Tiré de Courrier international.
En 2015, la jeune guitariste libanaise Lilas Mayassi “cherche d’autres musiciens pour réaliser le rêve de former un groupe” pour jouer du thrash, “l’une des formes les plus dures du heavy metal”, écrit The Guardian. Grâce à des amis, elle entend parler d’une autre jeune guitariste, Shery Bechara, qui partage le même rêve. Elles se rencontrent cette année-là lors de l’une des manifestations à Beyrouth contre la crise des déchets, symbole parmi d’autres de la gabegie du pouvoir, qui préfigurent celles qui secoueront le Liban en 2019.
Quelques mois plus tard, avec d’autres filles, elles créent Slave to Sirens, le premier groupe de metal libanais exclusivement composé de femmes. La réalisatrice américaine d’origine marocaine Rita Baghdadi leur consacre un documentaire qui a notamment été présenté au Festival du film de Sundance en janvier. “Cela n’existait pas encore au Liban. […] Nous voulions quelque chose de différent”, explique Mayassi.
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“La langue de la rébellion”
Différent comme le nom du groupe : littéralement, “esclave des sirènes”. “On est tous esclave dans cette vie – de l’argent, de la guerre, de la société. Nous essayons tous d’échapper à quelque chose en nous”, affirme-t-elle. Au-delà de la coïncidence, le fait que ce groupe soit quasiment né lors d’une manifestation a une certaine signification. La cofondatrice explique :
- “[Le heavy metal], c’est la langue du pouvoir, la langue de la rébellion.”
Les thèmes lyriques de la musique thrash “parlent d’oppression”, ajoute-t-elle, “expriment la frustration, la tristesse, la colère et la douleur” et “donnent une voix aux sans-voix”.
Pour le moment, le groupe a produit un EP, Terminal Leeches, sorti en 2018 et disponible sur la plateforme de vidéos Youtube, et prépare un nouvel album, dont le premier single, Salomé, est sorti en mars dernier.
Le metal “stigmatisé” au Liban
Même si le groupe a été “accepté par la petite scène metal de Beyrouth”, il est très mal vu en dehors. “On nous insulte, on nous traite de salopes”, raconte Mayassi. “Mais on s’en fiche”, rebondit Shery Bechara.
La réalisatrice du documentaire Sirens enchaîne :
- “Le metal est stigmatisé par beaucoup au Liban. De nombreuses personnes qualifient Slave to Sirens de satanique. Des femmes habillées en noir, jouant de la musique et rentrant tard le soir, c’est tout à fait contraire à la norme.”
En 2019, le groupe devait se produire lors du Festival de Byblos, au nord de Beyrouth. Malheureusement le concert n’avait pas eu lieu à la suite de l’annulation du show du groupe de rock libanais Mashrou’ Leila, sous la pression de certains cercles ultrachrétiens et anti-LGBT.
L’étranger apparaît dès lors comme une échappatoire : le groupe se produit notamment au célèbre Festival de Glastonbury en 2019. Mais la crise qui éclate au Liban les rattrape. Cet été, la batteuse et la chanteuse ont quitté la formation. La bassiste, elle, en fait toujours partie, mais elle a quitté le Liban pour les États-Unis. Les deux cofondatrices envisagent aussi de partir.
Cette crise, vécue comme un “traumatisme générationnel”, soude les membres restants du groupe, “désormais plus proches que jamais” et motivées par “une mission commune”. “Jouer du metal nous donne de l’espoir, assure Lilas Mayassi. Cela nous donne un refuge et ce dont nous avons besoin pour continuer à avancer.”
Courrier international
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