Vous êtes sans nul doute au courant des nouvelles du 12 janvier en provenance d’Istanbul : attentat à Sultanahmet, et attaques du président Erdogan contre les signataires de l’appel que je vous ai transmis il y a deux jours "Nous ne serons pas complices de ce crime !". Ces nouvelles sont très préoccupantes, tant pour les migrants (particulièrement les Syriens), et pour nos ami.e.s universitaires et chercheurs en Turquie.
Cet attentat-suicide a semble-t-il tué 12 personnes, et fait 20 blessés. "Semble-t-il", car le gouvernement a immédiatement interdit toute nouvelles données par la presse.
Le président Erdogan a fait une déclaration selon laquelle le responsable de l’attentat était Syrien, ce qui fait craindre le pire dans le contexte : il y a trois jours, la Turquie a décidé d’installer un système de visas pour les Syriens, et le Liban a renvoyé à Damas les Syriens qui arrivaient à Beyrouth.
Réaction immédiate de François Crépeau (université Mc Gill University et Rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme des migrants) : "As a domino effect of border closures in Europe, Turkey, pressured by the European Union, is now applying visas to Syrian nationals, whom everyone knows are genuine refugees fleeing a bloody civil war and to whom Turkey will in effect never deliver visas. The consequences are immediate. Lebanon forcibly returns the refugees to Syria, in violation of the non-refoulement principle. This consequence was foreseeable and Turkey was fully aware or this : it too violated the non-refoulement principle “par ricochet”. Although neither country has any obligation under the 1951 Refugee Convention (Turkey has a geographical limitation and Lebanon hasn’t ratified it at all), the principle is now considered jus cogens.European countries should also be held responsible : they count on such human rights violations by transit countries – which they pressure or financially induce into adopting repressive policies – to serve as deterrence for potential future migrants. The fact that this deterrence has never seemed to effectively materialise doesn’t seem to refrain Europe’s enthusiasm for proxy containment mechanisms.Such repressive policies will only compound the problems faced by refugees and increase the human rights violations against them. They will push the Syrians into the hands of smugglers and increase the underground market for mobility services. The number of migrants reaching Europe will probably diminish slightly in the short term, but not meaningfully over the long run. The number of deaths at sea will likely rise, as more people will try their luck going around the barriers and new sea routes will be developed.The shortsightedness and insensitivity of such policies are dumbfounding."
Il semble en fait que l’attaquant soit Saoudien, cf cet article, dans le paragraphe suivant la video "The Doğan news agency reported that the suicide bomber has been identified as Saudi Arabian-born Nabil Fadlı".
Les nouvelles concernant les "academics for peace" de Turquie sont également très mauvaises ; leur appel a été très favorablement relayé par le site Bianet http://bianet.org/english/human-rights/170978-academics-we-will-not-be-a-party-to-this-crime.
Dès hier sont apparus sur le site de l’appel des commentaires appellant au lynchage. Une contre-pétition d’universitaires favorables au gouvernement circule "Bu Ülkenin Akademisyenleri Olarak Devletimizin ve Milletimizin Yanındayız !"
Dans sa déclaration de ce matin, Erdogan consacre 5mn à l’attentat et 10mn à dénoncer les pétitionnaires. Vous en trouverez des extraits traduits sur ce site.
« [...] Il s’agit en réalité d’une bande de personnes qui prétendent être des universitaires. Ils s’adressent à un Etat qui défend les territoires menacés par une organisation terroriste [le PKK]. Il paraît que cet Etat viole les droits humains et les libertés fondamentales ! [...] Ces soi-disant intellectuels qui signent des pétitions, ont des noms bien de chez nous, mais je considère que leur cervelle est formatée par des étrangers.
Je vous demande un effort, je vais faire une proposition aux universitaires étrangers. Venez donc en Turquie. Visitez tout, voyez tout de A jusqu’à Z, nous nous mettons à votre disposition pour tout vous expliquer. Voyez vous-mêmes comment les problèmes de la Turquie sont résolus par l’Etat, voyez si le droit est piétiné, ou voyez comment l’organisation terroriste confisque les droits et les libertés de nos concitoyens.[...] »
Academics for peace a créé une commission pour les contacts avec les signataires étrangers. Il faudrait le prendre au mot et aller à Sur, Silvan, Diyarbakir etc.
D’Istanbul on apprend que YOK, l’institution qui gère les établissements d’enseignement supérieur, a annoncé vouloir mettre en place des procédures légales contre les universitaires qui soutiennent les terroristes. Une réunion doit avoir lieu avec les recteurs pour décider des mesures à prendre.
Dans de nombreuses universités, des listes de signataires sont établies par les présidences, et sont fuitées à la presse locale. Dans les petites universités, où seules une ou deux personnes ont signé, ces universitaires sont menacés par certains de leurs collègues, de leurs étudiants et par la presse locale.
Fin décembre 2015 une professeure faisant un cours de droits de l’homme a été dénoncée par un de ses étudiants, mise en garde à vue puis relâchée, après que son domicile et son bureau aient été fouillés.
Cela n’est pas très éloigné (même si le danger est moins grand) du cas de Bernard Mezzadri, cet universitaire d’Aix dénoncé par le président pour un mail sur la liste interne de la fac dans lequel il ironisait sur la détestable déclaration de Manuel Valls sur les "blancos", et inculpé d’outrage au premier ministre https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/040116/petition-de-soutien-luniversitaire-bernard-mezzadri
L’un de mes correspondants turcs, membre des "academics for peace", ne perd pas espoir : "les signatures continuent d’affluer, ça s’organise à Ankara et à Istanbul, avec des avocats et des syndicats d’enseignants. C’est peut-être le début d’un mouvement ? On parle de désobéissance civile, si des universitaires sont licenciés, les avocats prévoieront la riposte à toutes les menaces, et les étudiants vont peut-être s’organiser. Suis-je trop optimiste ?"
Si ce mouvement est réprimé et les signataires inculpés ou emprisonnés, il sera très difficile à nos ami.e.s de continuer à se mobiliser et à se battre
amitiés
Voici le texte de l’appel, à signer et faire circuler. Aussi les liens pour les trois listes de signatures : celles de Turquie, celles de l’étranger et celles des soutiens non universitaires.
Pour signer envoyer nom, qualité et affiliation à info@barisicinakademisyenler.net
Le premier site (http://www.barisicinakademisyenler.net/node/63) est pour l’instant inaccessible, mais vous trouverez les versions multilingues (anglais, français, allemand, italien, espagnol, turc et kurde)
et la version française sur mediapart.
Nous, enseignants-chercheurs de Turquie, nous ne serons pas complices de ce crime !
7 janv. 2016 par les invitéEs de Mediapart
Le réseau des universitaires et chercheurs pour la paix, mis en place en Turquie en 2012, produit des rapports sur les processus de paix dans le monde et les négociations en Turquie. Depuis la rupture du processus de paix en 2015 et la montée de la violence, le réseau demande le cessez-le-feu et la reprise des négociations. Une initiative qui appelle au soutien de tous les universitaires et chercheurs du monde entier.
L’État turc, en imposant depuis plusieurs semaines le couvre-feu à Sur, Silvan, Nusaybin, Cizre, Silopi et dans de nombreuses villes des provinces kurdes, condamne leurs habitants à la famine. Il bombarde avec des armes lourdes utilisées en temps de guerre. Il viole les droits fondamentaux, pourtant garantis par la Constitution et les conventions internationales dont il est signataire : le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements.
Ce massacre délibéré et planifié est une violation grave du droit international, des lois turques et des obligations qui incombent à la Turquie en vertu des traités internationaux dont elle est signataire.
Nous exigeons que cessent les massacres et l’exil forcé qui frappent les Kurdes et les peuples de ces régions, la levée des couvre-feux, que soient identifiés et sanctionnés ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l’homme, et la réparation des pertes matérielles et morales subies par les citoyens dans les régions sous couvre-feu. A cette fin, nous exigeons que des observateurs indépendants, internationaux et nationaux, puissent se rendre dans ces régions pour des missions d’observation et d’enquête.
Nous exigeons que le gouvernement mette tout en oeuvre pour l’ouverture de négociations et établisse une feuille de route vers une paix durable qui prenne en compte les demandes du mouvement politique kurde. Nous exigeons qu’à ces négociations participent des observateurs indépendants issus de la société civile, et nous sommes volontaires pour en être. Nous nous opposons à toute mesure visant à réduire l’opposition au silence.
En tant qu’universitaires et chercheurs, en Turquie ou à l’étranger, nous ne cautionnerons pas ce massacre par notre silence. Nous exigeons que l’Etat mette immédiatement fin aux violences envers ses citoyens. Tant que nos demandes ne seront pas satisfaites, nous ne cesserons d’intervenir auprès de l’opinion publique internationale, de l’Assemblée nationale et des partis politiques.
Pour soutenir cette initiative envoyer nom, qualité et affiliation à info@barisicinakademisyenler.net