Une première nécessité : caractériser les politiques migratoires des gouvernements néolibéraux à Ottawa comme à Québec.
La politique canadienne en matière d’immigration est entièrement soumise aux besoins du capitalisme et conforme aux intérêts des grandes entreprises. Les personnes migrantes sont considérées comme des réservoirs de main-d’œuvre. Si cette main-d’œuvre est qualifiée, elle a accès à la résidence permanente et donc éventuellement à la citoyenneté. L’immigration choisie est de plus en plus définie précisément pour des entreprises particulières pour répondre à leurs besoins.
Mais, c’est l’immigration de travailleurs et travailleuses temporaires qui s’est le plus développée ces dernières années. Les programmes des travailleurs immigrants temporaires sont principalement destinés à apporter de la main-d’œuvre saisonnière dans l’agriculture, à fournir des aides familiales ; à pallier le manque de main-d’œuvre dans les secteurs de la santé et des services sociaux ; dans l’hôtellerie, etc. Ce sont des travailleurs et travailleuses sans droits et sans pouvoir réel de se défendre face à la réalité de la surexploitation, car toujours sous la menace d’une possible expulsion. La stabilité du séjour est de plus en plus remise en question les maintenant dans une situation de précarité et de vulnérabilité. Récemment, le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a annoncé « que son gouvernement compte réduire la proportion de résidents temporaires au sein de la population canadienne au cours des trois prochaines années. » [1] Le plafond des travailleurs étrangers temporaires pouvant être engagés passerait de 30 à 20% et les exigences fédérales demandant aux employeurs de démontrer qu’ils ont été incapables de trouver de la main-d’œuvre locale seront plus sévères. » [2] Cet ajustement repose sur la transformation du climat politique, soit la montée des discours de plus en plus conservateurs sur l’immigration. Tout cela repose sur l’espoir de pouvoir en tirer une rente électorale.
Etre sans papier devient un statut durable pour de plus en plus de personnes immigrantes. Ce sont des personnes sans droit et disponibles à bas coût pour les entreprises. « Si le nombre précis de sans-papiers au Canada reste méconnu, on parlait potentiellement d’un demi- million de personnes concernées, voire davantage. ». Le gouvernement libéral à un temps promit une régularisation massive et historique des sans-papiers au Canada. C’est pourquoi les demandes de régularisation massive ont été de plus en plus insistantes de la part des organisations des travailleurs et travailleuses migrants. Mais, en ce domaine également, le climat politique serait moins propice. [3]. Le gouvernement Trudeau a ainsi laissé tomber ses promesses de rédularisation massive.
Dans l’ensemble des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord, le droit d’asile est bafoué. L’accueil comme réfugié est de plus en plus difficile. Les demandeurs d’asile font face à de plus en plus d’obstacles et de délais pour que les demandes d’asile soient acceptées. Ces délais les placent souvent dans une situation de personnes sans droit et sans papier qui peuvent difficilement vivre dans des conditions sûres et humaines. Ces personnes font souvent face à des arrestations, à des enfermements et à des expulsions. La notion de réfugié a été de plus en plus réduite et l’accès à ce droit se trouve limité aux personnes qui fuient les dictatures et la guerre et dont la vie même est menacée.
La politique migratoire du gouvernement du Québec s’inscrit purement et simplement dans la même logique utilitariste. Les particularités du gouvernement Legault se retrouvent que dans sa volonté d’accentuer des orientations du gouvernement fédéral : moins d’immigrant-e-s, moins d’étudiant-e-s étrangers, et surtout une attitude plus dure en ce qui concerne les demandeurs d’asile et les possibilités de recomposition familiale. Et pour parvenir à ces fins, le gouvernement Legault demande le transfert de plus en plus de pouvoirs en ces matières vers le Québec. Sous la pression du Parti québécois, il a même affirmé vouloir récupérer tous les pouvoirs, demande que le gouvernement Trudeau s’est empressé de rejeter.
Pour renforcer son orientation d’une immigration choisie et utilitaire, le gouvernement de la CAQ, appuyée par le PQ [4] abreuve la population de discours xénophobes qui présentent les personnes migrantes comme un problème et une menace pour nos conditions de vie, nos services sociaux et notre avenir national. Il travaille à construire un consensus favorable à la fermeture des frontières, car les migrant-e-s seraient trop nombreux. Ces discours ne sont pas propres aux Québec. Dans l’ensemble des pays capitalistes avancés, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, ils développent des politiques visant à transformer ces pays en forteresse assiégée. On voit se multiplier les murs et se renforcer les politiques répressives contre les immigrants.
Au-delà de l ‘immigration choisie, les fondements de migrations plus massives
La migration est un phénomène historique (forcé ou propulsé) par les rapports d’exploitation, d’oppression et maintenant par la crise climatique. Les causes des déplacements forcés des populations sont toujours plus nombreuses au 21 e siècle. Les interventions militaires, le financement des dictatures, le pillage des ressources naturelles ou alimentaires, les accords commerciaux inégaux de libre-échange, l’exacerbation de la crise climatique poussent aux migrations. Ces dernières se font encore principalement sur un axe Sud-Sud. Mais les migrations vers le Nord commencent à devenir plus importantes.
Il faut donc comprendre que les migrations ne se limitent pas à l’immigration choisie pour le bien des entreprises ou des services sociaux d’ici. Les migrations sont liées soit à des conflits géopolitiques souvent provoqués par des interventions impérialistes (Vietnam, Afghanistan, Syrie, Ukraine…) soit à la détérioration des conditions d’existence de régions entières (Afrique, Amérique centrale et du sud...). La montée des migrations s’explique par le fait que des personnes ne trouvent pas la possibilité de vivre dignement là où elles se trouvent. Si on ajoute aux causes économiques et sociales, les conséquences de la crise climatique sur les déplacements des sociétés humaines, l’attitude la moins réaliste est celle du refus de préparer et de planifier les déplacements de population qui s’annoncent. Se limiter à l’immigration choisie pour les besoins économiques des entreprises et à l’accueil parcimonieux des réfugié-e- s, c’est refuser de reconnaître la réalité de la recrudescence des migrations en cette période de crise et de chaos. Ce ne sont pas les murs, des clôtures ou des quotas qui nous aideront à faire face à ces réalités.
Les nouvelles inflexions de la politique migratoire de Québec solidaire
Déjà une orientation utilitariste s’était manifestée durant la dernière campagne électorale, mais les récentes entrevues de Guillaume Cliche-Rivard dans le cadre du conflit sur cette question entre Québec et Ottawa semblent approfondir cette dérive. Nous croyons que Québec solidaire ne pourra éviter de reprendre le débat. Le programme actuel demeure à ce niveau peu développé et insiste sur les rapports entre l’immigration et la langue française. [5] La faiblesse de cette orientation repose sur la négligence manifestée jusqu’ici à envisager l’évolution concrète des réalités migratoires dans le contexte de la mondialisation capitaliste et de la crise climatique. Les orientations que nous devons développer à cet égard sont restées en friche.
Durant la dernière campagne électorale, Québec solidaire parlait d’un seuil entre 60 000 et 80 immigrant-e-s par an en ce qui concerne l’immigration permanente. [6] Il proposait un plan intitulé « objectif Régions » qui s’adressait à ceux qui s’établissent en région et qui y cumulent 12 mois d’emploi avec une preuve d’intention d’y demeurer. « Ce programme permettra, écrivait-on, de répondre à la pénurie de main-d’œuvre touchant différents services essentiels comme dans le réseau de la santé ou dans les écoles par exemple, en plus d’assurer la revitalisation économique en région ». [7] On aurait pu s’attendre à une critique de l’ensemble de la politique du gouvernement Legault en immigration et à une rupture avec une logique utilitariste de l’immigration brimant les droits des personnes migrantes, mais tel n’a pas été malheureusement le cas.
La proposition de régularisation était marquée par une prudence. Cette régularisation suggérée toucherait 10 000 personnes par an et aurait comme objectif d’en intégrer un certain nombre dans l’économie formelle. [8], On est loin de l’objectif d’une régularisation générale et massive comme le demandaient les organisations des travailleurs et travailleuses migrants. [9]
En ce début d’année, le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel-Nadeau Dubois, déclarait qu’il y avait trop d’immigrant-e-s temporaires au Québec que ce soient des étudiant-e-s étrangers, des travailleurs ou travailleuses temporaires ou encore des demandeurs d’asile. Il faisait référence au nombre de 528 000 immigrant-e-s temporaires. [10]
Dans une entrevue à la télévision de Radio-Canada, le responsable parlementaire du dossier immigrant et député de Saint-Henri-Sainte-Anne, Guillaume Cliche-Rivard, allait encore plus loin. Il y affirmait que le Québec faisait plus que sa part. Il envisageait l’hypothèse de réduire le nombre de ces travailleurs et travailleuses immigrants temporaires à 350 000 ou 325 000. [11] Et il soulevait l’hypothèse d’envoyer vers l’Alberta par autobus, les immigrants temporaires consentants. « Je suis certain qu’il y a des milliers de gens qui veulent, qui sont volontaires pour aller dans le reste du pays puis ça pourrait réduire la pression sur le Québec, » [12], Mais il faut faire cela, ajoutait-il, en protégeant les secteurs clés de l’économie comme les services sociaux, la construction et les régions qui ont besoin de ces travailleurs immigrants temporaires. Il faudrait donc cibler des secteurs dans cette réduction des travailleurs temporaires. [13]
En somme, Québec solidaire, en ce qui concerne la politique migratoire, affirmait défendre deux priorités : faire respecter les pouvoirs du Québec en matière d’émigration et s’appuyer sur un comité d’expert-e-s pour établir la capacité d’accueil. « On est rendu à 530 000 immigrants temporaires, la capacité d’accueil actuelle est dépassée, dit M. Cliche Rivard. On veut que des économistes, des démographes, des gens des services publics, des experts en francisation qualifient la capacité d’accueil de chacune des régions en fonction de la disponibilité en logement, des services publics, de la capacité de francisation et aussi de l’apport de l’immigration dans l’économie. À partir de là, on pourra prendre nos décisions politiques. Et si on veut augmenter nos capacités d’accueil, il faut investir. » [14] Il reprenait essentiellement les mêmes propos lors de son entrevue à l’émission Tout un matin avec Patrick Masbourian, [15]. Dans cette entrevue, il se portait d’abord à la défense du pouvoir du Québec et stigmatisait l’incapacité du gouvernement Legault de défendre les droits du Québec en matière d’immigration.
Une politique migratoire de gauche doit rompre avec cette approche utilitariste et à courte vue Québec solidaire en matière migratoire doit faire primer les droits humains sur les besoins du capitalisme. Un parti politique de gauche doit donc sortir de la vision utilitariste des gouvernements et entreprises capitalistes qui justifient essentiellement l’acceptation des personnes migrantes que par les besoins de main-d’œuvre ou par l’accueil de réfugié-e-s dont la vie est menacée.
Québec solidaire doit rompre avec la logique de l’établissement de quotas, ouvrir les frontières et garantir la liberté de circulation et d’installation. Personne n’est illégal sur Terre. Tout le monde doit avoir le droit de se déplacer. Les frontières doivent être ouvertes à tout-tes celles et ceux qui fuient leur pays, que ce soit pour des raisons sociales, politiques, économiques ou environnementales. L’ouverture des frontières ne signifie pas que les flux migratoires ne sont pas régulés, mais que cette régulation se fait à partir des conditions et de principes fondamentaux qui affirment que les immigrant-e-s son une richesse et que fermer les frontières est inefficace et inhumain.
La politique migratoire d’un Québec indépendant
Québec solidaire ne peut centrer son programme face à l’immigration à l’exigence de transferts de pouvoirs vers un gouvernement néolibéral comme celui de la CAQ. Le véritable transfert de ces pouvoirs pourra se réaliser dans un Québec indépendant. Et les pouvoirs que son indépendance lui donnera doivent s’inspirer d’une solidarité agissante et humaniste envers les personnes migrantes.
Afin d’éviter un processus de morcellement de la population d’un Québec indépendant entre ceux e celles qui ont des droits et ceux et celles qui en ont pas ou peu, il faut garantir l’égalité des droits à toutes les personnes habitant le territoire. L’égalité des droits implique la libre circulation, mais aussi la reconnaissance d’une série de droits : droit de s’installer durablement, droit de travailler, de recevoir un salaire égal pour un travail égal, droit de vivre en famille, droit à la citoyenneté, droit à l’accès à la sécurité sociale et aux services sociaux, droit à la syndicalisation, droit à un salaire égal pour un travail d’égale valeur.
Affirmer une telle politique migratoire, c’est faire le choix que l’extension des droits fondamentaux aux exilé-e-s et aux immigré-e-s. Cette orientation doit être partie prenante de notre projet d’indépendance nationale et peut contribuer à la création de liens de solidarité avec les peuples du monde contre les politiques de l’oligarchie et de leurs gouvernements.
Ces orientations doivent être discutées. Elles renforceraient la capacité de Québec solidaire à faire face à la montée des discours de droite et à leur promotion de la xénophobie.
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