Édition du 12 novembre 2024

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Environnement

Paris et pipelines : la pression s'intensifie sur Trudeau

(tiré du Journal des Alternatives, 31 janvier 2016) - photo : Toma Ickovits.

Au moment d’écrire ces lignes, nous sommes à la première journée de la rentrée parlementaire à Ottawa. À la fois dans la Chambre des communes et hors des murs du Parlement, le débat bouillonne au sujet des oléoducs et du pétrole de l’Alberta. Quelques jours auparavant, le maire de Montréal Denis Coderre et les 82 muncipalités formant la région métropolitaine ont pris position contre le projet d’oléoduc Énergie Est, entrainant une intense guerre de mots entre Montréal et l’ouest.

Si Justin Trudeau savait qu’il hériterait de dossiers difficiles de son prédécesseur conservateur, il ne se doutait peut-être pas que le débat sur l’exploitation, le transport et exportation du pétrole des sables bitumineux au Canada s’intensifierait à ce point.

100 jours après les promesses

Après une prévisible lune de miel avec les médias et le public, l’écart entre les déclarations du gouvernement et les véritables mises en oeuvre de réformes commence à faire l’objet de critiques. Nul sujet ne met en lumière cette différence entre rhétorique et action autant que le dossier du climat.

Le gouvernement de Trudeau est allé à la conférence de Paris sur le climat et a déclaré sur la scène internationale que le Canada était de retour comme acteur constructif pour limiter le réchauffement climatique mondial et pour faire respecter les droits des Peuples autochtones. Pourquoi, alors, après s’être engagé à une cible de 1,5 C, vouloir construire des oléoducs favorisant l’expansion des sables bitumineux quand Paris exige que nous laissions les combustibles fossiles dans le sol ? Pour le Canada, cela voudrait dire faire le choix ambitieux de laisser plus de 80% des réserves pétrolières de l’Alberta dans le sol — un impératif établi par les scientifique pour rester sous le seuil de 2 C. Mais le gouvernement fédéral propose plutôt une « approche nuancée » pour permettre aux ressources canadiennes « d’accèder aux marchés internationaux ».

Cette contradiction touche au coeur du grand défi de Trudeau : il veut montrer une rupture avec la décennie Harper et il s’est en outre engagé à modifier les règles environnementales et d’évaluations des oléoducs héritées de Stephen Harper. Mais il a aussi hérité des grands intérêts d’une industrie qui tente d’acheminer les sables bitumineux par oléoduc depuis des années, et d’une économie paniquée par la dégringolade du prix du pétrole.

Pour tenter d’indiquer toutefois un changement de ton, Trudeau a déclaré récemment à Davos (ce qui lui a valu des applaudissements de certains et de virulentes critiques d’autres) que « la croissance et la prospérité ne tiennent pas seulement à ce qui se trouve sous nos pieds, mais surtout à ce que nous avons entre les oreilles ». On décèle ici une timide proposition pour diversifier une économie canadienne mise à mal par sa dépendance sur une commodité comme le pétrole mais au lieu d’un plan ambitieux, crédible, et juste pour mettre notre économie sur les rails de la transition énergétique, on voit plutôt Trudeau essayer un jeu d’équilibriste pour sauver une industrie en déclin.

Pipelines et provinces

Les projets d’oléoducs s’avèrent divisifs pour un gouvernement qui se veut conciliateur. Si Trudeau parle « d’acceptabilité sociale » comme impératif pour tout projet énergétique il ne veut pas aller de l’avant sans les provinces. En voulant se positionner comme « arbitre responsable », le premier ministre prend le pari de faire converger des intérêts variés autour de compromis — à cet effet, il se prépare une rencontre post-COP21 en début mars entre les premiers ministres provinciaux pour essayer de dessiner une stratégie énergétique pan-canadienne sur laquelle le gouvernement fédéral pourrait s’appuyer. Il a laissé l’Alberta ouvrir le bal en novembre dernier, juste avant la conférence COP21, et quelques autres provinces ont emboîté le pas. Mais le plan albertain de lutte aux changements climatiques n’est qu’un point de départ et ne suffit pas pour respecter nos engagements. Il est toujours question de développer les énergies fossiles à l’heure où on sait qu’on doit en arrêter l’exploitation.

Bien qu’il semble de plus en plus envisageable que les oléoducs ne voient jamais le jour, les différents processus d’évaluation des oléoducs au Canada vont de l’avant. Tant sur les plans de la sécurité environnementale, du climat qu’à cause des résistances des communautés affectées et des Nations autochtones, ces projets se heurtent à un mur d’opposition d’est en ouest.

Tout d’abord, dans les premiers jours du nouveau gouvernement, le président Obama a rejeté définitivement l’oléoduc Keystone XL, résultat des années de mobilisations par un vaste mouvement social. La raison invoquée était la contribution de cet oléoduc, via l’expansion des sables bitumineux, aux changements climatiques. TransCanada, qui a vu son oléoduc bloqué au sud, a décidé de lancer une poursuite juridique contre le gouvernement des État-Unis en vertu de l’Accord de libre échange nord-américain.

À l’ouest, les audiences finales de l’Office national de l’énergie (ONÉ) pour l’oléoduc Trans-Mountain de Kinder Morgan en Colombie-Britannique se poursuivent sans qu’il n’y ait eu aucune réforme appliquée aux règles établies par Stephen Harper pour faire approuver les oléoducs. Depuis deux semaines, les actions et prises de positions se multiplient à Burnaby ; le refus du projet et l’illégitimité du processus ne pourraient pas être plus clairs. Pour sa part, l’oléoduc Northern Gateway essuit aussi des revers depuis l’élection d’octobre dernier : la Cour suprême de Colombie-Britannique a jugé que la province a failli à son devoir de consultation avec les Premières nations pour le projet et le premier ministre Trudeau a exprimé son intention d’instaurer un moratoire sur le trafic pétrolier le long de la côte nord, là où Northern Gateway aboutierait, ce qui pourrait mettre fin du projet.

Côté est, la Ligne 9 d’Enbridge acheminant du pétrole de l’ouest vers Montréal a été mise en service en plein milieu de la COP21 en décembre. Le projet voit cependant un recours judiciaire de grande importance être porté en Cour suprême par les Chippewas de la Thames, des actions dénonçant les risques à la sécurité, et des demandes pour que le projet approuvé par le gouvernement Harper soient re-évalué sous de nouvelles règles.

Quant à Énergie Est, il est clair que la pression se fait sentir pour le projet qui serait le dernier rempart de l’industrie mais aussi le plus gros oléoduc de son genre en Amérique du nord. En plus du récent refus de la Communauté métropolitaine de Montréal, l’opposition au Québec avait aussi entrainé l’annulation du port de Cacouna au printemps dernier, et tout à l’est au Nouveau-Brunswick, dans la communauté de Red Head où Énergie Est implanterait son terminal d’exportation, les résidents ont fait convergé près de milles personnes pour s’y opposer, du jamais vu.

Si la résistance aux oléoducs ne donne pas signe de fatigue, les appels pour un arrêt plus global des énergies fossiles se multiplient et unissent les communautés. Dans le premier mois de son gouvernement, le premier ministre a fait face à quatre jours de sit-in devant sa résidence avec 200 personnes réclamant un moratoire sur l’expansion des sables bitumineux et à la plus grande marche pour le climat organisée à Ottawa pour exiger un engagement à une économie 100% renouvelable.

Pour finir, le gouvernement fédéral a pris des mesures pour s’engager à mettre en oeuvre les recommandations de la Commission vérité et réconciliation, pour faire appliquer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones ainsi que faire respecter les traités. Le consentement libre, préalable et éclairé des Premières nations est indiscutable et indissociables des impacts entrainés par les projets d’infrastructures sur les territoires autochtones.

La mobilisation doit continuer

Le danger a toujours été qu’après Harper, tout politicien moindrement plus progressiste serait applaudi comme vecteur de changement, avec l’effet démobilisateur que d’autres ont historiquement connus dans de pareilles circonstances, comme après l’élection de Barack Obama aux États-Unis. Nous sommes face à un gouvernement qui a plus d’ouverture mais gardons la tête froide, s’il n’y avait pas eu de mobilisations dans les premiers 100 jours du mandat de Trudeau, la bienveillance du premier ministre n’aurait pas suffit.

Il revient à nous de faire tenir les promesses au gouvernement, à l’heure où l’urgence d’agir est impossible à ignorer et que l’injustice des changements climatiques est déjà en marche, avec les communautés les plus vulnérables, pauvres et côtières les plus gravement touchées.

C’est aussi à nous de définir ce qu’un leadership en matière de climat veut dire, et quelles en sont les conditions. Pour que l’engagement de 1,5 C à Paris et autres promesses ne soient pas des voeux pieux, il nous faut aller vers des demandes ambitieuses pour garder les combustibles fossiles dans le sol. C’est dans la réalisation de ces objectifs que nous agirons non seulement en faveur de la préservation du climat, mais aussi de la redéfiniton de nos priorités économiques vers un modèle plus équitable et fondé sur les énergies renouvelables, et qu’une justice envers les peuples autochtones débutera avec le respect des traités et la mise en oeuvre complète de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones.

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