C’est en ce sens que l’Université d’été des Cahiers du Socialisme (qui s’est déroulée à l’UQAM entre le 15 et le 17 août) fut une véritable réussite. Et cela, aussi bien en raison du nombre de participants (en moyenne 200 participants par jour) que de la présence d’intervenants de grande qualité (Immanuel Wallerstein, Alain Deneault, Éric Martin, Gilles Bourque, etc.) et de la façon dont elle a été conçue et structurée par ses promoteurs.
En effet, ce qui a été l’une de leurs grandes préoccupations, ce fut de privilégier une approche méthodique et rigoureuse, mais aussi de maintenir un certain équilibre tant au niveau des multiples préoccupations des participants que de leur grande diversité en termes d’âge comme d’insertion sociale et politique. D’où les trois axes très différenciés de cette année (Une ville pour tout le monde ; Le Québec dont nous rêvons ; La pensée critique aujourd’hui), mais aussi les grands débats qui tentaient d’assurer ainsi une certaine cohésion entre tous et toutes (Repenser l’émancipation ; Corruption et capitalisme, le message autochtone, la gauche québécoise et la question nationale).
Grande hétérogénéité
Ce succès, on le doit sans doute aussi au choix même des thèmes qui, chacun à sa manière, recoupaient de manière très forte l’actualité sociale et politique du Québec ainsi que les problèmes qu’elle pouvait soulever en termes d’action et de réflexion pour la gauche. Qu’on songe à ce propos à la question autochtone « remise sur la map » par le mouvement « Idle no more », ou à la question de la ville si souvent oubliée par la gauche à l’heure des élections municipales toutes proches et des défis de la corruption, ou encore à la persistance, au fil des reniements péquistes, de la question nationale et des défis qu’elle pose à la gauche, ou enfin à la remontée de la droite au fil d’un nationalisme identitaire chaque fois plus exacerbé. Il y avait donc matière à un remue-méninge particulièrement fécond.
Mais au-delà même de la richesses des débats soulevés, ce qui a finalement retenu mon attention, c’est une question ouverte par la grande conférence d’Immanuel Wallerstein et qui apparaissait en filigrane dans nombre d’interventions subséquentes : quel est le portrait qu’on doit se faire de la situation sociale politique du Québec (et du monde) ainsi que de la place que la gauche pourrait y occuper ? Comme si la grande hétérogénéité des thèmes abordés avait laissé en suspens cette question, ou tout au moins ne nous avait pas donné l’occasion de l’approfondir suffisamment. Or quelque part la réponse qu’on lui donne, conditionne en bonne partie le type même de réflexion menée.
Optimiste ou pessimiste ?
On peut en effet comme l’explique bien Pierre Beaudet dans son dernier blogue sur Presse-toi à gauche « rester (modérément) optimiste et mettre l’accent sur le fait que les choses bougent » et sur le fait que « l’humanité est actuellement enceinte d’un nouveau projet », et que sur cette base (« ces carrés rouges qui sont partout ») on peut commencer à bâtir « le projet contre-hégémonique » dont nous avons tant besoin aujourd’hui. On peut du même coup, considérer « qu’il n’y a pas de chemin tracé d’avance » et que ce dernier « se construit en marchant », en se laissant ainsi porter par la vague ou en l’accompagnant pas à pas.
Mais on peut aussi –autre façon de regarder le même phénomène— être frappé par l’immense hétérogénéité et précarité des résistances collectives actuelles –aussi radicales soient-elles par ailleurs (voir les carrés rouges !)— et surtout par leur incapacité présente, à ne serait-ce que mettre un holà aux menées néolibérales. On peut aussi s’inquiéter de la "droitisation" de la société entière et des difficultés de la gauche à la freiner ou à apporter une réponse à la crise du politique, en se demandant à quel niveau ont pu errer les mouvements sociaux, le mouvement syndical et les partis de gauche, etc., en somme tout ce qui de près ou de loin appartient à la gauche et n’est pas arrivé à faire échec à la droite. Non pas par masochisme ou pessimisme intrinsèque, mais parce qu’il y a urgence en la matière, et parce qu’on n’a pas nécessairement tout fait ce qu’on aurait pu faire. De quoi obliger la réflexion à être aussitôt plus concrète et précise, et donc plus plus critique et bousculante ; de quoi lui donner aussi une orientation plus ciblée, une dimension plus pratique et politique.
Par exemple, cette montée de la droite (un des thèmes travaillés dans l’axe 2) que la gauche n’arrive pas vraiment à contenir au Québec, ne la doit-on pas aussi à la difficulté de la gauche (syndicale, politique, etc.) à penser la question nationale comme étant inextricablement liée à la question sociale et ainsi à se doter de moyens efficaces pour faire mieux pièce au discours identitaire péquiste et à cette remontée d’un nationalisme de droite ?
Il y aurait donc une réflexion à mener et à approfondir sur les caractéristiques de la période sociale et politique que nous sommes en train de vivre ; une réflexion qui nous aiderait à mieux saisir les implications pratiques et politiques qui en découlent, notamment au niveau de la question si nouvelle et difficile des modalités de ce que Pierre Beaudet appelle à juste titre "la construction d’un contre pouvoir hégémonique" .
Après tout, cette tentative de caractérisation de la période pourrait être une des pistes possibles pour une prochaine université d’été. Manière de poursuivre la riche réflexion entreprise et de nous aider, par-delà tous nos points aveugles, à y voir plus clair et à mieux orienter dans le concret des luttes, nos pratiques militantes de demain !
Pierre Mouterde
sociologue et essayiste
Dernier ouvrage (avec Patrick Guillaudat) : Hugo Chavez et la révolution bolivarienne, Promesses et défis d’un processus de transformation sociale, Montréal, Éditions M, 2012. Voir son site : http://www.lestempspresents.com/Les...