Complaisance envers les Libéraux et alliance avec le PQ
D’un côté de la bouche, le parti dénonce l’austérité et réclame une imposition accrue des banques, des grandes entreprises et des revenus élevés [2]. De l’autre, le même jour, il félicite le gouvernement des Libéraux qui « s’est montré ouvert à débattre de la question du maintien des budgets pour la construction de nouveaux logements sociaux au Québec » tout en « constat[ant] l’intérêt de M. Leitao [le ministre des Finances], à l’instar de son collègue Gaétan Barrette [le ministre de la Santé] rencontré mercredi, à prendre à bras le corps le problème des prix faramineux des médicaments au Québec et d’en réduire la facture publique » [3]. Faut-il s’étonner de cette complaisance de la part de la direction du parti qui préférait, il y a peu, rechercher un consensus avec le Parti libéral au point que celui-ci, soutenu par le PQ et la CAQ, avait appuyé une motion Solidaire de « bonne foi » dans les négociations du secteur public [4] Le congrès du parti a beau voter que le parti ne veut rien savoir d’une alliance avec le PQ — faudrait-il voter cette résolution à chaque congrès ? — encore moins, se dit-on, depuis son bref passage au gouvernement en 2012-13 où le PQ a redémontré son parti-pris néolibéral pour les coupures et pour le pétrole avec en sus la promotion d’une charte dite des « valeurs » identitaire et islamophobe, la direction Solidaire persiste à souhaiter une alliance souverainiste interclasse qui a prouvé son échec historique.
Rompre avec le PQ, c’est rompre avec le terrain stratégique du PQ
Cette dissidence non banale du responsable aux communications à propos de la question stratégique des alliances est au diapason du congrès [5]. Toutefois celle-ci n’est pas aboutie. Elle n’explicite pas en positif une alternative indépendantiste de gauche dans le sens d’une indépendance réelle pour exproprier les banques, et non seulement d’une indépendance institutionnelle pour sauver la langue, afin d’atteindre le plein emploi écologique. Québec solidaire a une conception purement constitutionnelle de l’indépendance, ce qui met le parti sur le même terrain que celui du PQ. Même si sa stratégie de l’assemblée constituante, qui nécessite trois suffrages nationaux avec un apport de la rue que comme « actrice de soutien », est démocratiquement plus radicale que la stratégie du PQ, indéterminée à souhait, elle demeure une rupture dans la continuité des institutions. C’est là une contradiction qui amène le parti dans le cul-de-sac péquiste de la gouvernance souverainiste d’une province canadienne. Une bonne gouvernance amène à un rejet de l’indépendance, une mauvaise à celle du parti.
La porte de sortie de ce dilemme faustien mène à la rue, c’est-à-dire à la grève sociale. C’est la stratégie de la grève sociale sur horizon d’indépendance réelle qui devrait être l’apport du parti dans l’actuelle mobilisation contre l’austérité et contre les hydrocarbures. C’est cette stratégie qui permettrait de damer le pion aux concertationnistes directions syndicales. Celles-ci ont repris le contrôle de la situation suite à la défaite du printemps 2015, ce qui mènera non pas au conte de fée d’une grève générale automnale mais d’une capitulation avec ou sans baroud d’honneur d’une ou deux journées de grève. C’est en devenant la substantifique moelle d’une coalition pour la grève sociale que Québec solidaire deviendra l’axe du camp de l’indépendance redéfinie comme indépendance réelle combinant libération nationale et émancipation sociale.
Coup de gueule sans lendemain ou opposition durable et organisée ?
L’élection de PKP, milliardaire et champion anti syndicaliste, comme chef péquiste est un moment bien choisi pour faire connaître publiquement sa dissidence. Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si André Frappier occupe un des deux postes contestés, sur onze, au prochain congrès. Jusqu’ici il fallait se faire une idée pour le vote sur la base de biographies plutôt vides de contenu politique, ce qui en dit beaucoup sur la pauvreté du débat démocratique dans le parti. En autant que le responsable aux communications, et présumément son équipe, fasse de cette élection un enjeu politique, le vote à ce poste pourrait devenir le grand enjeu stratégique de ce congrès. Si l’on pense à la stagnation du féminisme québécois et à l’importance de la lutte contre l’austérité et contre les hydrocarbures vis-à-vis l’oppression des femmes [6], ce changement de focus du congrès ne se ferait nullement au détriment de la question femmes d’autant plus qu’il n’impliquerait pas une modification des temps alloués ou si peu.
Cette dissidence publique d’un membre de la direction est une rareté dans le parti. Le responsable au programme de l’époque l’avait fait en 2006 sur la question de l’Afghanistan [7] puis deux autres membres de l’exécutif en 2009 lors du débat sur l’indépendance [8]. Le responsable aux communications, et son équipe, va-t-il exposer clairement son point de vue dans le cadre du congrès en prenant les moyens nécessaires (interventions, discours, tracts, réunions ad hoc) ? Ce serait indispensable pour que le vote pour ce poste du Comité de coordination nationale n’en reste à une question de bonne gouvernance en fonction des caractéristiques personnelles. André Frappier, qu’il soit réélu ou non, va-t-il faire le second pas en regroupant autour de lui les tenants de son point de vue jusqu’à susciter l’organisation d’une tendance politique ? Ou bien va-t-il faire comme les précédent dissidents qui ont soit disparu dans le décor soit accepté finalement le "consensus" ? Voilà la question qui compte pour que cette heureuse initiative ait un lendemain.
Marc Bonhomme, 20 mai 2015
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