D’emblée, Françoise David, commença par une définition de ce qu’est être de gauche. “Être de gauche, c’est remettre en question du statu quo, que l’on parle d’économie, que l’on parle d’environnement, que l’on parle de remise en question de rapports de pouvoir au plan politique. La gauche ce sont des mouvements et des partis attachés à la justice sociale, à des changements qui vont nous amener comme société à remettre en question les immenses rapports de pouvoir, imposés par le capitalisme prédateur sur le plan de l’environnement et des droits humains”. En ce sens, il n’y a jamais eu de parti de gauche au pouvoir. Et elle conclut qu’il lui semble tout à fait possible que la population élise un parti de gauche, féministe et souverainiste.
Michel David ne donne pas cher de la gauche. D’autant qu’il trouve que nous vivons dans la société sans doute la plus progressiste en Amérique du Nord. À l’aulne de la comparaison, notre situation est plutôt enviable. Au Québec, 49 % des gens sont incapables de lire un texte le moindrement complexe et donc de suivre un débat nuancé et de faire la part des choses. De plus il y a dans la population un manque important de respect et de confiance envers l’État. Il en conclut, s’adressant à Françoise David, "nous prendrons notre retraite avant de voir la prise du pouvoir par la gauche."
Pas plus que Michel David, Jean-François Lisée ne donne une quelconque définition de la gauche. Il se contente d’affirmer qu’on est toujours à gauche ou à droite de quelqu’un. Pour lui d’ailleurs, non seulement la gauche peut prendre le pouvoir. Mais elle était au pouvoir lorsque le gouvernement péquiste dirigé par Lucien Bouchard était au pouvoir. Équité salariale, mise en place de garderie à 5$, généralisation de maternelle à 5 ans, adoption de la loi contre la pauvreté, mise sur pied des CLD... Voilà des exemples d’une gauche au gouvernement. Mais il a fallu que des gens qui se trouvaient encore plus à gauche ne se contentent pas de ces avancées de la gauche efficace et qu’ils fondent un nouveau parti, Québec solidaire, introduisant la division de la gauche et des difficultés supplémentaires pour la prise du pouvoir par la gauche. Sans donner une définition explicite pour Jean-François Lisée, un gouvernement qui adoptait certaines mesures sociales et favorisait une certaine redistribution des richesses s’inscrivait dans le camp de la gauche... Et de telles politiques laissait-il sous-entendre devraient rallier les personnes qui se disent de gauche.
Marie Grégoire également, réfutait pour sa part, le thème du débat d’une gauche condamnée à l’opposition. Elle n’hésita pas à affirmer que des gouvernements sociaux-démocrates ont dirigé le Québec pendant plusieurs années. Sans doute, pensait-elle, au Parti libéral du Québec de Jean-Lesage ou au Parti québécois de René Lévesque... Les exemples qu’elle donnait pouvaient nous laisser soupçonner qu’un gouvernement interventionniste en politique économique serait, par elle, caractérisé de gouvernement de gauche.
Après ce premier tour de parole... ce qui était à boire et à manger avait été lancé sur la table dans un désordre assez invraisemblable... et nos convives n’avaient guère le choix que de faire avec cette mise en place.
Dans un deuxième temps, Françoise David voulut placer un bémol bien senti sur son affirmation selon laquelle il n’y avait jamais eu de gouvernement de gauche au Québec. En écho à Marie Grégoire, elle a souligné que les gouvernements de Jean Lesage et de René Lévesque avaient introduit des choses structurantes pour le Québec. Elle rappela les réformes de la Révolution tranquille, la loi 101 et la loi anti-scab adoptée par le premier gouvernement Lévesque. Il y a eu en effet des moments où on a vécu une véritable social-démocratie, précisa-t-elle.
Mais elle ne pouvait pas ne pas s’opposer au panégyrique de Jean-Françoise Lisée. Le gouvernement Bouchard a bien adopté des mesures comme les CPE... et certaines autres mesures progressistes, mais il a fait le contraire. Les revendications mises de l’avant par la Marche des femmes en 2000 ont toutes été rejetées par ce gouvernement. Les femmes ont été appauvries. Ce n’est pas la gauche cela. En 2012, on a fait élire 2 députés, ce n’est pas ça qui a empêché que le PQ fasse élire un gouvernement majoritaire...
Pour Michel David, QS étant apparu le dernier, on peut lui reprocher de diviser le vote. Mais on ne peut reprocher aux membres de ce parti de vouloir fonder un parti où ils peuvent se retrouver. D’autant plus que le PQ semblait fort préoccupé de rapatrier le vote caquiste. Mais, contrairement aux directions des partis, les militants voient beaucoup plus clairement la nécessité de la convergence. Et des péquistes lui ont déclaré qu’ils seraient ouverts à voter pour Québec solidaire s’il y avait une entente entre ces partis. Comment se fait-il que des membres comprennent la nécessité de la convergence et que les responsables des partis ne le comprennent pas, s’interrogea-t-il ?
Pour Marie Grégoire, il n’est pas vrai que le PLQ va toujours être réélu à moins d’un accord entre Québec solidaire et le Parti Québécois. C’est le même discours, qu’on nous a répété pour prévoir la victoire inéluctable du Parti conservateur de Stephen Harper. Quand une offre politique réussit à gagner la population, on peut toujours parvenir à un gouvernement majoritaire, même sans scrutin proportionnel. Le Parti libéral du Canada de Justin Trudeau en fait la démonstration.
Jean-François Lisée précise sa pensée. Il ne remet pas en cause la création de QS, mais il affirmer qu’ il faut en assumer la conséquence. Et il la définit ainsi : la création de QS rend plus difficile (pas impossible) l’élection d’un parti social-démocrate majoritaire. En 2012, si je postule le seul transfert de 50%, des votes qui sont allés à QS vers le PQ, le PQ aurait obtenu 11 députés de plus. On aurait obtenu non pas seulement 54 sièges, mais 65 sièges. Le PQ aurait été un gouvernement majoritaire et nous serions dans la quatrième année du gouvernement Marois n’eût été l’existence de Québec solidaire.
Après ce deuxième tour, non seulement une définition partagée de la gauche ne s’était pas dégagée, mais la responsabilité du règne du gouvernement Couillard et de l’impuissance du PQ trouvaient une explication simple... l’existence même de Québec solidaire.
Françoise David et Marie Grégoire avaient beau le dénier, le modérateur, Antoine Robitaille s’interrogeait déjà sur le fait que les nouvelles règles de financement des partis politiques rendaient-elle très coûteux, des désistements éventuels pour un parti.
Devant des propos qui ne remettaient rien de moins en jeu que la pertinence de l’existence de Québec solidaire, Françoise David sentait la nécessité de faire une série de mises au point. En juin 2012, rappela-t-elle, on a essayé de s’entendre, on a posé 5 conditions dont 4 étaient dans le programme du PQ, la cinquième c’était le mode de scrutin proportionnel. Le PQ a refusé. Et cela a mis fin aux discussions. Et elle a rappelé qu’il y a des gens qui veulent voter pour un parti de gauche dont l’ensemble du programme est cohérent. Le PQ a fait beaucoup de bonnes choses, mais il manque de cohérence. Depuis 1996, le PQ vise l’équilibre budgétaire. Et il veut y parvenir par des politiques d’austérité sans consentir à aller chercher de l’argent là où il se trouve. Il ne veut pas taxer davantage les entreprises. Il refuse de remettre en question les privilèges de quelques-uns.
Poursuivant sa polémique sur la responsabilité de Québec solidaire dans l’affaiblissement de gauche, Jean-François affirme qu’en 2014, le Parti québécois a perdu les élections à cause de ses propres bourdes stratégiques et tactiques. "On a perdu entre 200 000 et 300 000 de nos votes, des personnes qui sont restées à la maison. On ne peut se contenter de revenir à la situation de 2012, car cela ne sera pas suffisant pour élire un gouvernement majoritaire. On a besoin de convergence. On n’a pas besoin d’être d’accord sur tout pour converger. Il faut pouvoir mettre d’accord Amir Khadir et Jacques Brassard. Nous, on tend la main. Même si l’on sait que pour QS, les seuls gains qu’il peut faire, c’est chez nous. À Québec, le comté visé, c’est Taschereau." Il faut beaucoup de mansuétude pour maintenir la perspective de convergence pour qui voit Québec solidaire essayer de prendre leur comté. Françoise dit que le gouvernement du PQ n’augmente pas les impôts des riches, c’est faux. Ce n’est pas factuel. Dans un débat politique, il faut être factuel.
Michel David rappelle que la présence de PKP à la direction du PQ dresse une difficulté de plus à cette convergence. Pour la gauche, PKP c’est Belzébuth, c’est l’incarnation du mal.
Françoise David affirme qu’elle s’en est tenue aux faits. Le PQ n’a pas augmenté les impôts des riches. Si le PQ a été cherché PKP, ce n’est pas parce que c’était un homme, c’est qu’il était souverainiste affirmé et qu’il venait du milieu des affaires.. "On peut travailler en commun sur différents dossiers avec des collègues à l’Assemblée nationale, mais vous ne pouvez pas me demander d’accepter que le Parti québécois dirigé par Pierre-Karl Péladeau soit un parti de gauche. Notre sortie à Amir, à Andrés et à moi en février dernier visait Pierre-Karl Péladeau et ses problèmes avec les paradis fiscaux. Ce qui est en question quand on parle de convergence c’est d’alliance électorale. C’est la vraie question. Le PQ va nous concéder combien de comtés pour que nous en leur concède 15 disons dont il aurait besoin pour prendre le pouvoir. Et à partir de quelles conditions et à partir de quelle plate-forme ? Celle de PKP ? Celle de Québec solidaire ? Ce n’est pas simple. Et il y a en plus le mode de scrutin non proportionnel. Le PQ avait dans son programme le scrutin proportionnel. Il ne l’a jamais appliqué. S’il l’avait fait, on serait peut-être au pouvoir ensemble ?"
Marie Grégoire tente de circonscrire le débat. Elle s’interroge. S’agit de faire converger les indépendantistes sur l’objectif de l ‘indépendance ou sur celle d’un gouvernement social-démocrate ? Selon elle, PKP voudra sans doute faire l’élection sur le thème du pays, de l’indépendance. C’est sans doute l’axe de convergence qu’il risque de proposer. Michel David souligne le danger que le PQ soit élu, mais sans qu’il ait les moyens de faire un référendum. On aurait convergé sur un gouvernement PKP sans démarche précise vers l’indépendance. Cela pourrait être vu comme le pire des scénarios.
Jean-François Lisée abat ses cartes. L’association de Rosemont va proposer de réintroduire la perspective du scrutin proportionnel au prochain Conseil national en direction du congrès. Le bien public, insiste-t-il, c’est que Couillard ne soit pas réélu en 2018.
Il faut trouver un moyen de ne pas se nuire sur le terrain électoral, de s’additionner au lieu de se soustraire. Mais avant de se rendre là, on se réunit. On travaille sur une feuille de route commune et on pourrait discuter sur 4 ou 5 engagements électoraux sur lequel on pourrait essayer de travailler. Est-ce qu’on peut commencer à faire baisser la tension et regarder où l’on peut converger. Mais on n’a pas le droit de ne pas essayer.
Le débat aurait se conclure ici, mais le modérateur du Devoir, nous relance sur la gauche et son image, sur l’efficacité de la gauche. Des éléments de bilan du gouvernement Marois seront soulevés particulièrement, les attaques contre les personnes assistées sociales - donnant lieu à des échanges assez vifs en Françoise David et Jean-François Lisée-, le budget Marceau et sa poursuite du déficit zéro, son refus de reprendre à son compte les revendications étudiantes, ses positions sur l’exploitation pétrolière à Anticosti ou sur le pipeline de l’ouest canadien. Jean-François Lizée a beau défendre le bilan du gouvernement Marois, ce ne sera pas dans cette portion du débat qu’il marquera des points. Et sur la question, on n’aura pas discuté pourquoi pour Françoise David, la gauche n’aura jamais été au pouvoir alors que pour Jean-François Lisée et Marie Grégoire, elle aurait été au pouvoir à plusieurs reprises.
En fait, ces contradictions reposaient sur le fait que malgré l’invitation de Françoise David, dans son intervention d’ouverture à définir la gauche, aucun des autres panélistes ne s’est prêté à cette exigence. C’est pourquoi le débat a bel et bien porté sur la convergence ou la non-convergence de QS et du PQ aux élections de 2018.
Comme l’écrit Frédéric Lordon, être de gauche, c’est refuser la souveraineté du capital. Quand la gauche n’est pas définie comme la politique de la majorité ouvrière et populaire contre le règne économique et politique de l’oligarchie, la confusion peut facilement s’installer.
Pour être clair, il faut se demander par où passe la ligne de classe ? Pour les gouvernements péquistes, cela a été évident. Elle est passée par une politique s’adaptant aux intérêts des affairistes et du grand capital. Comme la bourgeoisie au Québec est massivement contre l’indépendance, il n’est pas étonnant qu’un parti politique comme le PQ ait fait peuve de comportements velléitaires et pussillamines devant les échéances importantes de la lutte indépendantiste. Sa procrastination légendaire a fait de ce parti un organisateur de défaites. Il est moins temps que jamais de s’accrocher à un navire en perdition et plus nécessaire que jamais de proposer comme parti de gauche une stratégie alternative.