Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Une attaque contre la profession enseignante

Projet de loi no 40 modifiant la gouvernance scolaire : Un véritable cheval de Troie

Le projet de loi No40 (PL40) modifiant la Loi sur l’instruction publique a été déposé le 1er octobre à l’Assemblée nationale par le ministre de l’Éducation. En plus de faire disparaître les commissions scolaires (et leurs élus) au profit de « centres de services scolaires » dirigés par un conseil d’administration, ce projet de loi centraliserait le système scolaire au profit du ministre, et ferait la part belle aux directions d’établissement et aux gestionnaires. En outre, dans sa forme actuelle, il contient des éléments dommageables pour l’école publique et pour la profession enseignante, notamment en introduisant des éléments s’apparentant à la mise sur pied d’un ordre professionnel déguisé.

1. Le PL 40 rendrait la formation continue du personne enseignant obligatoire

Article 133 du projet de loi

Les titulaires d’une autorisation d’enseigner seraient soumis à des obligations de formation continue (à moins de dispenses explicites).

Le système actuel de formation continue, tant dans son accessibilité, son financement que ses conditions de réalisation (temps, libération et compensation) est un échec total et le projet de loi n’y changerait rien. Les « sanctions découlant du défaut de (se) conformer » à l’obligation de formation continue obligatoire introduites par le projet de loi sont aberrantes et insultantes. Comment les enseignantes et enseignants seraient-ils surveillés ?

Perdraient-ils leurs autorisations d’enseigner, faute de participer à des formations inutiles ou farfelues, et ce dans un contexte de pénurie de personnel ?

Selon la FAE, il revient aux enseignantes et enseignants de décider de quelles formations elles et ils ont besoin. De plus, le temps et les compensations en lien avec la formation doivent absolument être au rendez-vous.

Il est important de se rappeler que les membres de la FAE avaient refusé l’inclusion d’une clause correspondante dans l’Entente nationale 2015-2020 lors de la dernière négociation. Le perfectionnement est un objet conventionné, mais sous-financé et trop rarement lié aux besoins exprimés par les enseignantes et enseignants.

2. Un « comité d’engagement pour la réussite des élèves » examinerait les pratiques pédagogiques des enseignantes et enseignants ainsi que les résultats de leurs élèves pour atteindre des cibles de performance

Article 88 du projet de loi

Le comité d’engagement pour la réussite des élèves a pour fonctions :

• d’élaborer et de proposer au centre de services scolaire un plan d’engagement vers la réussite, conformément à l’article 209.1 [de la LIP] ;

• d’analyser les résultats des élèves et de formuler des recommandations au centre de services scolaire sur l’application du plan d’engagement vers la réussite (PEVR) approuvé par le centre de services scolaire ;

• de promouvoir, auprès des établissements, les pratiques éducatives, incluant celles en évaluation, issues de la recherche et liées aux orientations du plan d’engagement vers la réussite ;

• de donner son avis au centre de services scolaire sur toute question relative à la réussite des élèves.


NOTE

La composition du comité serait la suivante :

• la direction générale du centre de service,

• qui dirigerait le comité ;

• quatre enseignantes ou enseignants ;

• quatre directions d’établissements ;

• une personne professionnelle ;

• une personne employée de soutien ;

• une personne cadre des services éducatifs ;

• une personne issue du milieu de la recherche en éducation.

Ce comité, composé minoritairement de personnel enseignant, élaborerait le PEVR qui serait approuvé par le centre de services. Selon les résultats des élèves, il proposerait des pratiques éducatives et évaluatives « issues de la recherche » en lien avec les cibles du PEVR. Le terme Comité de conformité pédagogique aurait été plus approprié.
Encore une fois, on veut faire porter aux enseignantes et enseignants le poids de la réussite scolaire, en occultant complètement les facteurs socioéconomiques qui jouent un rôle beaucoup plus important dans la réussite des élèves.

Selon la FAE, la gestion axée sur les résultats ne convient pas à un service public comme l’éducation, mais plutôt à des chaînes de montage. Les « bonnes pratiques », les « résultats de la recherche » et autres « donnés probantes » ne sont trop souvent que des recettes miracles qu’on tente de nous faire appliquer universellement au lieu d’investir davantage de services et de ressources humaines et financières. L’enseignement n’est pas une science exacte, et ce qui fonctionne avec certains élèves ne fonctionne pas avec d’autres.

3. Le tripotage de notes par les directions d’établissement serait désormais légal.

Article 34 du projet de loi

Les normes et modalités d’évaluation des apprentissages visées au paragraphe 4° du premier alinéa ne peuvent avoir pour effet de permettre la majoration automatique d’un résultat. Elles peuvent toutefois permettre exceptionnellement au directeur de l’école, après consultation de l’enseignant, de majorer le résultat d’un élève s’il existe des motifs raisonnables liés à son cheminement scolaire.

Unanimement dénoncé, le tripotage de notes par les directions serait désormais parfaitement légal, moyennant une simple « consultation » des enseignantes et enseignants concernés.

D’une part, l’évaluation est une compétence exclusive du personnel enseignant et fait partie intégrante de leur autonomie professionnelle. C’est un concept qui diffère des normes et modalités. Il y a là une confusion grave au niveau juridique. D’autre part, des questions importantes doivent être posées par rapport à l’application de cet article. Qu’est-ce qu’un « motif raisonnable » ? Qui en jugerait ? La direction… ? Finalement, la seule existence de ce pouvoir attirerait les sollicitations pressantes de certains parents, qui souhaiteraient que leur enfant obtienne de meilleures notes.

En réalité, les directions n’ont pas la compétence légale d’évaluer les apprentissages. Ce sont les enseignantes et enseignants qui ont cette compétence, laquelle est reconnue par les tribunaux (Sentence Commission scolaire de la Capitale et Syndicat de l’enseignement de la région de Québec, ROY, Jean-Guy, SAE 8573) ainsi que par l’Entente nationale aux clauses 8-1.05 et 8-2.01.

4. L’expertise des enseignantes et enseignants ne serait toujours pas reconnue

Le projet de loi modifierait les droits de l’enseignante et de l’enseignant prévus à l’article 19 de la LIP.

Dans le cadre du projet éducatif de l’école et des dispositions de la présente loi, l’enseignant a le droit de diriger la conduite de chaque groupe d’élèves qui lui est confié.

L’enseignant possédant une expertise essentielle en pédagogie (ajout proposé), a notamment le droit :

1. de prendre les modalités d’intervention pédagogique qui correspondent aux besoins et aux objectifs fixés pour chaque groupe ou pour chaque élève qui lui est confié ;

2. de choisir les instruments d’évaluation des élèves qui lui sont confiés afin de mesurer et d’évaluer constamment et périodiquement les besoins et l’atteinte des objectifs par rapport à chacun des élèves qui lui sont confiés en se basant sur les progrès réalisés.

Le fait d’insérer ce texte nous rend plutôt perplexe et méfiant. Pourquoi faire cet ajout ? Parce ce n’est pas le cas actuellement ou parce qu’on voudrait extraire les droits reconnus à l’article 19 à certains profs. Le fait de ne pas biffer la référence au projet éducatif dans le libellé de l’article 19 est en outre un contresens puisque celui-ci, désormais intégré à l’appareil de reddition de compte de la gestion axée sur les résultats, vient restreindre l’autonomie professionnelle du personnel enseignant. Au vu d’autres éléments du projet de loi (formation continue obligatoire, comité d’engagement pour la réussite des élèves, légalisation de la majoration des résultats d’un élève), l’ajout proposé à l’article 19 est plutôt une mascarade ou une insulte.

Selon la FAE, l’article 19 de la LIP devrait se lire comme suit :

Dans le cadre des programmes de formation et des dispositions de la présente loi, ainsi que dans le respect de son autonomie professionnelle individuelle, de son jugement et de son expertise, l’enseignante ou l’enseignant a le droit de diriger la conduite du ou des groupes d’élèves qui lui sont confiés, de choisir la démarche appropriée pour la préparation et la présentation de ses cours, de choisir ses modalités d’intervention pédagogique, son matériel didactique et ses instruments d’évaluation.

5. Quelques sujets litigieux

Décentralisation-centralisation

Les dispositions de la LIP conférant de larges pouvoirs au ministre, apparues en 2017, demeureraient en place tout comme celles mettant en oeuvre la gestion axée sur les résultats. Le projet de loi ajouterait des éléments au chapitre de la centralisation. Par exemple :
Le ministre peut déterminer, pour l’ensemble des centres de services scolaires ou en fonction de la situation de l’un ou de certains d’entre eux, des objectifs ou des cibles portant sur l’administration, l’organisation ou le fonctionnement du centre de services scolaire. (PL 40, art. 137)

Composition des conseils d’établissement (CÉ)

Il faut dénoncer le déséquilibre des conseils d’établissement qui résulterait de l’adoption du projet de loi. Présentement, le nombre de parents et le nombre d’employés sont les mêmes. Avec le PL 40, le nombre de membres parents passerait à six ou sept, selon les cas, tandis que celui des membres employés passerait à quatre ou cinq, dont deux ou trois membres du personnel enseignant, selon les cas. En outre, la personne représentant la communauté aurait désormais un droit de vote et serait nommée uniquement par les parents. En somme, plus de pouvoirs aux parents et aux directions.

Composition des conseils d’administration(CA) des centres de services scolaires

La composition des CA serait de huit parents, quatre membres de la communauté et quatre membres employés. Les membres employés (dont un membre du personnel enseignant) seraient désignés par ses pairs et les membres parents proviendraient du bassin des membres des CÉ des établissements scolaires. Cela rétrécirait largement le bassin de personnes éligibles ainsi que la diversité de profs des « représentantes et représentants ». Les profs n’ont jamais demandé ou souhaité devenir des administrateurs. Ils exigent la reconnaissance, pleine et entière, de leur autonomie professionnelle et non des sièges symboliques servant de caution à des décisions de gestion.

Plus de Flexibilité dans le choix des centres de services

L’article 92 du projet de loi propose de faciliter les mouvements d’élèves entre les centres de services. Dans certaines zones, notamment urbaines, il en résulterait des débalancements d’effectifs scolaires, et une concurrence accrue, plus seulement entre les écoles, mais aussi entre les centres de services.

Vous trouvez ce projet de loi inacceptable ? Envoyez une lettre au ministre en remplissant le formulaire conçu à cet effet, cliquez ICI.
 
Pour en connaître plus

Projet de loi no40 modifiant la gouvernance scolaire – dépliant

Projet de loi no40 modifiant la gouvernance scolaire – communiqué

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