À lire cependant le dernier document envoyé par la coordination nationale pour préparer le Conseil national de fin novembre, on a l’impression qu’on n’a pas tiré les leçons de cette réflexion prometteuse. Comme si QS ressemblait à cet automobiliste qui sait que pour atteindre sa destination, il doit emprunter des chemins escarpés et enneigés, lui qui pourtant poursuit sa route avec juste des pneus d’été et pas même une pelle à neige au fond du coffre.
Beaucoup trouveront peut-être ce jugement sévère et se réfèreront aux affirmations apparemment nouvelles qui parcourent le document. En effet on peut y lire que « la nouvelle situation politique fournit « une opportunité de se tailler une plus grande place dans l’imaginaire souverainiste (…) tout en jouant un rôle encore plus affirmé dans le mouvement souverainiste et dans la défense du « pays de projet ». (...) QS doit faire connaître sa vision de l’indépendance (…). On y lit aussi qu’« on peut douter que notre parti puisse connaître une expansion importante sans des mouvements sociaux plus forts et plus à l’offensive (…) Il faut donc développer et approfondir nos lien avec les mouvements (…) faire reconnaître comment le travail de QS et celui des mouvements sociaux sont complémentaires (…) ».
Mais si indéniablement des questions essentielles sont pointées du doigt, c’est lorsque l’on passe aux solutions que les choses apparaissent soudainement décevantes. À avoir l’impression que QS fait le grand écart, les solutions qu’il propose n’allant guère avec les questions qu’il soulève.
La question nationale
Par exemple à propos de la question nationale, on trouve dans le document une série de propositions des plus louables (faire connaître l’originalité de son projet souverainiste, mettre de l’avant son caractère inclusif, faire la promotion de l’assemblée constituante). Mais à quoi cela servira-t-il, si en même temps QS n’est pas capable de balayer devant sa cour et par conséquent de clarifier sa propre conception de la constituante par le biais d’un débat approfondi sur les indéniables ambiguïtés et insuffisances de sa position actuelle ? Sans cela toutes ces volontés proclamées d’affirmation nationale paraîtront bien vaines auprès de ceux et celles qu’il veut convaincre. Or pour cela, il faudrait un congrès ad hoc qui n’est aucunement prévu dans l’agenda annoncé.
La question des mouvements sociaux
C’est un peu la même chose avec les mouvements sociaux. On part du principe qu’il faut faire quelque chose en direction des mouvements sociaux. Mais rien de précis ou de concret n’est prévu pour cela, alors que tous les mouvements sociaux sont en proie à une attaque en règle, soumis à ce que Naomi Klein appelle « la stratégie du choc ». Aucune contre-stratégie n’est pourtant, ne serait-ce que mise sur la table ou proposée à titre d’hypothèse pour répondre aux enjeux de la conjoncture. Alors que les mouvements sociaux partent déjà tous en ordre dispersé, ne serait-ce pas le rôle d’un parti politique d’aider au regroupement, à la confection d’une stratégie commune ?
Et pas même le b-a-ba en ce qui concerne le développement de QS lui-même. Comment se fait-il ainsi —alors qu’on sait par les sondages que QS a une haute cote de popularité chez les jeunes— qu’il n’est même pas prévu de constituer dans les CEGEP et universités un réseau d’associations QS-campus ?
La question du développement du parti
Certes on a bien évoqué la volonté de développer le parti au niveau organisationnel. Et il est indiqué que QS va dorénavant chercher à s’enraciner dans les régions et développer des « foyers de développements ». Mais une telle stratégie –de décentralisation— risque d’apparaître bien inopportune si elle n’est pas accompagnée d’une vision politique unifiante, et par conséquent d’une série d’orientations stratégiques à l’échelle du Québec et touchant à toutes les interventions d’un parti qui se veut -rappelons-le— tout autant des urnes que de la rue. Or à ce niveau, en termes pratiques, c’est surtout la dimension électoraliste qui semble primer. À preuve, les stratégies de recrutement et de financement mises de l’avant qui ne paraissent fondées que sur les nouvelles règles et contraintes du financement officiel des partis.
La gauche en panne ?
Il faut l’admettre : les propositions envoyées par la coordination nationale, si elles ouvrent des perspectives intéressantes, se trouvent néanmoins bien au-déça de ce que la conjoncture socio-politique exigerait.
Il reste à espérer qu’au Conseil national, les délégués critiques de chaque association pourront redonner un peu de force et de sens pratique à toutes ces propositions, dont plus d’une reste par ailleurs pleine de promesses. Mais il y a fort à parier que leur dispersion rendra les choses difficiles.
En ce sens, ce n’est pas seulement la coordination nationale qu’on peut se permettre d’interroger, mais tous ceux et celles qui à gauche, hésitent à mettre ensemble la main à la pâte au sein de QS pour lui redonner ce mordant et ce dynamisme dont ce parti aurait tant besoin pour faire pleinement face aux défis de ces temps d’austérité et de néolibéralisme débridé.
Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste