Tout cela s’est fait, bien sûr, par la répression, l’incarcération, voire des massacres. Mais cela s’est fait aussi par la mise en place d’un dispositif hégémonique, par lequel on arrachait aux dominés leur consentement. Le résultat a été assez catastrophique. L’élan des luttes a été dans une grande mesure cassé. Et il a fallu plusieurs décennies pour remonter la pente.
Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le même monde, bien qu’il y ait quelques parallèles. Depuis le début des années 2000, les mouvements populaires, dans plusieurs pays en tout cas, ont avancé. Cela a donné la « vague rose » et les grandes mobilisations autochtones en Amérique du Sud. Cela a donné les Indignados, Occupy et le Printemps arabe. Et j’en passe. Les dominants ont été déstabilisés. Des luttes ont réussi à défoncer le mur, si ce n’est que partiellement.
Et maintenant, le vent tourne. En Europe, plusieurs élections récentes (Pays-Bas, Norvège, Allemagne, Autriche) ont produit des monstruosités où la droite se retrouve bien en avant, suivie de près par l’extrême-droite avec qui on cherche des accommodements raisonnables. De « nouveaux » populismes captent l’espace public sous la bannière du racisme, de l’islamophobie, de la haine des réfugiés, des immigrants, des dissidents. En Espagne, le vieil État franquiste revient à la charge pour nier le droit à l’autodétermination de la Catalogne. En Turquie, en Inde, au Brésil, en Argentine, en Afrique du Sud, en Égypte, se mettent en place des États autoritaires qui ne gênent pas pour transgresser les droits, voire les constitutions. Et évidemment, il y a le phénomène Trump !
Il ne serait pas surprenant de voir se profiler un semblable alignement des astres au Québec dans les prochaines années. La montée de la CAQ est une sorte d’indicateur. De même que la multiplication des manifestations de divers groupes extrémistes, sans compter la prolifération des médias-poubelles porteurs de haine.
Parallèlement, l’ancienne social-démocratie s’écrase presque partout (sauf en Angleterre !). La dégringolade du PQ, voire le déclin du NPD, l’effondrement du PS en France, la défaite annoncée des socialistes au Chili, s’inscrivent dans cette tendance. Des partis centristes sont marginalisés et ceux qui survivent (au Canada avec Trudeau, en France avec Macron), le font grâce à des processus médiatiques hautement démagogiques et adoptant les politiques de la droite.
De l’autre côté, et c’est une relative bonne nouvelle, la gauche persiste et signe. Il y en a même qui avancent, comme Québec Solidaire et la nouvelle alliance progressiste aux États-Unis (DSA). Il y en a qui reculent (Syriza). Et il y en a qui se maintiennent, sans progresser (comme en Bolivie, en Équateur, en Uruguay).
Bref, nous ne sommes pas anéantis, nous avons encore des forces importantes, et nous sommes assez intelligents pour prendre garde. Néanmoins, la situation est périlleuse.
Il n’y a certes pas de recette magique pour éviter le piège qui nous est tendu. Il faut, en tout cas, de ne pas sous-estimer le vent réactionnaire qui souffle actuellement. Les droites sont habiles, elles sont fortes et elles sont déterminées. Ce n’est pas un épiphénomène passager, mais une tendance de fonds.
Que faire ?
– Éviter le sectarisme et le « je-sais-tout-isme » qui envoie le message qu’on a tout raison et qu’on ne veut pas travailler avec personne. Dans ce moment fragile, il faut élargir les alliances.
– Ne pas prendre les gens qui sont attirés par les idées de droite comme des demeurés ou des imbéciles. Mieux comprendre ce qu’ils-elles essaient parfois d’exprimer un rejet des élites traditionnelles. Ne pas ridiculiser le désir de sécurité qui est légitime dans notre monde instable.
– Parler davantage aux gens avec qui nous n’avons pas beaucoup d’affinité habituellement. Par exemple au Québec, les communautés racisées, les gens des régions éloignées des grands centres, les travailleurs indépendants et même, pourquoi pas, les propriétaires de PME ! Surtout ne pas se confiner dans nos « zones de confort » habituelles (organisations syndicales et populaires, institutions post-secondaires, etc.).
Et avec tout cela, on se souhaite bonne chance.
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