Édition du 17 décembre 2024

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Politique québécoise

Lorsque les élus sont inféodés à plus puissants qu’eux la démocratie perd son sens

Québec : une motion crève-coeur

Je viens de prendre connaissance de la motion votée par l’Assemblée nationale du Québec sur l’assassinat de Ben Laden et la lutte contre le terrorisme. En tant que Québécois de classe moyenne, je suis scandalisé que l’ensemble des parlementaires, sauf un, ait voté pour cette motion.

Ma frustration est d’autant plus grande que je connais de ces parlementaires qui ont une connaissance élargie de ce qui se passe dans le monde, qui savent les avenants et aboutissants de ces jeux de coulisses où on pourrait en arriver à négocier jusqu’à sa propre mère ou son propre père, tellement la morale n’existe plus à ces niveaux..

Par cette motion, l’Assemblée nationale rappelle, « à la suite de la mort d’Oussama ben Laden qui a orchestré les attentats du 11 septembre, que le Québec a été et continuera d’être un allié de l’ensemble de la communauté internationale en matière de sécurité et plus particulièrement face à la menace terroriste ».

Ainsi, le Parlement québécois « salue la persévérance et la détermination des États-Unis et de ses alliés dans la recherche d’une plus grande sécurité à l’échelle mondiale ».

De plus, dans cette motion, Québec « souligne l’importance de demeurer vigilant et réitère son appréciation de la contribution des Québécoises et des Québécois déployés en Afghanistan, notamment dans la lutte continue contre le terrorisme ».

Sur le premier point, personne, à ce que je sache, n’a encore apporté des preuves en béton à l’effet que Ben Laden avait orchestré les attentats du 11 septembre 2001. Lorsque les Talibans avaient alors proposé à l’Administration étatsunienne de leur remettre Ben Laden sur présentation de preuves à l’effet qu’il en était l’auteur intellectuel, ils n’ont rien reçu de leur part. Depuis lors la rumeur, reprise des dizaines de milliers de fois comme vérité, s’est effectivement transformée en vérité. Pourtant l’occasion eut été toute indiquée pour clarifier cette question en arrêtant Ben Laden et en le faisant témoigner sur les accusations qui pesaient contre lui. Il eût été important d’entendre sa version des faits pour que justice soit faite dans le respect du droit international et en conformité avec les valeurs morales qui nous inspirent comme société. Il n’en fut rien. La consigne a été plutôt de l’assassiner. Je me demande si nos représentants à l’Assemblée nationale auraient voté la même résolution sur la mort de Ben Laden s’ils avaient pris connaissance de ce qu’en dit Noam Chomsky, intellectuel de réputation internationale.

La motion poursuit en disant que « le Québec continuera d’être un allié de l’ensemble de la communauté internationale ». Toutefois, elle se garde bien d’en préciser la nature et les références. L’utilisation de cette appellation « la communauté internationale » peut parfois se référer à 5 ou 20 pays tout comme aux 192 pays membres de l’Assemblée générale des Nations Unies. Il est donc important de savoir quels sont les pays qui sont concernés lorsqu’on utilise cette expression de la « communauté internationale ».Or, dans bien des cas, nos politiciens et nos médias parlent de la communauté internationale alors qu’ils devraient plutôt parler de « blocs régionaux de pays » partageant les mêmes intérêts. La véritable communauté internationale ne peut être représentée dans son entier que par l’Assemblée générale des Nations unies.

Depuis plus de 15 ans, cette Assemblée générale des Nations Unis vote à plus de 95% une résolution condamnant « le blocus économique » imposé par les États-Unis au peuple cubain. Ce blocus est l’expression d’un plan qui remonte à plus de 50 ans alors que les États-Unis étaient sous la gouverne du président Dwight Eisenhower. Il disait, entre autres, « L’unique moyen possible pour lui(Castro) faire perdre l’appui interne est de provoquer la désillusion et le mécontentement en provoquant l’insatisfaction économique (...) et la pénurie. (…) Il faut mettre rapidement en pratique tous les moyens possibles pour affaiblir la vie économique (…) refusant à Cuba argent et biens de toute nature de manière à réduire les salaires et l’emploi, provoquant ainsi la faim, le découragement et la chute du gouvernement. » Cette façon de faire et de se comporter va à l’encontre du droit international et de la Charte des Nations Unies. Chaque fois, le Canada vote pourtant en faveur de cette motion, mais sans jamais y mettre l’énergie qu’il faudrait pour la faire respecter. Pourquoi ? Ne s’agit-il pas, dans ce cas précis d’une forme de terrorisme qui affecte directement la vie de millions de personnes ?

Quant à la « persévérance des États-Unis et de ses alliés dans la recherche d’une plus grande sécurité à l’échelle internationale » il eût été important que l’Assemblée nationale se demande de quelle sécurité dont il est question et pour qui. Dans les faits nous savons qu’il s’agit de la sécurité des pays les plus industrialisés et les plus nantis de la planète. L’occasion eût été bien choisie pour s’interroger sur la présence et l’usage d’autant d’armes dans des pays qui ne représentent pourtant aucune menace pour nous. Ne devenons-nous pas avec nos armes et nos armées des terroristes vêtus en soldats pour abattre des adversaires politiques, prendre le contrôle des principaux pouvoirs et disposer d’avantages stratégiques ? N’est-ce pas là la voie choisie pour dominer telle ou telle région du monde tout en y puisant les richesses dissimulées dans leurs montagnes ou dans les profondeurs de leurs terres ?

Comment pouvons-nous, en bonne conscience, revendiquer les grandes valeurs d’un Occident qui se dit et se réclame de la chrétienté tout en défendant des privilèges et des conquêtes qui ne reposent que sur la cupidité, l’appât du gain et les ambitions de domination ? La première et la plus fondamentale des violences n’est-elle pas celle qui transforme les peuples en subordonnés et en main d’œuvre bon marché pour exploiter leurs richesses et s’assurer ainsi les avantages et privilèges de ceux qui dominent et dirigent ? Nous savons que le maintien des niveaux de vie atteints dans les sociétés développées dépend de plus en plus de l’accès facile et à bon prix à certains produits devenus indispensables comme le pétrole et certains minerais. Tous les moyens deviennent bons pour s’en emparer.

Qui sont, aujourd’hui les véritables terroristes ? Ne sont-ils pas ceux-là mêmes qui oppriment par vengeance, qui exploitent par cupidité, qui dominent par ambition ? Quelle place occupe donc cet humanisme que nous prêchons, faisant de tous les humains des frères, proclamant que les biens de la terre sont patrimoine de l’humanité entière ? La justice et le respect des droits fondamentaux des peuples et des personnes ne sont-ils pas les fondations les plus solides de la sécurité et de la paix ? Pourtant, de cela, la motion de l’Assemblée nationale ne parle pas.

En Amérique Latine, des milliards de dollars sont dépensés pour créer la bisbille dans les pays émergents et démocratiques dans le seul but d’en reprendre le contrôle et d’en exploiter les richesses aux conditions des belligérants. Que l’on pense à la Bolivie, au Venezuela, à l’Équateur, au Nicaragua, au Honduras, à l’Argentine et au Brésil, que d’actions terroristes, pilotées et financées par ceux-là mêmes qu’honore, par cette motion, notre Assemblée nationale. Des interventions qui s’articulent à tous les niveaux : infiltrations dans les divers paliers gouvernementaux, dans les forces armées, dans les corps policiers, dans les organisations sociales. Tout ce montage conduit à des opérations de sabotages et de corruption, ayant tous pour objectifs la déstabilisation et le discrédit de ces gouvernements dont le seul péché est de se considérer indépendants et souverains. Ils n’ont absolument rien de terroristes et témoignent d’une démocratie qui devrait nous faire rougir. Pourtant la motion salue plutôt la persévérance et la ténacité des États-Unis à… sans relever ces initiatives étatiques qui vont à l’encontre de la paix et de la sécurité.

Ces comportements de certaines forces belligérantes se retrouvent un peu partout à travers le monde, là où intérêts stratégiques et richesses se combinent. S’il faut demeurer vigilant c’est à l’endroit de ces manipulations qui entraînent nos gouvernements, nos armées, nos soldats sur des terrains minés, sous de fausses bannières, faisant payer aux citoyens ordinaires la note de ces conquêtes.

Quelle tristesse que celle de sacrifier sa liberté de penser et ses convictions profondes à des impératifs de politiques mesquines, trompeuses et inspirées par les grands mandarins et prédateurs de la planète. Dire que nous appelons cela démocratie et liberté.

Je ne puis que saluer le courage de M KHADIR de ne pas s’être prêté à ce jeu hypocrite de la lutte contre le terrorisme. Ne fallait-Il pas aborder la question du terrorisme d’État ainsi que celle de nos solidarités internationales ? Ne fallait-il pas se demander si notre participation à la guerre en Afghanistan et maintenant à celle en Libye ne faisaient pas de nous des terroristes ?

Lorsque la morale a pour limite la volonté du prédateur, l’homme devient alors un inféodé sans morale.

Oscar Fortin

Québec, le 11 mai, 2011

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