Édition du 19 novembre 2024

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Environnement

Pesticides : la cure minceur dans le secteur public a ouvert la porte à l'influence des lobbys

La saga du lanceur d’alerte Louis Robert, le fonctionnaire qui a dénoncé l’ingérence du privé dans la recherche publique sur l’utilisation des pesticides, a provoqué une onde de choc dans la population québécoise. Grâce à ses révélations et celles d’autres fonctionnaires, plusieurs ont découvert que d’importants acteurs privés (groupes de l’industrie agrochimique et de producteurs agricoles) influençaient la recherche sur les pesticides et tentaient même d’intimider les chercheurs afin de limiter la diffusion de leurs résultats.

Maude Benoit est professeure de science politique, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Paul Treille est professeur à la même université.

11 février 202 | tiré du site La conversation
https://theconversation.com/pesticides-la-cure-minceur-dans-le-secteur-public-a-ouvert-la-porte-a-linfluence-des-lobbys-130523

Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, répond à une question de l’opposition à l’Assemblée nationale concernant le congédiement du lanceur d’alerte Louis Robert, le 5 février 2019. Presse Canadienne
Au-delà des enjeux environnementaux et de santé publique qu’elle soulève, cette controverse est révélatrice des effets de la cure d’amincissement de l’État que la plupart des gouvernements ont mis en œuvre depuis les années 1990. Le cas de l’agriculture est éloquent à ce sujet, tant au Québec qu’au Canada.

Collaboration ou dépendance ?

Les postes en recherche – collecte de données, analyse, transfert et diffusion – sont parmi les plus faciles à abolir sans que la population n’en soit directement touchée.

Au Québec, une externalisation des activités de recherche a eu lieu dans les années 1990 et 2000 par la création de centres de recherche similaires à des partenariats public-privé : le financement y est partagé (source d’économie pour l’État) et les différentes parties prenantes sont représentées au sein du conseil d’administration (CA).

Idéalement, cette gouvernance multipartite conduirait à une collaboration accrue entre les acteurs publics et privés, en s’assurant de la pertinence pratique des recherches menées et en favorisant l’application des résultats sur le terrain.

Cependant, les informations divulguées sur le Centre de recherches sur les grains (CÉROM), au cœur de la controverse soulevée par le lanceur d’alerte en 2018, ont davantage révélé des relations de pouvoir et des dysfonctionnements organisationnels plutôt que de la collaboration.

En effet, alors que 68 % du financement- de ce centre est assuré par des fonds publics, le gouvernement n’occupe aucun siège décisionnel au CA, sous prétexte que les fonctionnaires y seraient en conflit de loyauté. Or, qui occupaient jusqu’à récemment les postes de président du CA et membres avec droit de vote ? Des représentants de groupes liés à la vente ou à l’utilisation de pesticides, qui sont tout autant, sinon davantage, en conflit d’intérêts.

L’ascendant de ces intérêts privés sur la gouvernance du CÉROM a d’ailleurs mené à plusieurs dérapages révélés par les médias : ingérence de membres du CA dans l’interprétation des résultats de recherche, pression exercée sur des chercheurs, obstacles mis en place pour empêcher la diffusion des études dans les revues scientifiques ou les médias. Un contexte bien loin de l’idéal de recherche indépendante réalisée dans l’intérêt public, et qui a d’ailleurs entraîné une vague de démissions chez les employés du CÉROM.

Au Canada, les résultats scientifiques sont également au cœur des activités de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA).

Le mandat de cet organisme public est d’autoriser les pesticides pouvant être utilisés au pays, tout en s’assurant que les risques qu’ils posent pour la santé humaine et l’environnement soient minimes. Or, de l’aveu même d’un représentant de l’ARLA qui s’est exprimé en commission parlementaire à Québec, en mai 2019, l’ARLA « n’a pas de mandat de recherche. On n’a pas de capacité scientifique ».

Mais comment l’ARLA fait-elle pour approuver ou refuser des pesticides en l’absence de données probantes à l’interne ? Elle doit se tourner vers des sources externes. L’ARLA rend donc ses décisions principalement à la lumière des données fournies par l’industrie elle-même. De plus, comme ces données sont protégées par le sceau du secret commercial, elles ont rarement été évaluées par la communauté scientifique et restent inaccessibles au public.

Externalisation des services-conseils

Le rétrécissement de l’État s’est aussi produit par une stratégie d’externalisation des services publics. Autrement dit, les ministères continuent de concevoir des politiques et des programmes, mais délèguent à des acteurs externes – entreprises privées, tiers secteurs, organismes à but non lucratif – la prestation de ces programmes et services.

Au Québec, dans les années 1990, le développement des clubs-conseils en agroenvironnement (CCAE) (maintenant regroupés sous l’organisme VIA Pôle d’expertise en services-conseils agricoles) correspond à cette logique. Les agriculteurs deviennent membres des CCAE, en échange d’une cotisation, et participent ainsi à la cogestion et au cofinancement des services-conseils offerts par ce regroupement. Il s’agit d’une double source d’économie pour le gouvernement : moins d’effectifs à payer par le public et des services financés en partie par les agriculteurs.

En revanche, les services-conseils des agronomes qui travaillent pour les entreprises privées de vente de pesticides offrent bien souvent des services « gratuits ». Leurs factures ne comptabilisent que les produits achetés ou un rabais équivalent aux services rendus sur les prochains achats. Ainsi, l’accès à des services-conseils indépendants non liés à l’industrie est payant au Québec (le gouvernement finançant une partie des services des CCAE, mais pas l’entièreté).

L’ARLA n’a qu’une dizaine d’inspecteurs chargés de surveiller la conformité réglementaire des 28 000 exploitations de l’ensemble du territoire québécois. Shutterstock

L’État s’efface également du rôle fondamental associé à la puissance publique qui est de s’assurer que la réglementation gouvernementale est appliquée et respectée. Ainsi, le ministère de l’Environnement du Québec est bien l’autorité responsable du Code de gestion des pesticides et de la réglementation concernant les bandes riveraines minimales en milieu agricole. Toutefois, il délègue à l’Ordre des agronomes du Québec et aux municipalités la tâche de voir au respect de ces exigences par les agronomes et les agriculteurs.

Cette externalisation du pouvoir de contrôle vers des organisations parfois en conflits d’intérêts, parfois très peu pourvues en ressources humaines et en expertise, met en doute l’efficacité de la surveillance.

Par ailleurs, même lorsque l’État conserve le contrôle de l’application des règlements, il n’a souvent pas assez d’employés pour faire des inspections sur le terrain. À titre d’exemple, l’ARLA n’a qu’une dizaine d’inspecteurs chargés de surveiller la conformité réglementaire des 28 000 exploitations de l’ensemble du territoire québécois.

Des postes utiles abolis

Depuis les années 1990, les gouvernements à Québec comme à Ottawa ont opté pour une stratégie d’attrition de postes « invisibles » aux yeux de la population : chercheurs, inspecteurs, agents de transfert des connaissances et des bonnes pratiques et autres bureaucrates « qui écrivent des rapports à d’autres gens qui écrivent des rapports ».

La crise dans le secteur agricole montre bien que ces postes ne sont pas pour autant inutiles. Comme l’a révélé la Commission Charbonneau, la perte d’expertise étatique place l’État « dans une relation de dépendance et de vulnérabilité face aux firmes […] privées  » et l’appel à ces « partenaires » privés, « qui devait en principe apporter des économies importantes pour l’État, a plutôt mené à une hausse de coûts » par la collusion qui s’en est suivie.

La rhétorique de « couper dans le gras » est peut-être séduisante, mais s’avère du moins en partie fausse. Selon nos calculs réalisés sur la base des statistiques du Conseil du trésor de 1993 à 2019 , la réduction en 26 ans de 85 % de l’effectif total au ministère des Transports et de 49 % au ministère de l’Agriculture n’est pas sans conséquence à court comme à long terme.

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