Édition du 19 novembre 2024

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Politique québécoise

Option nationale : une option ou un terrain de stationnement

Jean-Martin Aussant a quitté le Parti québécois. Il a fondé un nouveau parti indépendantiste. Il a publié au début novembre une plate-forme qui sera discutée à son premier congrès. Lisette Lapointe, ex-députée péquiste, a rejoint le parti, mais elle a décidé de garder sa carte du Parti québécois. Les autres militant-e-s souverainistes qui quittent le PQ et qui rejoignent Option nationale poseront-ils le même geste ? [1] En somme, le projet d’Option nationale est-il un projet historique qui se distingue radicalement de celui du Parti québécois ou est-il un terrain de stationnement pour ex-péquistes déçus ?

Une plate-forme indépendantiste et sociale-démocrate

La plate-forme d’Option nationale rejette clairement la gouvernance souverainiste du Parti québécois. Durant son premier mandat, un gouvernement d’Option nationale "fera en sorte que toutes les taxes et tous les impôts payés sur le territoire Québécois soient dorénavant perçus par le gouvernement du Québec, que toutes les lois qui régissent les citoyens du Québec soient votées par l’Assemblée nationale du Québec, que tous les traités qui lieront le Québec aux autres nations du monde soient signés par le gouvernement du Québec et qu’une constitution soit écrite avec la plus grande participation possible de la population contiendra une déclaration de souveraineté qui sera entérinée par le biais d’un référendum."

Deux remarques : a) que peuvent bien vouloir dire les mots énigmatiques : fera en sorte ? Comment sera construit le rapport de forces qui permettrait d’écarter le pouvoir fédéral de la scène ? C’est bien mystérieux et en politique le mystérieux n’est guère crédible. b) La plate-forme ne parle pas de constituante, mais la proposition s’en rapproche. Mais surtout, l’élection d’une assemblée constituante élue au suffrage universel et la tenue d’un référendum sur une constitution issue de ses travaux n’ont pas été placées au coeur d’une démarche stratégique de légitimation de la rupture d’avec le fédéralisme. Cela affaiblit considérablement la crédibilité de la démarche proposée. Une discussion sérieuse sera nécessaire pour clarifier les perspectives avancées.

Pour ce qui est de l’économie, la plate-forme d’Option nationale propose que l’État québécois soit maître d’œuvre du développement des ressources naturelles par le biais d’une nationalisation en collaboration avec le secteur privé. Pourquoi nationaliser, si on confie au privé l’exploitation des ressources. Quelle sera la part du public ?

La plate-forme s’en tient au moratoire sur les gaz de schiste et ne rejette pas clairement l’exploitation des gaz de schiste. Elle ne se prononce pas davantage sur l’exploitation des hydrocarbures dans le golfe St-Laurent.

La plate-forme propose la nationalisation du secteur éolien et le rejet de l’énergie nucléaire de la stratégie énergétique nationale.

Dans le domaine du transport, Option nationale propose l’électrification des transports collectifs et individuels. Le document propose également la transformation locale de nos ressources naturelles, la création d’une Banque du Québec, le soutien à l’économie sociale et la reconsidération du mandat de la Caisse de dépôt et placement pour le ramener plus près de l’esprit fondateur de l’institution. Pour ce qui est de la réforme de la fiscalité, la plate-forme veut favoriser l’augmentation des investissements des firmes locales et participer à la révision des paliers d’imposition, sans qu’il soit clairement indiqué que la fiscalité doit participer à la redistribution de la richesse.

Un gouvernement d’Option nationale instaurera la gratuité scolaire, et rehaussera de 16 à 18 ans l’âge de l’instruction obligatoire. La Charte de la langue française couvrira l’éducation jusqu’à 18 ans, incluant donc généralement l’entrée au sein du réseau collégial et augmentera les budgets alloués à l’alphabétisation.

Un gouvernement d’Option nationale réaffirmera le caractère public, et universel du système de santé et limitera la participation du secteur privé. Il fera de la prévention et de l’action sur les déterminants de santé une priorité nationale, élargira le rôle des infirmières et des pharmaciens, créera Pharma-Québec, société d’État responsable de la gestion des produits pharmaceutiques. Cette société pourra, écrit la plate-forme, produire ses propres médicaments génériques.

Au niveau de la langue et de la culture, le gouvernement d’Option nationale, réaffirmera le français comme seule langue officielle et commune du Québec, fera de la connaissance fonctionnelle du français un critère obligatoire pour immigrer au Québec, interdira toute forme d’écoles passerelles, favorisera l’intégration de l’immigration en région, étendra l’application de la Charte de la langue française à toutes les entreprises sises au Québec, dégagera les budgets nécessaires afin de conserver les langues et cultures autochtones vivantes au Québec.

Enfin, au niveau des institutions, un gouvernement d’Option nationale reverra le mode de scrutin pour insérer une composante de proportionnalité, instaurera le financement public des partis politiques, des élections à date fixe, restreindra l’accès des lobbys aux instances gouvernementales, imposera à une commission parlementaire de recevoir un mandat d’initiative populaire, et améliorera l’accessibilité au système de justice.

Que conclure de ce début d’élaboration programmatique ?

Sur la question de la stratégie à mettre de l’avant pour la souveraineté, Option nationale se distingue clairement de la position autonomiste du Parti québécois qui se masque sous l’étiquette de gouvernance souverainiste. Mais elle s’embrouille dans une phraséologie sans moyen. Elle semble néanmoins être ouverte à la mise en place d’une constituante lors de son premier mandat de gouvernement, même si cela demeure imprécis. À ce niveau, à moins d’un sérieux reniement, Option nationale jette un défi stratégique essentiel au Parti québécois qui, malgré ses poses, tics et autres accents nationalistes. ne parvient pas à masquer sa démission sur la question de la souveraineté. Le seul retour d’un Gilles Duceppe à la direction du PQ, qui maintiendrait la gouvernance souverainiste comme axe stratégique essentiel. ne saurait justifier pour des indépendantistes conséquents le ralliement au PQ.

Des propositions qui restent hors sol

Si au niveau du contrôle des richesses naturelles du Québec ou du développement d’une approche écologiste, certaines propositions sont plus clairement marquées à gauche que les propositions du Parti québécois, les propositions restent hors sol, sans qu’aucune explication ne soit esquissée sur les responsabilités du système capitaliste dans la détérioration de l’environnement, dans la crise climatique, dans le pillage de nos richesses par les multinationales. La plate-forme garde un silence total sur la responsabilité du capital financier dérégulé et privatisé sur les crises qui frappent actuellement de nombreux pays. La plate-forme d’Option nationale garde un silence total ou presque, sur le caractère inacceptable de la concentration de la richesse et du pouvoir économique dans les mains de quelques-uns. On n’y trouve rien sur les fondements de la crise démocratique, rien pour dénoncer la volonté de l’oligarchie économique et politique de s’accaparer de tous les pouvoirs et de sa volonté de bloquer toute démocratisation véritable des institutions politiques.

Dans la situation de crise économique structurelle actuelle qui mène l’oligarchie à vouloir faire payer aux peuples les coûts de leur crise, à faire succéder les plans d’austérité aux plans d’austérité, la souveraineté populaire doit être mieux définie pour redonner un sens véritable à l’indépendance nationale. Mais à ce niveau comme à d’autres, la discussion politique avec Option nationale mérite d’être menée. Car à tous ces niveaux, la plate-forme d’Option nationale reste marquée par des formules floues et le parti par un avenir incertain. Sans un effort de clarification de ces perspectives, il risque de devenir un terrain de stationnement fort temporaire.


[1Un parti jouant le rôle de terrain de stationnement, c’est un parti où les adhérent-e-s sont en attente d’un tournant important du parti d’où ils proviennent pour y revenir. Rappelez-vous du Rassemblement Démocratique pour l’Indépendance fondé en 1985 par des membres dissidents du Parti québécois. Le Parti québécois était alors dirigé par Pierre-Marc Johnson. Son affirmationnisme, nom donné à l’autonomisme à l’époque, ressemblait fort à la gouvernance souverainiste d’aujourd’hui. Cette mise sur la glace de la souveraineté avait provoqué le départ de nombreux membres du Parti québécois y compris des ministres du gouvernement Lévesque : Jacques Parizeau, Camille Laurin, Gilbert Paquette, Denise Leblanc-Bantey... En juin 1986, le RDI devenait officiellement un parti politique. La démission de Pierre-Marc Johnson et l’élection de Jacques Parizeau à la direction du Parti québécois en 1987 provoquèrent le retour des ex-membres du PQ dans le giron du Parti québécois. Le RDI ne s’est donc jamais présenté à une élection et il devait disparaître peu après.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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