Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

On a raison de révolter ?

La plupart d’entre vous avez entendu, si ce n’est pas 1000 fois, l’expression juste et lumineuse, « on a raison de se révolter ». Elle a été dite et redite de Spartacus en passant par les sans-culottes français, les multitudes de Petrograd et les paysans de Yenan. Elle a été écrite par des générations militantes de Fanon au Che Guevara et surtout par des visages anonymes, oubliés par une histoire qu’eux-mêmes et elles-mêmes ont faite dans les cités et les villages de ce monde. On l’entend aussi au Québec depuis une révolution pas-si-tranquille, qui relaie les échos des Patriotes de 1837.

Pour autant, cette phrase est plus compliquée qu’on peut le penser, car en fin de compte, elle contient deux idées qui peuvent être complémentaires, mais qui ne le sont pas nécessairement.

Commençons par la révolte. C’est le premier terme de l’équation, car il est d’une grande simplicité. Le système dans lequel vit notre humanité est injuste et cruel et ce depuis longtemps. Il y a des hauts et des bas. Il y a des avancées, des progrès parfois, mais sur le long terme, c’est un système qui reproduit l’injustice.

Contrairement à ce qu’en disent les intellectuels de service et les journalistes-mercenaires, ce système n’a rien de « naturel ». Il a été construit il y a quelques 600 ans avant qu’on puisse le connaître par son nom, le capitalisme. Dans son « code génétique » si on peut dire, ce capitalisme carbure à l’exploitation. C’est nécessaire, car sans cette exploitation et la marchandisation des humains qui vont avec, le capitalisme ne peut accumuler, ce qui signifie sa mort. Parfois, à certaines périodes, la révolte gronde trop fort, ce qui conduit le capitalisme à se « civiliser », jusqu’à un certain point. Nos parents et grands-parents ont vécu cela après la Deuxième Guerre mondiale.

Dans un sens, ces possibilités de réformes indiquent que l’humanité n’est pas condamnée : sa résistance, son imagination, son courage, peuvent changer les choses. Dans cette révolte, rien n’est jamais terminé. Le capitalisme, devrait-on les capitalistes, ne restent pas assis à rien faire. Ils se battent, attendent leur moment, reviennent à la charge. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les gains arrachés durant la période où le capitalisme s’est civilisé sont érodés : c’est la revanche du 1 %. Alors là, la révolte continue.

Continuons par la « raison ». On a « raison » de se révolter, ce qui veut dire qu’il y a un raisonnement, une analyse, pour ne pas dire une stratégie. La révolte, juste et légitime, doit construire sa « raison ». Elle ne peut pas être seulement menée par l’émotion. L’élément « raison » veut dire qu’il y a des calculs, des évaluations. On choisit son moment, on regarde bien attentivement la configuration des forces. Si on ne fait pas cela, si on n’est pas capables de faire cela, alors la formulation, « on a raison de se révolter » devient caduque.

Entre l’intuition et le volontarisme de la révolte et le moment de la raison, il y a un passage difficile. Victor Serge, dans sa magnifique autobiographie (Mémoires d’un révolutionnaire) , a bien raconté comment sa génération, influencée par l’anarchisme, a échoué au tournant du siècle en pensant que l’humanité était perdue d’avance, vaincue et écrasée par la grosse machine. Découragés par le manque de combativité des grands syndicats et partis socialistes, des tas de jeunes se sont lancés dans des actions désespérées. On répondait aux provocations de la police par un insurrectionnisme verbal qui aboutissait à d’autre répression, d’autres massacres, ce qui confortait l’idée d’une société sans espoir. Cette tragédie a duré pendant plusieurs années, jusqu’à temps que le mouvement populaire retrouve ses forces et se remette à contester l’ordre injuste et à redécouvrir une jeune-vieille idée : « vaincre » !

En fin de compte, le mouvement a retrouvé sa raison. Pour cela, le mouvement s’est doté d’autres « outils » du côté de la tradition marxiste, que Serge, par ailleurs, ne considérait pas comme une « religion » ou une « vérité absolue ». Il fallait, et il faut toujours, développer une pensée critique et faire des enquêtes, car la vie est toujours fois plus complexe (et riche) que n’importe laquelle théorie. Cette réalité n’est pas limitée à ce qu’on voit, aux apparences. Il faut creuser et alors en creusant, on se forge de nouveaux outils, qui sont plus efficaces que ceux que nous ont légués nos ancêtres. « Le plus beau et le plus dur, disait Serge, est le fait que, lorsqu’on cherche la vérité, on la trouve »…

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