont « sauvé le communisme », sont bien démuni.e.s aujourd’hui. Leur logiciel politique défectueux les pousse à s’aligner dans le « camp » de Poutine.

Certains le font ouvertement, d’autres hypocritement, au nom de « la paix, de la »coexistence pacifique« (on croirait entendre les eurocommunistes du siècle passé !) et de la priorité aux problèmes sociaux des travailleurs »chez nous« (ça ne vous dit rien, ce « chez nous » ?). Mais dans les deux cas, le résultat est catastrophique : une politique contraire aux droits des peuples, à l’internationalisme, donc à la révolution, est menée en se drapant dans le drapeau rouge-brun d’un soi-disant « marxisme-léninisme » . « L’histoire est notre livre », disait Marx. Se tromper de livre est dangereux. C’est comme se tromper d’aiguillage. Dangereux. En particulier quand on pense que le Livre est sacré.

Daniel Tanuro

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