Il nous rappelle que « Les Noir·es n’ont à l’évidence jamais été des citoyen·nes à part entière aux États-Unis et n’ont jamais eu le droit à l’égalité économique ou sociale », et parle, entre autres, de la guerre contre le Vietnam et des immenses manifestations, de la place assignée des femmes et de « l’enterrement de l’Equal Rights Amendment en 1982 », des mises en danger de l’environnement par les entreprises étasuniennes, de la gestion de l’empire mondial et du contrôle des populations, des offensives patronales pour redresser le taux de profit et de la dissolution du « pacte social d’après-guerre », de la place des idéologies conservatrices, des idéologues et des politiciens de droite qui « s’efforcèrent de construire une conception du monde alternative reposant sur une nouvelle série de propositions issues des principes économiques et religieux conservateurs », du modèle du « capitalisme du laisser-faire du 19e siècle », des conceptions de la Nouvelle-droite, « Les conceptions de la Nouvelle droite, telles qu’elles se développaient sous la forme d’une idéologie et d’un programme politique particuliers, se traduisaient non seulement par la volonté de détruire les acquis du mouvement noir et de celui des femmes, mais aussi par des attaques contre les syndicats et le démantèlement des programmes sociaux », de la contradiction entre le moins d’Etat et l’augmentation des dépenses policières et militaires… sans oublier la dette nationale…
Les politiques sont menées au nom du libéralisme – néo ou non -, d’une certaine conception des mouvements des capitaux et des marchandises, le North American Free Trade Agreement (NAFTA) « formalisait et institutionnalisait la domination des grandes entreprises sur le continent, en leur donnant accès au capital, à la terre et aux ressources naturelles des trois pays, tout en profitant du travail mexicain bon marché ». Les gouvernements sont tantôt républicain tantôt démocrate. Il ne faut pas sous-estimer les conséquences des attaques contre le World Trade Center et le Pentagone le 11 septembre 2001. Les politiques états-uniennes se font plus offensives – dont en Afghanistan et en Irak. Actions soit-disants préventives, comme l’écrit l’auteur : « C’était en réalité de la domination et de la suprématie mondiale militaire des Etats-Unis dont il est question ».
N’oublions pas le désastre Katrina, ce que ne fit pas Obama, la montée du Tea Party, l’émergence de nouvelles « idéologies », Bernie Sanders et « le socialisme comme enjeu de discussion », Donald Trump et « un programme nationaliste de droite dure ». Donald Trump, son style grossier et combatif, sa misogynie et son racisme, la majorité des voix à Hillary Clinton, un soutien des Blancs – y compris dans la classe ouvrière à Donald Trump, le poids anti-démocratique de la construction institutionnelle, la nomination d’un gouvernement de combat.
Dan La Botz ne néglige pas cependant les possibilités au futur : « La fondation d’une conception alternative du monde doit clairement montrer que le capitalisme ne fonctionne plus et que nous avons besoin d’un nouveau système qui soit au service de tous et impose la fin du militarisme et l’arrêt du changement climatique ».
Je ne vais pas traiter de l’ensemble des analyses de l’auteur. Je choisis de mettre l’accent, sans respecter l’ordre du livre, sur certaines comme invitation à lire et à discuter.
Une remarque préalable, certain·es commentateurs/commentatrices s’étonnent que le président soit élu malgré ses propos racistes, sexistes, homophobes, etc. Il me semble nécessaire d’inverser la proposition et d’écrire qu’il fut élu en parti justement pour cela. Je reste toujours surpris du peu d’appropriation des analyses d’Andrea Dworkin – Les femmes de droite, ce-qui-parait-le-plus-noir-cest-ce-qui-est-eclaire-par-lespoir-le-plus-vif-texte-integral/.
Je souligne, en premier lieu, les analyses sur la structure institutionnelle dont l’Electoral College, certains articles de la « constitution » (voir aussi plus bas sur la liberté d’expression), la privation des droits civiques (pendant le temps d’incarcération des condamné·es dans la plupart des Etats, privation définitive dans dix Etats), « les obstacles structurels à la démocratie produits par le système constitutionnel et partidaire »…
Dan La Botz détaille les « particularités » socio-politiques et l’histoire de Donald Trump, « la fabrication d’un monstre », les affaires et l’image de marque, les relations avec les femmes, la carrière en politique, la campagne électorale aussi bien dans sa forme que dans les thématiques. Il analyse les « racines profondes du trumpisme », utilise le terme « populisme – « appel au peuple combiné à l’attaque contre les élites, les étrangers ou contre les deux à la fois » (je reste dubitatif sur cette notion, vague et peu analytique), les attaques contre les mexicain·es et les musulman·es et leur mise en relation avec les attaques des nativistes blancs contre les catholiques et les juifs/juives. Le retour sur les années 1820 et Andrew Jackson, l’entrelacement du nativisme, de la xénophobie et du racisme, me semble particulièrement éclairant. L’auteur aborde, entre autres, les mouvements autour d’Andrew Jackson, le christianisme évangéliste, les théories complotistes, ceux qui se considéraient « comme les véritables défenseurs de la République et du peuple entier », le tournant contre l’étranger, les Know nothings, les campagnes contre les Irlandais·es et les Allemand·es, l’incompatibilité supposée entre l’Eglise catholique et « la démocratie, les libertés civiles et une société éduquée » (les islamophobes d’aujourd’hui reproduisent largement cette réthorique), les premières sociétés nativistes « lesquels nativistes étaient né·es sur le sol américain, blanc·hes et protestant·es » et leur défense du pays contre le catholicisme, la propagande contre la pauvreté et la criminalité des immigré·es, les mouvements de fermiers, le nativisme racialisé du Ku Klux Klan, l’installation du système Jim Crow, la répression d’Etat et la violence extralégale contre les populations noires, les rejets des populations japonaises ou italiennes, « Populiste, nativiste-racial et nationaliste, le Klan fut l’un des mouvements d’extreme droite les plus importants de l’histoire du pays », Huey Long et le père Coughlin, l’America First (déjà !)…
L’auteur parle aussi du populisme d’après la seconde guerre mondiale, du ressentiment « des mâles blancs » (en relation avec le mouvement des droits civiques, le s mobilisations des femmes…), de George Wallace et de l’American Independent Party, de la régression vers le vieux Sud des années 1870 opposé à la Reconstruction…
Un chapitre est consacré à la désindustrialisation, la crise économique des années 1970, la « perte combinée de statut social, d’emplois et de revenus », des bases sociales d’« un mouvement transclassite de droite », des politiques du parti démocrates, de la défaite des Etats-Unis au Vietnam, du « déclin » comme première puissance industrielle, de la National Rifle Association (NRA), des visions idéalisées de l’« Amérique blanche » et de l’exploitation du « ressentiment blanc », du libertarisme…
L’auteur détaille les mesures prises par Donald Trump depuis son élection, son entourage, sa politique étrangère, la rhétorique raciste et son accompagnement par « une violence de rue contre les immigré·es », la résurgence de groupes d’extrême droite… Je souligne le chapitre « La stratégie et le programme de Trump »…
Dan La Botz traite très justement du non changement et donc de l’absence d’espoir sous l’administration de Barack Obama, des choix en relation à la grande dépression et des procès de désindustrialisation, de l’Obamacare (« n’a pas institué de couverture universelle mais a obligé les Américain·es à souscrire à des assurances privées qui étaient souvent trop onéreuse » ; cette mesure améliora néanmoins la couverture sociale de plus de vingt millions étasunien·nes), des réformes régressives de la législation du travail, des questions environnementales, du silence sur les violences racistes, de la politique étrangère dont les opérations militaires à l’étranger, des accords de libre-échange, de son rôle de représentant officiel de l’establishment, « L’accession de Trump à la présidence ne peut pas être comprise sans une appréciation du rôle joué par son prédécesseur ».
Il ne faut pas négliger les attaques du Parti républicain et en particulier de son aile Tea Party et nativiste. Le degré de violences verbales racistes et de mensonges sur sa situation soit-disant d’étranger, de musulman, de socialiste, inconcevable ici mais tout à fait compatible avec les lectures littérales – anti-démocratiques et liberticides – de la « liberté d’expression » (lire sur ce sujet les analyses de Catharine A. MacKinnon : Le féminisme irréductible. Discours sur la vie et la loi, legalite-des-femmes-est-incompatible-avec-une-definition-de-la-liberte-des-homme-sexercant-a-nos-depens/).
En face du candidat, d’abord une candidate – Hillary Clinton – de l’establishment. Certes une candidate, mais représentante et appuie du capital financier, des industries high-tech, de cette classe politique qui fait croire en ses capacités à représenter. L’auteur souligne certains éléments de son parcours et les ambiguïtés de certains de ses silences, le choix du libre-échangisme, la lutte contre la criminalité et la réduction des aides sociales, les histoires plus personnelles mais néanmoins publiques, sa vie de sénatrice et ses votes, ses postes institutionnels, la Fondation Clinton et ses scandales, sa campagne et ses soutiens…
L’un des intérêts majeurs de l’ouvrage est le travail de mise en rapport des politiques développées par administration étasunienne et les résistances qu’elles ont suscité – dès l’élection de Donald Trump, les manifestation de femmes vêtues en rose, « ne touche pas ni mon minou ni mes droits », les réactions au Muslin ban (y compris d’une partie du monde patronal)…
L’auteur revient sur la campagne de Bernie Sanders. Il la replace au sein de l’histoire plus longue du siècle dernier. Il aborde certains éléments peu connus de l’histoire des USA, la montée du Socialist Party dans les années 10, les fortes répressions étatiques contre les opposants politiques, le parti communiste des années 30, le rôle du FBI dans la période de « Guerre froide ». Il traite aussi le mouvement des droits civiques, la National Association for the Avancement of Colored People (NAACP), Rosa Parks et la campagne de boycott de la compagnie de transport, les émeutes du quartier noir de Watts à Los Angeles, Martin Luther King, le Black Panthers Party, Malcolm X et sa rupture avec la Nation of Islam, le mouvement contre la guerre du Vietnam, le mouvement de libération des femmes…
Et plus proche de nous, Occupy Wall Street, Black Lives Matters, combats des populations indiennes, Standing Rock Sioux, luttes syndicales et des résistances déjà évoquées.
Par ses ancrages dans l’histoire longue des USA, sa mise en relation des évolutions socio-économiques et des politiques menées, son rappel des différentes luttes, le livre de Dan La Botz permet de mieux comprendre la place de Donald Trump dans un univers où les luttes sont souvent sous-estimées. La construction d’alternative(s)progressiste(s) crédible(s) nécessite la fois des mouvements autonomes, des coopérations et la gestion démocratique des contradictions entre mouvements, la prise en compte de l’ensemble des dominations sans hiérarchisation ni encore moins déni, la reconstruction d’un mouvement syndical indépendant et des propositions institutionnelles, « Le racisme institutionnel ne pourra être défait et l’égalité obtenue sans une refonte révolutionnaire des institutions »…
« Trump et les républicains constituent le problème immédiat, mais les démocrates font aussi partie du problème, car ils ne sont pas la solution ».
Dan La Botz : Le nouveau populisme américain
Résistances et alternatives à Trump
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Le Tréhondat
Editions Syllepse
https://www.syllepse.net/le-nouveau-populisme-americain-_r_22_i_741.html
Paris 2018, 288 pages, 20 euros
Didier Epsztajn
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