« Never let a good crisis go to waste » ou ne jamais rater le filon que représente une crise ! Cet adage des firmes de relations publiques des grandes compagnies semble constituer l’ordre du jour des pétrolières en ces temps de pandémie. Depuis trois mois, alors que les projecteurs sont braqués sur le coronavirus, les pétrolières placent leur pions pour profiter de la crise sanitaire avec la complicité des gouvernements.
« C’est le temps de bâtir un pipeline ! » proclame Mme Sonya Savage, ministre albertaine de l’énergie. Elle rappelle que les Albertains veulent retourner au travail et qu’ils ne sont pas d’humeur à tolérer ce qu’elle appelle une « insurrection civile ».[1] Avec la suspension des exigences environnementales[2], sans oublier le « war room » que M. Kenney a créé pour cibler les groupes opposés à l’exploitation des sables bitumineux, ce ton belliqueux est une autre indication que la protection de l’environnement est le cadet des soucis du gouvernement d’Edmonton. C’est tellement exagéré que la cheffe de l’opposition, Mme Notley, déplore ces excès car la suspension des exigences de surveillance environnementale pourrait même nuire à la création d’emplois puisque « les investisseurs internationaux évitent cette industrie de plus en plus considérée comme ayant un bilan environnemental aberrant. »[3]
Malgré les risques de transmission du coronavirus par les équipes de travailleurs, la construction de Trans Mountain a débuté, avec un budget d’environ 12 milliards de deniers publics.[4] De même, l’autorisation pour construire Keystone XL vers le sud des États-Unis est donnée malgré certaines oppositions publiques et judiciaires. Au Texas, Kinder Morgan invoque les clauses controversées d’« eminent domain » pour écraser toute opposition à la construction du Permian Highway pipeline en pleine pandémie.[5]
Non seulement les pétrolières veulent avoir de l’aide financière pendant la pandémie, mais elles veulent surtout que la réglementation en matière d’environnement soit relaxée. La lettre que l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) a fait parvenir au ministre des ressources naturelles, M. Seamus O’Regan, est sans équivoque à ce sujet.[6] Pourtant, dès 2019, on voulait exclure 735 000 km carrés au large de Terre-Neuve de l’évaluation environnementale ; comme excuse pour camoufler cette pilule amère, la pandémie fait parfaitement l’affaire. Au cours des 10 prochaines années, cela pourrait permettre jusqu’à 100 forages sans évaluation environnementale digne de ce nom.[7] Mais la réponse du ministère ne dit pas que les évaluations seront à peu près complètement éliminées ; elle prétend les « améliorer » dans le but de « maintenir la compétitivité de ce secteur à l’échelle mondiale. »[8] Quel cynisme !
Au Québec, le gouvernement de M. Legault proposait de tourner les coins ronds avec le projet de loi 61. C’est bien beau de vouloir relancer les activités économiques pendant le déconfinement en proposant quelque 200 projets qui seraient mis sur le « fast track », mais il ne faut pas que le remède soit plus dangereux que la Covid-19. Comme dans cette entrevue, où Michel C. Auger et Patrick Bonin se demandaient si le ministère de l’environnement devrait vraiment changer de culture pour devenir un outil au service des promoteurs.[9] En commission parlementaire, on réalise que ce n’est pas seulement l’environnement qui serait voué aux oubliettes ; certains craignaient que cette relaxation des procédures puisse permettre à des entrepreneurs déchus par la commission Charbonneau de revenir dans le décor. Malgré l’urgence, ça aussi, c’était inacceptable !
Tant au Québec qu’à travers le Canada, l’utilisation de la pandémie comme « EXCUSE » pour suspendre, retarder ou annuler les mesures de protection de l’environnement constitue une opération délibérée et systématique. Pour avoir une liste complète de cette utilisation, je vous invite à lire l’article du National Observer, en date du 5 juin, déclinant le catalogue de ces mesures pour chaque province ou territoire. Lorsque l’on réfléchit aux conséquences, cette liste peut donner la nausée aux âmes sensibles ![10] Quant à moi, je suis prêt à payer des impôts pour aider ceux qui ont vraiment besoin d’aide pendant la pandémie. Mais je refuse que les deniers publics soient utilisés pour financer les pollueurs.[11]
Gérard Montpetit
le 23 juin 2020
4] https://www.nationalobserver.com/2020/06/02/news/trans-mountain-pipeline-construction-begins-bc
9] Radio-Canada. 5 juin 2020 à 12 ;21h ; entrevue de Michel C Auger avec Patrick Bonin
https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/midi-info/episodes/464900/rattrapage-du-vendredi-5-juin-2020/10?fbclid=IwAR3pvsigGbyKCB_vhmpMZ9mTOSOfVBlFaWKiuKF6V5GlGvdS9xcErkBlcvY
11] https://canadians.org/analysis/polluter-pays-or-polluters-get-paid
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