Livre IX
Dans un code pénal, nous retrouvons, en règle générale, les peines prévues aux infractions, aux comportements répréhensibles ou aux gestes considérés comme étant antisociaux. Bref, les peines qui accompagnent certains délits et qui correspondent à des transgressions des lois. Ce sujet a fait l’objet de certains développements dans le Livre VIII. Ici, Platon traite des délits « les plus graves ». Il est donc question, dans le Livre IX, des désordres inhérents et inévitables dans une société (« les actes qui doivent donner lieu à des poursuites judiciaires », les « actes les plus graves » (p. 112)) et des sanctions prévues en vue de les dissuader (des peines et des juges).
Pourquoi « une législation faite de menaces préventives » (p. 113) ? Pourquoi une législation dissuasive ? Parce que nous ne sommes plus dans un monde fait de « héros qui sont les enfants des dieux » (p. 113). Nous vivons dans un monde fait d’hommes qui sont « des rejetons d’hommes » au sein desquels nous retrouvons ici et là, « un dur à cuire » qui ne redoute pas les sanctions prévues aux lois ; des intraitables, qui « ne sont pas susceptibles de se ramollir sous l’action des lois » (p. 113). Il y aurait donc eu un passé glorieux désormais révolu, puisque l’ère de l’homme — dit simplement « homme » — révèle une régression malheureuse qui nécessite des moyens drastiques afin de renverser cette tendance vicieuse.
Il est question, dans un premier temps, d’une loi « contre le pillage des temples » (p. 113). Le législateur inclura dans cette première loi, un préambule à l’attention de la personne qui se prépare à commettre un tel délit d’échapper à la tentation de commettre un tel délit par tous les moyens en n’excluant pas le suicide (« délivre-toi de ta vie » (p. 114)). Pour la personne qui est incapable de se soumettre à la loi, Platon prévoit de très durs châtiments (coups de fouet, amende à payer et peine de mort). Une deuxième loi est prévue pour les comploteurs, les conspirateurs et ceux qui veulent commettre des « crimes qui tendent à changer la constitution » (p. 116). La sédition et la trahison seront sévèrement réprimées. Le refus de dénoncer les séditieux et les conspirateurs sera puni (p. 116). « La flétrissure et le châtiment infligés au père ne retomberont sur aucun des enfants, sauf […] dans les cas où la peine de mort aura été méritée par leur père, leur grand-père et leur arrière-grand-père successivement » (p. 116-117). Une troisième loi est prévue pour « la composition du tribunal » et la « procédure » qui sera suivie (p. 117). La loi, dans le cas de vol, sera la même pour tous (« une seule loi et une seule peine » (p. 117)). Le voleur reconnu coupable devra « rembourser le double du montant du vol » (p. 117) ou « qu’il soit emprisonné jusqu’à ce qu’il ait remboursé ou qu’il ait obtenu un accommodement avec celui qui l’a fait condamner » (p. 117). Qui est le véritable éducateur ? Le poète ou le législateur ? Platon répond ici que le législateur est « le seul dont les conseils portent sur le beau, le bien et le juste et à enseigner en quoi ils consistent et de quelle façon doivent les cultiver les hommes qui veulent être heureux » (p. 121). Et le législateur doit inspirer la sagesse. Nul autre ne pourra donc lui prendre sa place, si le souhait d’élever la cité devient la principale aspiration de tous.
Quand nous voulons comprendre la criminalité, il faut tenir compte de certains facteurs psychologiques parmi lesquels nous retrouvons : l’âme, les plaisirs et l’ignorance (p. 130-131). Platon passe en revue les différents types de crimes qui suppriment la vie en distinguant : les meurtres involontaires (qui n’ont pas été commis de plein gré) ; les meurtres prémédités ; le parricide ; le suicide ; les morts d’hommes causés par des animaux et des objets inanimés ; les meurtres sans coupables identifiés et les meurtres « qui n’entraîneront pas de souillure pour qui les aura commis » (p. 147) (des excuses valables). L’identification des mobiles du crime joue un rôle décisif dans la détermination de la peine. Il en est ainsi, car pour Platon, la peine (le châtiment) est la guérison du criminel. Seule la loi peut vraiment régir la conduite des hommes (p. 148). Les sanctions en cas de crimes peuvent aller de l’amende, aux coups de fouet, de l’ostracisme à la peine capitale.
Pour conclure
Platon trace, dans le Livre IX, les voies, selon lui, de la guérison de la cité en cas de crimes commis sous l’emprise de la colère et de plein gré ou non. Parce que la population a été souillée par une quelconque calamité, pour ne pas dire des ambitions pour le moins outrageantes dans la mesure où elle croit pouvoir se guider elle-même à travers des représentants élus qui ont su manoeuvrer de manière démagogique. Platon n’est plus ici philosophe, mais politologue, voire réformateur, puisque le but recherché consiste à créer l’ordre et la stabilité. Autrement dit, pour diminuer les craintes d’une perte de la cité, il faut user au départ de la contrainte nécessaire et d’être clair sur les punitions ou les sanctions, afin de faire des fautifs et fautives des cas exemplaires.
Livre X
Le Livre X est la suite de l’examen des peines amorcé dans le livre précédent. Il porte plus spécifiquement sur l’impiété sous ses différentes formes (les violences ou les torts commis à l’endroit des choses sacrées). Évidemment, il faut respecter les dieux si nous voulons élever notre âme, tenter, du moins, de leur demander de l’aide, des conseils, puisque notre quête consiste à leur ressembler.
Le « préambule » (p. 342) (« l’exhortation préliminaire » (p. 161)) des lois sur l’impiété portera d’abord sur les causes (ou « l’influence de l’une de ces trois convictions » (p. 161)), qui sont au nombre de trois : la croyance selon laquelle « les dieux n’existent pas » ; « que même s’ils existent, ils ne s’occupent pas des affaires humaines » et « qu’ils sont faciles à fléchir et se laissent détourner par des sacrifices et des prières » (p. 161).
Pour Platon, il ne saurait faire de doute que les dieux existent et qu’ils s’intéressent aux affaires humaines. L’agencement de l’univers et « l’arrangement si bien ordonné des saisons et de leur distribution en années et en mois. Et le fait que tous, Grecs aussi bien que Barbares, estiment qu’ils existent des dieux (p. 162). » La preuve que les dieux existent réside aussi en ceci : que ceux « dans leur jeunesse, ont adopté cette opinion sur les dieux, à savoir qu’ils n’existent pas, n’est parvenu à la vieillesse en persistant dans cette conviction » (p. 167).
Platon s’intéresse, dans un premier temps, à la doctrine de la création de toutes choses à partir « soit de la nature. Soit de la technique, soit du hasard » (p. 168). Quelle est la place de l’âme dans l’ordre des choses ? Platon postule que l’âme est antérieure au corps (p. 174). Pour comprendre et saisir la thèse du primat de l’âme sur le corps, L’Étranger d’Athènes propose de la démontrer à l’aide de la traversée d’un cours d’eau « dont le courant est fort rapide » (p. 175). Comment se posent et s’agencent « le repos » et le « mouvement. Dans l’univers ? Et qu’est qui peut se mouvoir lui-même ?
Il existe selon Platon au moins dix sortes de mouvements. Le plus important est « celui qui a le pouvoir de se mouvoir lui-même, tandis que tous les autres viennent à un rang inférieur » (p. 179). « Le mouvement capable de se mouvoir lui-même » a un nom : l’âme (p. 183). L’âme « elle est principe de mouvement » (p. 184). Elle est même « la cause du bien et du mal » (p. 185). Il en est ainsi parce qu’elle « administre et gouverne de l’intérieur toutes les choses […] qui sont en mouvement de quelque façon que ce soit » (p.185). « Sans contredit », elle « administre aussi le ciel » (p. 185 et 190). L’âme échappe à notre perception ; elle est « naturellement insaisissable » ; elle « ne peut être appréhendée que par l’intellect seul » (p. 191) et « tout homme doit la regarder comme une divinité » (p. 192). Par l’existence de l’âme se justifie dans un premier temps un autre monde dans lequel elle tire son origine, ce qui insinue tout autant la possibilité d’un monde des dieux, d’autant plus que plusieurs phénomènes terrestres exposent leurs interventions, toujours à partir des cieux ou d’une manifestation sous diverses formes pour faire passer des messages. S’ajoute une cosmogonie fixant le temps de toutes choses, allant de l’univers jusqu’à la moindre particule, et exposant un calcul précis sur lequel se base le mouvement. Ignorer ces faits, c’est choisir la régression.
Platon s’attarde à la deuxième cause d’impiété, celle selon laquelle les dieux seraient indifférents aux choses humaines. L’Étranger d’Athènes soulève à ce sujet l’interrogation suivante : « N’est-il pas vrai que les affaires humaines font partie du domaine du vivant, et que l’homme est lui-même, de tous les vivants, celui qui relève le plus de la divinité ? (p. 199) ». Poser la question, c’est y répondre. « Cela en a tout l’air » dira Clinias (p. 199). En dernier lieu, Platon se demande si les dieux sont « corruptibles » ou incorruptibles en raison de leur position de commandement et d’autorité suprême « lorsqu’ils reçoivent des présents » (p. 205) ? Il est impossible que ceux « qui veillent sur les choses les plus belles et qui excellent par leur vertu de vigilance » soient « pires que les chiens et la moyenne des hommes » (p. 208). Les dieux ne trahiraient jamais « la justice pour profiter des présents que leur feraient, de façon impie, les hommes injustes » (p. 209). Justement parce qu’ils sont des dieux et non des hommes. Ils connaissent la pure sagesse.
À la suite de ce long préambule à la loi (p. 209, note 123), Platon établit une typologie des pénalités qui seront appliquées par les juges (la « prison » (p. 210), l’isolement le plus étanche (p. 211) et la mort « sans sépulture » (p. 212). Pour celles et ceux qui veulent se faire les promoteurs, dans leurs maisons privées, d’un culte privé jugé non conforme (« des pratiques religieuses occultes » (p. 213)), Platon prévoit là aussi la peine de mort (p. 214). Imposer la mort, n’est-ce pas agir contre le devoir du philosophe ? Mais Platon s’est éloigné du philosophe à plus d’une reprise jusqu’ici. Il exhorte l’avènement d’un nouveau régime politique pour sa cité, un régime qui s’éloigne de celui en place. Il craint pour elle et veut précipiter les choses.
Pour conclure
Les délits mentionnés et examinés par Platon portent sur les temples ou les objets de piété. Platon réfléchit très longuement sur le préambule à inclure dans la loi contre l’impiété et les différentes sortes d’impiété. Ce préambule porte sur les motifs de l’impiété. Les lois ont pour fondement chez Platon un caractère religieux, voire cosmologique. Le monde a une source principale d’explication : une explication divine et le monde est ordonné par une âme. La méconnaissance du rôle de la divinité est la plus grave menace qui pèse sur la cité. Platon s’intéresse aux dangers que représentent les athées et les personnes impies et aux peines à leur infliger. Être athée, c’est renier son âme, c’est renier toute possibilité de veiller à son élévation. La justification du divin représente un moyen d’assurer un certain équilibre entre la vie corps et la vie de l’âme. Comment en effet promouvoir le contentement des passions dans un but d’atteindre la sagesse et donc d’entretenir son âme, si personne ne lui accorde une existence ? Aussi bien conclure que tout le travail accompli par Socrate et lui-même ne mènerait à rien. Voilà encore une crainte à dominer.
Yvan Perrier
Guylain Bernier
13 décembre 2020
13 heures
yvan_perrier@hotmail.com
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