Édition du 17 décembre 2024

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Élections québécoises 2022

Québec solidaire… Du discours capitaliste sur l'inflation ?

J’écris ici ce que je crois être une critique nécessaire d’un postulat sur lequel repose une des orientations électorales stratégiques de Québec Solidaire pour contrer l’inflation. Mon but n’est pas de discréditer le parti qui est de loin celui qui propose les mesures les plus adaptées aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux de notre époque.

Thomas Maxwell
Candidat au doctorat, chargé de cours et chercheur
UQÀM

J’aimerais simplement esquisser en quelques lignes pourquoi je crois que Québec Solidaire sous-estime la puissance de l’idéologie capitaliste dont le parti reprend à tort une partie des soubassements en matière d’inflation.

Il y a quelques jours je suis tombé sur une pancarte électorale de Québec Solidiare sur laquelle on pouvait lire :

« FACTURES MOINS CHÈRES
MEILLEURS SALAIRES »

L’évidence a priori incontestable voudrait y voir l’équation suivante : si a = « factures moins chères » alors b = « meilleurs salaires ».

Sur le papier le sens commun de cette formule fonctionne. Pourtant, quelque chose de simpliste voire naïf m’interpelle comme si ce message éludait une part plus profonde du problème. Je ne discuterai pas ici de la justesse économique de cet argument. Je préciserai simplement que c’est de « pouvoir d’achat » dont il est question dans cette formule et non de « salaires », le pouvoir d’achat étant la quantité de biens et services qu’un revenu (ici le salaire) permet d’acheter. L’équivalence est donc hasardeuse et abstraite, mais je comprends l’intérêt de marquer les esprits par une formule choc ou le mot « salaires » est compris de tous et toutes.

Ce qui me dérange plus fondamentalement dans cet énoncé, c’est qu’il propose indirectement une « hausse des salaires1 » par une « baisse des factures » sans a priori s’intéresser politiquement et prioritairement comme objet de lutte, à la hausse des salaires des classes moyennes qui s’appauvrissent. Quels sont les mécanismes à disposition d’un gouvernement pour faire baisser les factures en dehors des sociétés d’état qu’il contrôle ? Comment réguler le prix des factures basé sur un marché de « concurrence libre et non faussée » encensé par le PCQ, la CAQ et le PLQ et dont maladroitement Québec Solidaire se fait ici le relais ? 

Ces lois du marché échafaudées par les forces du capital – que ces dernières s’efforcent d’ériger en lois naturelles, consistent à s’accaparer la valeur produite par le travail sans jamais faire progresser au même rythme les salaires. Je ne pense pas que Québec Solidaire, aussi louables soient ses propositions pour détaxer2 les produits de première nécessité ou baisser la facture d’électricité, puisse construire une conscience de classe sur les amendements qu’il est possible de faire au sein du système capitaliste. Mieux vaut se battre par l’affirmative, pour l’indexation des salaires sur le taux d’inflation, pour éviter toute perte de pouvoir d’achat. Parce que l’inflation à laquelle nous sommes confrontées est directement orchestrée par la classe dominante. Quand les entreprises, largement subventionnées par le gouvernement – je parle des grosses entreprises ici, répercutent l’augmentation des coûts de production (matières premières, coût de transport, biens importés) sur le prix final de leur produit pour maintenir leur marge, elles provoquent de l’inflation et ne font pas progresser le salaire à même cette augmentation. Ainsi, se crée un déséquilibre de la répartition de la plus-value (pour la théorie marxiste la plus-value produite est la différence entre la valeur de la production des travailleurs et leur salaire) qui fait progresser les revenus du capital, exemplairement ceux des actionnaires, et diminuer les revenus du travail. Cette confirmation d’une tendance historique de la baisse des revenus du travail au profit de ceux du capital est le problème n°1 dont doit s’emparer toute formation politique qui se prétend de gauche - quoique le signifiant soit devenu un mot valise dont on ne sait plus trop ce qu’il revêt, même François Legault se dit de la « gauche efficace3 ».

Se réclamer de gauche c’est créer un rapport de force avec le capital pour lui imposer une vision du travail anticapitaliste, n’ayons plus peur du mot, qui permette de faire vivre dignement tout travailleur et travailleuse en lui redonnant une partie substantielle de la plus-value qu’il produit et qui sans lui ou elle n’existerait pas. Le mot d’ordre consistant à faire baisser l’inflation, typiquement le réflexe facile et simpliste qu’illustre le message de Québec Solidaire, valide en fait le récit de la droite capitaliste en laissant croire à l’opinion la fausse évidence que l’inflation est à combattre sans se poser la question de savoir ce qui la provoque. Or ce qui la provoque, c’est d’abord l’économie hyper mondialisée qui nous oblige à dépendre toujours plus, de matières premières ou composants industriels fabriqués ailleurs et dont le coût de production et de transport est variable selon les lois du marché…

Les soubassements – même langagiers, du système capitaliste doivent être radicalement remis en question si on veut le combattre sans quoi nous serons logiquement condamnés à reproduire malgré nous un système dont nous désirons pourtant ardemment voir la fin.

Notes

1.Je ne parle pas ici de la proposition de Québec Solidaire pour un salaire minimum à 18$ de l’heure qui concerne moins de 5% du total des emplois.

2.Ce qui reste une taxe profondément inégalitaire puisque l’ensemble des québécois quels que soit leur revenu bénéficierait de cette mesure.

3.Nous reviendrons sur ce qualificatif « efficace » dans un autre billet.

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