Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Québec solidaire entre deux eaux

Dans le dernier numéro de Presse toi à gauche, je traitais de la nécessité pour le parti de gauche d’étendre son influence auprès de couches de l’électorat qui ne lui sont pas acquis en nombre suffisant présentement mais dont plus de membres peuvent s’y rallier dans la mesure où il consent aux efforts et aux stratégies nécessaires pour les convaincre de le soutenir.

C’est une condition nécessaire pour que Québec solidaire multiplie le nombre de ses députés et devienne un grand parti national. Je visais cette fraction de la classe moyenne de centre-gauche qui "contrôle" plusieurs comtés.

Or, Québec solidaire a plutôt subi un recul marqué depuis le scrutin de 2018 : de 16.1% du vote, il est descendu à un certain moment donné à 11%, pour remonter par étapes à 14% ; il vient de redescendre à 12% selon le dernier sondage. Il est impossible de prévoir sa performance en octobre prochain, mais on peut douter que la formation de gauche regagne tout le terrain perdu.

Même le Parti conservateur du Québec, qui n’était presque rien voici quelques années encore, devance maintenant Québec solidaire, récoltant 14% des intentions de vote, en particulier dans la région de Québec, surtout sur la Rive-Sud. Mauvaise nouvelle pour Québec solidaire qui risque dans la foulée de perdre ses deux seuls députés dans la région de la Capitale nationale.

Dans les circonstances actuelles, il est très vraisemblable que Québec solidaire voit sa députation amoindrie au scrutin de l’automne. Des "feuilles oranges" risquent de tomber, et l’arbre solidaire est déjà peu garni...

Chose certaine en tout cas, sauf revirement aussi imprévisible qu’improbable, il ne réalisera aucun gain supplémentaire par rapport à 2018. Il devra au contraire faire de gros efforts juste pour sauver les meubles.

Pour contrer la tendance à la baisse de son vote (et aussi l’expansion de la droite, faut-il ajouter), je suggérais la semaine dernière de faire des gains du côté de la classe moyenne progressiste.

Mais il importe aussi et surtout que le parti étende son audience du côté des classes populaires, c’est-à-dire de la classe moyenne pauvre, des ouvriers non syndiqués, des paysans et des exclus en tout genre (assistés sociaux et chômeurs). Il faut fournir une voix politique à ces groupes. Une alliance électorale diversifiée s’impose non seulement pour que Québec solidaire retrouve une santé politique, mais surtout pour établir un authentique régime social-démocrate ou le socialisme démocratique. Difficile équilibre à établir puisque les intérêts de tous ces groupes ne se recoupent pas toujours, et même s’opposent parfois. Mais dans notre régime social, économique et électoral, il s’agit d’un exercice incontournable.

On peut affirmer sommairement que l’épine dorsale électorale organisationnelle et électorale de Québec solidaire est formée avant tout de gens instruits, ayant fréquenté le cégep et l’université, bref d’une certaine classe moyenne branchée. On y compte des professeurs d’université et de cégep, des étudiants et anciens étudiants, des chargés de cours, aussi des militants syndicaux, communautaires et écologistes, mais également certains de ceux et celles que Karl Marx appelait : "la petite-bourgeoisie besogneuse", comme cette masse de travailleurs et travailleuses autonomes, souvent des anciens et des anciennes de l’Uqam, de l’Université de Montréal et de l’Université Laval. On pourrait y ajouter des segments d’ouvriers syndiqués et des petits commerçants. À certains égards, le membership de Québec solidaire ressemble à celui du Parti québécois des années 1970, surtout à son ancienne aile gauche.

Ce n’est pas un hasard si les châteaux-fort de Québec solidaire sont Rosemont, Gouin et Laurier-Dorion dont l’électorat est largement constitué des catégories mentionnées dans le précédent paragraphe. À Québec, ce sont les comtés de Jean-Lesage et de Taschereau qui ont élu les deux seuls députés solidaires de la région et dont la composition sociale présente quelques ressemblances avec celle des circonscriptions montréalaises solidaires de Gouin et Laurier-Dorion.

Vu l’importante concentration de groupes communautaires dans ces zones et l’activisme social qui y est de tradition, les comtés de l’est de la métropole sont tombés dans la corbeille solidaire. La militante féministe Manon Massé est d’ailleurs députée de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Les deux seuls autres gains que le parti a réalisé en dehors de Montréal et de Québec se situent en Abitibi et en Estrie.
De tout ceci ressort donc la nécessité pour Québec solidaire de se gagner le soutien de beaucoup plus d’ouvriers non-syndiqués, de la petite-bourgeoisie démunie et de paysans en difficulté.

Le parti doit effectuer des percées électorales significatives dans la plupart des comtés de ce qu’on nomme "les régions". La formation est absente des zones suivantes ou alors elle n’y recueille qu’un nombre minime de votes : la Rive-Sud de Québec, la Beauce, le Bas-du Fleuve, la Gaspésie, Charlevoix, la Côte-Nord et le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le "corridor" Québec-Montréal n’a fait élire lui non plus aucun candidat solidaire. Le parti est une formation avant tout urbaine et sophistiquée, tant sur le plan idéologique que du style de vie de la plupart de ses membres.

Bien sûr, il faudra savoir doser ses efforts et les concentrer tout d’abord là où le parti a une chance sérieuse d’effectuer une percée significative même si ça ne conduira pas dans tous les cas à l’élection d’un ou une représentante. Une étude électorale détaillée sera donc nécessaire pour faire le tri entre le possible, le probable, le certain et l’impossible.

Il faut insister sur ce point, une alliance s’impose entre la fraction progressiste de la classe moyenne, la classe moyenne pauvre et la classe ouvrière non-syndiquée. Pour l’instant, le parti n’a pas réussi à les fédérer contre les rétrolibéraux au pouvoir.
Il y va non seulement de l’avenir de Québec solidaire, mais surtout de la promotion de secteurs entiers de la population bloqués au bas de l’échelle sociale, sans oublier la sauvegarde de l’environnement dont dépend notre survie à tous et à toutes.

Jean-François Delisle

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