Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Pour un front commun de lutte

en opposition au néolibéralisme et au principe utilisateur-payeur

Nous reproduisons l’allocution prononcée par Gabriel Nadeau-Dubois lors de la plénière du festival des solidarité d’Alternatives

Quand j’ai débuté à militer dans le mouvement étudiant, nous savions tous qu’il faudrait une grève générale illimitée pour faire reculer le gouvernement libéral de Jean Charest sur sa décision.... GGI : trois lettres qui était presque synonyme de victoire. Une grève massive, perturbatrice et de longue durée : voilà ce qui nous ferait gagner.

Bon. Nous l’avons fait. Nous avons fait la plus grande grève étudiante de toute l’histoire du Québec. 16 semaines, près de 100 jours. Et puis, la loi 78. L’État abattait sa dernière carte : une législation répressive et anti-syndicale, dont l’objectif avoué était de briser la mobilisation populaire. La force du soulèvement aura forcé le pouvoir à montrer son vrai visage : les mesures néolibérales ne peuvent être mises en place sans le recours à la force. La vague de criminalisation des militants et militantes du mouvement étudiant s’inscrit dans ce contexte.

La mobilisation actuelle a raison de soulever notre enthousiasme. Il est justifier de s’en réjouir et de se dire qu’elle nous a déjà permis de faire plusieurs victoires objectives. Dans un contexte international d’austérité et d’avancée du néolibéralisme, la résistances des étudiantes et des étudiantes du Québec pendant plus de 100 jours est en soit remarquable. Malgré leurs insuffisances, les bonifications au régime de prêts et bourses apportées par le gouvernement libéral répondent tout de même à des demandes historiques du mouvement étudiant.

Cela dit, la conjoncture actuelle soulève également de grandes questions pour les mouvements sociaux. Malgré une mobilisation exceptionnelle, les libéraux n’ont tout simplement pas reculé et ne semble pas prêts de le faire. Ce constat remet sur la table l’éternelle question du rapport de force. Qu’a-t-’il manqué à notre mobilisation ? Quantitativement, la grève a à son somment regroupé 75% des étudiants et des étudiantes. Sa durée est également sans précédent : après 115 jours, la mobilisation se poursuit. Elle a perturbé significativement l’économie du Québec : déjà les coûts de la grève dépasse largement les revenus des premières années de la hausse des frais de scolarité. Pourquoi, malgré tout, le gouvernement n’a-t-il pas reculé ? Question qui peut sembler naïve, mais qui ne l’est absolument pas : de la réponse à cette question dépend la crédibilité des modes d’organisation démocratiques des mouvements sociaux. Je ne prétendrai évidemment pas ici avoir la réponse à cette question. Mais je me permettrai tout de même quelques pistes de réflexion avec vous.

Certains et certaines se rabattront sur la perspective électorale. Il faudra en effet sortir à court terme les libéraux du pouvoir afin d’éviter le saccage pur et simple du Québec. Cela dit, la timidité de la position péquiste sur les frais de scolarité nous interdit, je crois, de mettre tout nos espoirs en les urnes. Cela ne suffira pas à bloquer la privatisation et la tarification grandissante de nos services publics.

Nous n’avons donc pas d’autre choix que de poursuivre la mobilisation. La grève et les casseroles étaient bien belles, mais il nous faut passer à une autre étape. Cela peut paraître simpliste. Concrètement par contre, il s’agit d’un défi colossal pour les mouvements sociaux québécois. « Lorsque la jeunesse se refroidira, le monde claquera des dents » disait Georges Bernanos. La bonne nouvelle, c’est que nous ne nous refroidiront pas. Il nous faudra par contre du combustible dans la fournaise. Organisationnellement mais aussi personnellement, les étudiants et les étudiantes commencent à être pris par la fatigue.

Les associations étudiantes sont à leur capacité maximale de mobilisation et de perturbation. La partie combative du mouvement communautaire participe à la mobilisation, notamment à travers la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics. Le milieu communautaire est important dans la lutte actuelle, mais ce n’est pas par lui que passera une augmentation significative de la pression. Les initiatives citoyennes sont nombreuses : le soulèvement des casseroles en est le dernier exemple, peut-être le plus inspirant. Mais déjà, elles faiblissent. Elles étaient 10 000 il y a une semaine, elles ne sont plus que quelques centaines dans la plupart des quartiers.

Tout les yeux sont donc tournés vers le milieu syndical. Depuis le début du conflit, leur support financier et politique aux associations étudiantes fût exemplaire. Sans cet appui, l’organisation des grandes mobilisations auraient été impossible d’un point de vue logistique. Cela dit, une réflexion s’impose maintenant sur la contribution future du mouvement syndical à la lutte actuelle. Déjà, la rumeur est de plus en plus insistante dans les bases syndicales : on parle de grève sociale. Mais il faudra peut-être commencer à faire plus qu’en parler. S’il est vrai que la lutte s’inscrit dans la durée, il faut tout de même être en mesure de reconnaître les conjonctures favorables. Celle que nous traversons présentement est unique : elle ne se représentera peut-être que dans 15 ou 20 ans. L’immobilisme ou la peur, dans ces circonstances, n’ont pas leur place.

Le combat actuel n’est pas le combat des étudiants et des étudiantes. Cela est devenu un lieu commun pour nous, mais n’en est pas un pour une partie du mouvement étudiant. Tout corporatisme mis de côté, le cul-de-sac actuel s’explique peut-être en partie par la stratégie volontaire de certaines organisations étudiantes de mettre de côté l’aspect profondément politique de la lutte actuelle, allant jusqu’à demander aux grandes centrales syndicales de limiter leur appui à la sphère financière et logistique. « C’est le combat des étudiants » a-t-on dit à l’époque. Quelle erreur.

La timidité du mouvement syndical à se rapprocher de la frange combative du mouvement étudiant explique quant à moi en partie la situation actuelle. Pourtant, seul le mouvement étudiant progressiste, combatif et démocratique est réellement porteur de changement social. Si le deuxième front syndical n’est pas mort, c’est avec ces organisations-là que doivent prioritairement s’allier les organisations syndicales. Ce qu’il nous faut, c’est un front commun progressiste. C’est à mes yeux la seule réelle perspective de continuité.

Une éventuelle victoire n’est possible que par la consolidation d’un réel front commun entre les organisations partageant une base de principes solide et ayant une volonté de nommer la lutte comme elle est : une opposition de principe au néolibéralisme et au principe utilisateur-payeur.

La réticence de certaines organisations étudiants à former clairement ce front commun s’explique sans aucun doute par des préoccupations de communication publique. Cela a même été clairement dit dans les médias par un représentant étudiant : « cela n’aura pas été bon pour l’image du mouvement. Vous savez... l’image des syndicats depuis quelques années... ».

Position ironique et surtout, absurde. Car en fait, en termes de communication publique, sans se référer aux principes qui nous unissent, l’appui du mouvement syndical à la lutte étudiante est tout simplement incompréhensible. Cela est réellement la meilleure manière de raviver les préjugés. Cela donne en fait l’impression à la population qu’il s’agit d’une alliance officieuse de grandes machines corporatistes désireuses de défendre les intérêts stricts de leur membership. Le front commun étudiant et syndical n’est compréhensible qu’en mettant réellement à jour ce qui nous unit : la défense du bien commun, la défense des intérêts de la majorité de la population face à un gouvernement qui protège ceux d’une minorité.

Allez plus loin, cet automne, cela voudra dire envisager sérieusement une mobilisation générale de la société. Cela voudra dire organiser concrètement la grève sociale. Dans le contexte actuel, il nous est dorénavant interdit de qualifier le projet de rêveur. En fait, cela me semble être la seule étape encore à franchir. Cela dit, une telle perspective impose plusieurs défis : le mouvement étudiant ne peut demander aux travailleurs et aux travailleuses de faire la grève sur leurs propres revendications. Il faudra nous trouver un agenda commun. Les différents tarifs sont-ils suffisants ? À moins que la loi 78 ne soit un objectif plus rassembleur et précis ? D’ici le début de la session universitaire à la mi-août, il nous faudra impérativement répondre à ces questions.

La grève sociale a des conséquences. La désobéissance civile a des conséquences. Mon objectif ici n’est ni de les nier ni de les sous-estimer. Ce sont un choix lourd de conséquences. « Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver » écrivait Miron : personne ne peut nier que nous sommes à la croisée des chemins. Chacun d’entre nous avons une responsabilité dans la situation actuelle. Une responsabilité envers l’histoire, beaucoup plus grande que celles envers nos organisations. Voilà pourquoi, malgré les conseils juridiques et politiques, la CLASSE a choisit de désobéir. J’ai choisi de désobéir, comme des milliers d’autres québécois et québécoises. « Lorsque l’injustice devient loi, la résistance est un devoir » : ce slogan est devenu plus qu’un slogan. Il décrit notre situation actuelle.

« La respectabilité, ça n’est pas une image, disait Pierre Bourgault. C’est ce à quoi on arrive quand après des années, on se retrouve fidèles à ses objectifs du début, fidèles à ses principes du début et fidèles à ses rêves du début. C’est de cette respectabilité-là que nous devons vivre, nous voyez-vous, ce qui n’est pas respectable aujourd’hui peut l’être demain, aussi bien chez les hommes que pour les idées. » La jeunesse québécoise n’était pas respectable, elle l’est devenue. Le mouvement étudiant n’était pas respectable, il l’est devenu. La CLASSE n’était pas respectable, elle l’est devenue.

Il y a un mois, la désobéissance civile n’était pas respectable. Aujourd’hui, elle l’est un peu plus. Si nous acceptons de la pratiquer fièrement en faisant grève sociale cet automne, je suis convaincu qu’elle le deviendra complètement.

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