Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Bloquer l’exportation du pétrole des sables bitumineux est un combat anticapitaliste

Pourquoi un tel entêtement de Trans Canada (et de ses alliés) à Cacouna

Des milliers de citoyenNEs se mobilisent pour contrer les projets de l’industrie pétrolière canadienne. Les motivations sont diverses (voir l’excellent reportage des Altercitoyens sur la marche du 21 septembre dernier à Montréal pour constater la variété des raisons pour se mobiliser contre le réchauffement climatique https://www.youtube.com/watch?v=CDSg6TV0lhE). Le 11 octobre dernier, plus de 2 000 personnes ont manifesté à Cacouna contre le projet de port pétrolier de Trans Canada. Devant de telles mobilisations, plusieurs entreprises auraient plié bagages et /ou cherché à négocier un compromis. Mais dans le secteur des producteurs/transporteurs de pétrole, une telle stratégie est peu envisageable. Pourquoi ?

Qui est derrière Trans Canada

Les principaux actionnaires de Trans Canada sont des banques (RBC Global Asset Management, Inc. 7,42% des actions, TD Asset Management, Inc. 4,46% des actions et BMO Capital Markets 3,42% des actions) et des fonds communs de placement (Asset Management LP 5,04% des actions, Deutsche Asset & Wealth Management Investment GmbH 2,41% des actions, Jarislowsky Fraser Ltd., 1,03% des actions, etc.). (1)

À la fin des années 90, Trans Canada a traversé des moments pénibles qui ont forcé la direction (Douglas Baldwin, un ancien haut dirigeant de Compagnie pétrolière Impériale Ltée - Imperial Oil nommé à la direction de la compagnie en 1999) à liquider plusieurs actifs. Toutefois cette opération a permis de redresser la rentabilité de l’entreprise qui est l’une des plus performante en la matière : dès 2003, TransCanada Corporation dégageait pour chaque dollar de vente près de 33 ¢ en fonds autogénérés, soit l’un des ratios les plus élevés de toutes les entreprises canadiennes. (2)

Bref, les actionnaires de cette entreprise sont habitués à des rendements fort élevés. En matière d’environnement, tout obstacle à cette rentabilité doit être éliminé. Et les obstacles se sont multiplié récemment alors que les projets de pipelines sont bloqués à l’ouest (Nothern Gateway) et au sud (Keystone XL). Reste le Québec pour acheminer le pétrole des sables bitumineux vers les marchés convoités.

Peut-on faire abstraction du capitalisme dans l’analyse de la situation

L’économie capitaliste de marché est d’abord responsable du réchauffement parce qu’elle est basée sur la concurrence et l’accumulation. Les décisions de production ne sont pas prises en fonction de l’utilité et de l’écologie, mais en fonction des profits anticipés. Des choses inutiles ou nuisibles sont réalisées dans le seul but de satisfaire l’appétit des actionnaires. Des campagnes publicitaires coûteuses servent à créer des besoins et écouler les marchandises. La concurrence aveugle pousse à la surproduction, une partie va aux poubelles. Des objets sont conçus pour s’user rapidement (obsolescence programmée), ou consommer trop d’énergie. On fabrique dans les pays pauvres, puis on transporte dans les pays « riches »,… Bref : le gaspillage des ressources est inhérent à l’économie de marché.

La cause la plus importante du réchauffement est l’utilisation des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel). Or, l’usage de ces combustibles fossiles est lui-même le résultat de la logique du profit. On sait depuis 1839 que la lumière naturelle génère de l’électricité en rencontrant certains matériaux (« effet photovoltaïque »). Si la recherche scientifique avait été orientée prioritairement vers l’exploitation de l’énergie solaire, l’atmosphère aujourd’hui ne serait pas saturée en carbone et le monde serait probablement plus pacifique et moins inégalitaire. Or, pourquoi cette orientation n’a-t-elle pas été prise ? Parce que le système énergétique capitaliste était déjà en place, basé sur la propriété privée des ressources et sur la centralisation extrême de la production énergétique. Dans ce contexte, utiliser le photovoltaïque empêchait l’appropriation privée. En effet, personne ne peut être propriétaire du rayonnement solaire, qui est un flux illimité et diffus, tandis qu’on peut être propriétaire des stocks limités de charbon, de pétrole, de gaz… et accumuler, en plus du profit, des rentes très importantes. (3)

La vente des produits pétroliers raffinés rapporte environ 2 000 milliards d’euros par an. Les coûts représentent à peine 500 milliards. Le profit et la rente pétrolière - 1500 milliards/an à l’échelle mondiale ! - sont empochés par quelques multinationales et (sauf au Venezuela) par les super-privilégiés au pouvoir dans les pays producteurs. Le pétrole, c’est leur poule aux œufs d’or. Ils veulent qu’elle ponde le plus longtemps possible.

Le Canada (4) est actuellement le cinquième plus gros producteur mondial de pétrole. La production canadienne de pétrole brut augmente assez régulièrement depuis 20 ans. La production annuelle de brut s’élevait à 609 millions de barils en 1990 et a atteint la barre des 969 millions de barils en 2006. Si les sources classiques continuent de représenter plus de la moitié de la production de pétrole brut, l’exploitation des sables bitumineux explique l’essentiel de la croissance de la production pétrolière au Canada ces dernières années.

Les oléoducs sont le moyen le plus fiable et le plus rentable d’acheminer de grandes quantités de brut par voie terrestre sur de grandes distances. Il y a plus de 12 000 km de canalisations de collecte, qui transportent le brut depuis les gisements des producteurs jusqu’aux pipelines principaux. On compte presque 23 000 km de pipelines. Environ les deux tiers de la production canadienne de brut sont exportés. Le Canada est un exportateur net de pétrole brut, étant donné que les volumes exportés représentent plus de deux fois le volume des importations.

Dans ce contexte, l’enjeu est clair : il faut acheminer le pétrole des sables bitumineux vers les marchés à tout prix. « Au cours des années à venir, le secteur pétrolier canadien sera dominé par le rythme d’exploitation des sables bitumineux. Le Canada doit également se doter d’une nouvelle capacité en matière d’oléoducs et de raffinage pour répondre à l’offre et aux impératifs du marché », souligne Ressources naturelles Canada. Les réserves établies du Canada (réserves prouvées de pétrole) se classent juste derrière celles de l’Arabie saoudite. À la fin de 2006, les réserves établies de pétrole du Canada se chiffraient à 179 milliards de barils. Peut-on penser un seul instant que les banques et fonds commun de placement actionnaires de Trans Canada et autres entreprises et gavés aux super profits lèveront le nez sur ces ressources potentielles ? Dans le contexte actuel, c’est plutôt la course pour atteindre les éventuels acheteurs de ces ressources qui leur importe. Et c’est à cette tâche que s’attèle les conservateurs de Stephen Harper et ses alliés au Québec (PLQ, CAQ, PQ).

Combattre Trans Canada, c’est aussi combattre le capitalisme

Le projet de port à Cacouna, le pipeline Energy Est et tous ces projets contre lesquels se mobilisent les écologistes, les mouvements sociaux et la gauche politique s’inscrivent tous dans cette logique. Les enjeux ne sont donc pas seulement le sort de la planète et l’augmentation des émissions de GES, préoccupations des coalitions citoyennes qui s’opposent à ces mesures, ce sont surtout les importants profits que l’industrie veut s’approprier grâce à ces moyens de transport.

C’est la raison pour laquelle Trans Canada n’hésite pas à transgresser les conditions qui ralentissent la progression de ses projets. "Le temps, c’est de l’argent" est ici une maxime tout à fait appropriée. Le rouleau compresseur de l’industrie est en marche. Aux mobilisations citoyennes de s’y opposer. En faisant une évaluation lucide des enjeux et des intentions de l’industrie, nous pourrons mieux évaluer la force des résistances à ces mobilisations et la détermination de ses sbires à nous enfoncer la solution pétrole dans la gorge. Il permettra aussi de prendre la mesure de l’ampleur des mobilisations qui sera requise pour stopper ces mobilisations.

Prochain article : une approche strictement québécoise serait-elle suffisante pour bloquer Trans Canada ? Est-elle souhaitable ?

Notes

1- http://www.zonebourse.com/TRANSCANADA-CORPORATION-1411996/societe/

2- http://www.ledevoir.com/economie/finances-personnelles/42492/votre-portefeuille-coup-d-oeil-sur-transcanada-corporation

3- http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article5568

4- http://www.rncan.gc.ca/energie/prix-carburant/4598

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