Laissez moi plutôt vous parler du miracle qui se cache derrière les flammes, dans la fumée. Le miracle improbable qui a voulu que ce feu se déclare moins d’une heure avant l’allocution présidentielle tant attendue par le peuple de France. On nous l’avait promis cette intervention de notre bien aimé leader, on l’attendait pour la mi mars, puis pour la fin mars, on nous l’avait décalée à début avril … comme une mère à huit mois de grossesse nous attendions avec impatience la venue des fameuses réformes radicales censées mettre fin à la crise sociale qui secoue la France depuis maintenant 6 mois.
Mais … comme un cancre sauvé d’un devoir difficile par l’alarme incendie, Emmanuel Macron a eu droit à un miracle ! Notre Dame s’embrase rien que pour lui … pour lui épargner une débâcle annoncée, des concessions inévitables qu’il esquivera pourtant avec brio. Une demie heure après le début de l’incendie, c’est officiel, le président repousse son allocution pour se rendre sur les lieux du drame. Il faut dire que ses compétences de pyromane pourraient être utiles aux secours et que la présence de son gigantesque service de sécurité ne gênera sûrement pas les pompiers, qui doivent déjà gérer une foule de curieux en même temps que le feu qui ne semble pas vouloir se calmer.
Évidemment que sa place est sur les décombres, avec sa photographe officielle qui pourra l’immortaliser de dos, face à la nef, se tenant droit contre l’adversité avec le courage et la prestance qu’on lui connait !
Nous autre, peuple de France, nous hésitons … nous avions tellement hâte de connaitre les conclusions du grand débat, de savoir quel avenir on nous réservait. Mais nous avons tellement mal de voir partir en fumée ce symbole de notre histoire. Ceux qui ont lu le roman de Victor Hugo savent que Notre Dame de Paris, ce n’est pas seulement un monument, c’est un personnage. Dans cette fresque populaire, Notre Dame, c’est celle qui recueille les faibles et les indigents, la mère du petit peuple. C’est aussi celle qui abrite la corruption du clergé. Comme toutes les héroïnes, elle est à double facette, subtile, toute en nuances. Mais dans l’inconscient collectif, elle reste un lieu d’asile pour « ceux qui ne sont rien » (comme les nomme notre cher président).
Qu’à cela ne tienne, nous pleurerons ce soir et nous débattrons demain. Mais Emmanuel Macron compte bien profiter largement de son miracle ! Le lendemain, quand il s’adresse à ses enfants, à son peuple, c’est pour lui dire que l’heure n’est pas à la discussion. Nous devons nous recueillir … le plus longtemps possible de préférence ! Fini les grands débats, les grandes promesses, partis en fumée avec la flèche de Notre Dame. Il serait bien entendu indécent que les manifestations se poursuivent … comment le peuple peut-il réclamer la vie quand le patrimoine se meurt ?
Et le miracle se poursuit, porté par nos saints milliardaires ! Le lendemain du drame, alors que les cendres sont encore fumantes, nos biens aimés milliardaires, riches héritiers et autres exilés fiscaux jettent allègrement des liasses de billets sur le bucher. La famille Pinault, dont la fortune est estimée à 30,5 Milliards d’euros, ouvre le bal et annonce un don de 100 Millions ! Wahou ! Dans la foulée, le directeur de Pinault Collection Jean Jacques Aillagon, qui gère le département blanchiment … pardon, oeuvres d’art … et ne connait visiblement pas la honte, déclare : « J’invite le parlement à voter en urgence une disposition spéciale ouvrant une réduction d’impôt de 90% sur les dons qui seront faits en faveur du chantier de restauration de Notre Dame. » Je vous épargne la cruelle réalité des chiffres (qui m’a empêchée de dormir durant de longues nuits), mais en gros, cela impliquerait que la quasi totalité de ce don généreux serait en réalité financée par l’état et donc par le peuple français … ce même peuple qui peine à finir son mois tandis que les Pinault s’offrent une ile de plus dans les Caraïbes !!! Avant que nous ayons le temps de compter sur nos petits doigts ce que tout ça va nous coûter, Bernard Arnault double la mise … 200 Millions ! Bank !
Je vais vous faire une confidence en aparté… Bernard, c’est mon chouchou. Première fortune de France et troisième fortune mondiale derrière Jeff Bezos et Bill Gates (il a monté d’un cran depuis l’élection de son ami Emmanuel Macron, qui l’a aidé à augmenter sa fortune de 11 milliards d’euros en un an …), Bernard, c’est le roi des licenciements abusifs, des délocalisations, de l’esclavage infantile, du blanchiment d’argent et des niches fiscales, un véritable artiste du CAC 40 ! Si vous voulez en savoir plus sur ce vertueux homme d’affaire, je vous conseille le documentaire de François Ruffin « Merci Patron ».
Puis c’est les dirigeants de Total, Loréal, BNP, Bouygues et compagnie qui renchérissent à coup de centaine de millions d’euros. Tous ces pauvres milliardaires pour lesquels Macron avait lancé un grand plan de sauvetage l’an dernier en supprimant l’impôt sur la fortune. « Les grandes fortunes paient beaucoup trop d’impôts, nous avait-il dit. Si ça continue ils seront ruinés et quitteront la France ». Mmmmh … je trouve qu’ils se sont refait rapidement une santé ! Au total environ un milliard d’euros récoltés en une journée ! Nous qui nous demandions où trouver de l’argent pour relancer l’économie du pays …
Tandis que certains d’entre nous raclent les fonds de tiroir pour participer à ce concours totalement indécent, d’autres font des calculs cruels : « Donc, proportionnellement à nos fortunes respectives, si Arnault donne 200 millions c’est comme si moi je donnais 8 euros … ah … quand même ! »
Pendant ce temps, à quelques rues des cendres de Notre Dame, des femmes, des hommes, des enfants, meurent de faim sans que personne ne leur donne ne serait-ce qu’un sandwich (il est interdit de nourrir un sans abri, se serait leur donner de mauvaises habitudes). Ça y est, nous y sommes, dans un monde tellement absurde que même les plus grands auteurs de science fiction n’ont su le prévoir, dans ce monde où la pierre récolte des millions quand la chair n’a droit qu’à des coups de battons. Si Victor Hugo avait pu voir ça … il aurait surement été heureux de voir toute cette énergie et cet argent dépensé pour sauver Notre Dame de Paris, mais malheureux que personne n’en fasse de même pour Les Misérables.
Si l’on veut résumer cette indécence en quelques chiffres ; il y a 20 ans, nous avions 11 milliardaires français dans le classement Forbes, qui cumulaient à eux tous 80 milliards d’euros. Aujourd’hui ils sont 88 pour une fortune totale de 570 Milliards. Leur capital a été multiplié par 7 quand le PIB français a été multiplié par 2.
Après maintes polémiques, l’état tranchera finalement pour une défiscalisation des dons à 60% … je n’ai pas osé faire le calcul, je crains d’y laisser ma santé mentale !
Mais rassurons nous, notre leader suprême l’affirme : « Je souhaite que Notre Dame soit reconstruite d’ici 5 ans ». D’ici la fin de son mandat … à priori. Malgré les protestations des spécialistes en la matière qui jurent que c’est impossible, il s’entête … Cinq ans, je veux et j’exige ! Mais pas d’inquiétude, on lance un gigantesque concours d’architecture pour reconstruire la cathédrale à l’image de notre époque, avec plus de modernité, plus de rapidité pour plus de rentabilité. Vous n’imaginez pas comme j’ai hâte de vous présenter le centre Bernard Arnault, avec son parking panoramique entre les tours, ses gargouilles brandissant des pancartes publicitaires, sa piscine à débordement avec accès VIP et son Mc Donald au coeur de la nef (avec drive et jeux pour enfants) !!! Alleluia ! Les miracles, ça existe encore !
Finalement, il nous faudra attendre encore quelques jours, le temps que notre première dame fasse des prières pour que les gilets jaunes retrouvent la foi et que les comptables de l’état trient les billets découverts sous les cendres, pour que notre leader suprême s’adresse enfin à nous. Non … pas tout à fait … pas à nous. À la presse, ce qui lui permet de s’adonner à un exercice qu’il maitrise bien mieux que l’allocution présidentielle. Car Macron ne sait pas parler au peuple, nous l’avons vu ces derniers mois, il préfère les journalistes, plus dignes de sa parole, plus faciles à maitriser aussi, car leurs questions sont écrites à l’avance et soigneusement sélectionnées. Nous aurons droit à une conférence de presse laconique, un peu de morale, quelques leçons de vie, une plainte par ci par là … les français sont décidément bien décevants au yeux de leur chef. Et puis finalement quelques faibles réformes, un peu pour les retraités, un peu pour les mères célibataires (les pères en revanche se débrouilleront seuls … discrimination inversée), un peu pour les classes moyennes … juste ce qu’il faut pour calmer certains esprits et donner l’illusion.
Mais son message reste ferme : J’ai réfléchi, et finalement on va faire comme j’ai dit.
Toutes les revendications des gilets jaunes sont écartées d’emblée : NON au RIC (on nous propose à la place un référendum « consultatoire », les citoyens pourront interpeler l’assemblée des élus sur un sujet précis mais n’auront aucun poids sur les décisions finales), NON à la reconnaissance du vote blanc, NON au retour de l’ISF, NON au Crédit d’impôt (CICE) soumis à des conditions de créations d’emplois, NON à la suppression des privilèges des élus (à la place on nous propose de supprimer leur école, l’ENA et d’en créer une nouvelle … cela présage de jolies surprises !). Pour montrer aux citoyens qu’on leur accorde de l’importance, on en tirera 150 au sort pour les placer dans une commission qui n’aura aucun pouvoir, on promet une baisse d’impôt pour certaines tranches (sans date précise … un jour, peut-être), on nous promet qu’il n’y aura plus aucune fermeture d’école et d’hôpitaux (attention -petite astérix - *sans l’accord préalable du maire) et pour finir, on nous balance quelques mots sur le climat … quelques éléments de langage vaguement écologique pour dire que, quand même, c’est important, et que des efforts nous serons demandés. En revanche, on nous promet l’enfer pour les chômeurs, une réforme de l’assurance chômage qui, j’en suis sûre, ne trainera pas autant que le reste, et qui prévoit de sanctionner les refus d’offre d’emploi par une radiation. Désormais, si vous êtes charpentier en Auvergne et qu’on vous propose un poste de barman en Alsace, vous serez forcé de l’accepter sous peine de pauvreté et d’exclusion sociale.
Voilà, tout ça pour ça ! Des mois de grand débat national pour en conclure que le président avait raison sur toute la ligne ! 23 samedis à se faire éborgner et mutiler pour des miettes … et encore … de la poudre (de perlimpimpin comme il dit). Toute la sphère politique remercie notre grand dirigeant pour sa générosité, quand c’est les gilets jaunes que nous devrions applaudir. Car sans leur courage, même ces quelques miettes, nous n’y aurions pas eu droit.
Bien sûr, rien n’est vraiment acté … alors qu’on nous avait promis des actions fortes et immédiates, on nous jure que l’on va y réfléchir, que les meilleurs sont sur le coup, qu’on nous tiendra au courant. Quelques jours plus tard, le premier ministre nous dit que, finalement, les mesures attendront que les élections européennes soient passées. Pourquoi ? Depuis quand nos dirigeants ont-ils besoin de raisons pour ne pas tenir leurs promesses ?
Conclusion ? Dans ce beau pays qu’est la France, ce sont les mots, l’argent et la pierre qui ont de l’importance. Les humains, les citoyens, eux ne sont que des outils de productions, des travailleurs à l’obsolescence programmée et qui doivent rester inanimés. Pour la charpente de Notre Dame, il suffit d’une demie journée pour récolter des millions … mais quand il s’agit de notre drame, celui du quotidien de 3 millions d’enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté, on vient nous rappeler que l’argent ne tombe pas du ciel, qu’il n’y a pas de miracle … en tout cas, pas pour tout le monde !
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