Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Nouvelle loi sur le lobbyisme : une attaque contre l’environnement et la démocratie

Dans un billet précédent, je mettais en garde contre la réforme de la loi sur le lobbyisme au Québec. Le projet de loi 56 (PL56) est maintenant déposé. Véritable cheval de Troie, ce projet proclame la vertu de la transparence alors que dans les faits, il va réellement entraver le travail des groupes écologistes, de défense des droits et de quelque 5 000 organismes communautaires.

Genèse d’un plan de cons

Cela fait quelques années que les lobbyistes du Québec, qui ont leur propre lobby, cherchent désespérément à redorer leur image publique. Difficile, quand on sait que le trafic d’influence et la corruption sont des problèmes endémiques au Québec et qu’il est prouvé que la pratique du lobbyisme affaiblit les démocraties au profit des intérêts privés (qui ont toujours plus de moyens pour se faire entendre que les citoyens-nes).

Parallèlement, les lobbyistes se plaignent que les écologistes et les groupes de défense de droits n’aient pas à se soumettre exactement aux mêmes exigences administratives (1,2,3,4) parce que, dans le fond, faire pression pour qu’une pétrolière puisse forer près d’un village et enrichir de quelques millions une poignée de gens, c’est exactement la même chose que lorsque des citoyennes et citoyens du même village se rassemblent avec les moyens du bord pour défendre leurs droits fondamentaux à la santé et à un environnement sain.

Et si les caribous ou les bélugas veulent survivre, hein, ils n’ont qu’à embaucher des avocats comme tout le monde.

Toujours est-il que le Commissaire au lobbyisme a magiquement donné suite à pratiquement toutes les préoccupations de nos précieux lobbyistes. Ses recommandations forment l’essentiel du nouveau projet de loi et le ministre Fournier a répété presque mot pour mot le même narratif.

Un registre inefficace

D’abord, le projet de loi semble incapable de remplir sa fonction première : combattre le trafic d’influence et la corruption. On ne tient pas un registre pour le plaisir : c’est afin d’exposer au grand jour les tractations entre les grosses industries et les représentants de l’État. Or, il reste que le registre a une bien piètre performance. Par exemple, on note seulement quatre sanctions depuis sa création en 2002. Il n’y aucune étude pour démontrer son efficacité et ni le commissaire ni le ministre ne s’embêtent de prouver que ça fonctionne, treize ans plus tard.

Rien dans ce nouveau projet ne porte à croire que la situation va s’améliorer. Intéressant de noter que sous le PL56, nombres d’informations restent quand même confidentielles et le Commissaire peut décider de ne pas divulguer ce qui, selon lui, pourrait « porter atteinte sérieuse aux intérêts économiques et financiers [d’une] personne physique ou entité ». Même chose si le Commissaire estime que cela peut nuire à leur sécurité, ou en raison de toute autre circonstance qu’il juge particulière (art. 37).

Un bâillon pour les écologistes et les organismes communautaires

Le plus grand problème du PL56 reste le frein important aux activités des groupes communautaires, voire à la vie associative des citoyennes et citoyens du Québec. Si la liberté d’association est un droit humain déjà en péril, nous serons aussi limités dans nos représentations auprès du gouvernement, sous la menace d’amendes salées.

D’abord, le PL56 vise à soumettre les quelque 60 000 OSBL du Québec au registre du lobbyisme. Il ne fait aucune distinction entre les types d’organismes, ignorant la spécificité, le rôle et la transparence qui existe déjà pour les quelques 5 000 organismes d’action communautaire autonome, les quelque 350 organismes de défense collective des droits comme la Ligue des droits et libertés, les quelque 150 groupes écologistes comme la Coalition Eau Secours ! et les nombreuses autres coalitions informelles comme la Coalition Québec Meilleure Mine.

Omettre de faire une distinction parmi les OSBL est une erreur grave et irrémédiablement stupide. Il existe effectivement certains OSBL qui cachent à peine leur vocation privée, par exemple la Fondation Chagnon, le Jour de la Terre ou le Festival Juste pour rire. Mais un Centre d’action bénévole ? Une maison des jeunes ? Un groupe de citoyens opposés-es aux gaz de schiste ?

De prime abord, la loi semble impossible à appliquer. Est défini comme lobbyisme toute activité visant à influencer (art 12. : via rencontres, courriels, jusqu’aux tweets !) un détenteur de charge publique, ce qui est à peu près n’importe qui dans le palier municipal et provincial. Maintenant, la responsabilité de s’enregistrer passe des entités aux individus. Cela signifie que plusieurs personnes dans chacun des quelques 60 000 OSBL pourraient avoir à s’enregistrer comme des lobbyistes !

Mais revenons aux organismes communautaires. Nous sommes fragiles. Le taux horaire moyen de nos employés est de 17.33$ (quelle opulence !) et nos conseils d’administration sont composés de bénévoles pour la quasi-totalité. Ces gens, qui souffrent déjà de précarité pour veiller au bien commun, seraient forcés par la nouvelle loi à enregistrer un grand volume d’informations somme toute complexes (art. 17) et risquer des amendes allant de 500$ à 75 000$ pour les particuliers et de 8 000 à 150 000$ pour une entité (art. 107 à 116).

Comble de la bureaucratie, les organismes communautaires exercent déjà une reddition de compte extensive et publique, devant l’État, les bailleurs de fonds, les membres… Parce qu’il y a déjà une politique gouvernementale pour nous encadrer et assurer notre transparence.

Bien sûr, le PL56 introduit certaines exemptions au registre, par exemple lorsqu’un organisme demande un rehaussement d’un financement existant (art. 14) ce qui est quand même insultant pour les groupes écologistes pour lesquels, après maintes coupures, il ne reste pratiquement plus de programmes. Les plus fragiles écopent encore.

C’est comme ça qu’on saigne une démocratie

Alors qu’on devrait resserrer le contrôle sur les lobbys des industries pétrolière, minière, forestière, gazière, pharmaceutique, informatique, financière, militaire, etc., le PL56 déploie le filet sur les organismes communautaires qui existent pour aider le monde.

Une fois adopté, il nous laisse avec deux choix : soit on gaspille du temps précieux et on prend des risques financiers trop grands pour nos moyens, ou alors, et ce qui est encore plus probable : les organismes vont simplement faire moins de représentations politiques.

Est-ce que c’est ça, le Québec où vous voulez vivre ? Où ce sont tes dollars qui décident si on t’entend ou pas ? Je ne comprends pas. Quelle menace posent les écologistes, les groupes communautaires et les groupes de défense de droits, pour la société ? Vous avez peur d’être trop en santé ? Il n’y a pas assez de smog ? Vous voulez vraiment être moins éduqués, moins libres, moins respectés comme personnes ?

C’est navrant. Depuis la chute du mur de Berlin, les compagnies ont de plus en plus de pouvoir et les populations, de moins en moins. L’écart entre les riches et les pauvres se creuse et on veut faire taire les plus vulnérables. C’est une tendance lourde que n’importe qui peut constater et s’il nous reste une once de dignité au Québec, on va abattre ce projet de loi à la c…

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