Tiré d’Afrique XXI.
Ce mercredi 15 janvier a lieu l’investiture du prochain président du Mozambique. Le résultat des élections générales du 9 octobre 2024 annonçait la victoire de Daniel Chapo, candidat du Front de libération du Mozambique (Frelimo), le parti au pouvoir depuis l’indépendance du pays, en 1975. Le scrutin, marqué par de vives contestations à l’échelle nationale, a vu la montée de Venancio Mondlane, candidat du parti d’opposition Podemos crédité de la deuxième place, selon les résultats entérinés par le Conseil constitutionnel le 23 décembre 2024.
Ces résultats controversés ont déclenché une vague de violences et de manifestations dans tout le pays, faisant plus de 300 morts, selon plusieurs ONG, et des milliers de blessés. Ivino Dias, l’avocat de Venancio Mondlane, et Paulo Guambe, représentant du Podemos, ont été assassinés le vendredi 18 octobre 2024, alors qu’ils planifiaient un recours contre les fraudes électorales. Ces meurtres avaient contraint Venancio Mondlane à fuir le pays, avant qu’il fasse son retour à Maputo le 9 janvier, dénonçant le trucage des élections et la mainmise du Frelimo sur le pays.
Ces nouvelles tensions ont causé la mort de deux personnes, selon l’ONG Human Rights Watch. Face à cette escalade de la répression, le candidat du Podemos a appelé à trois jours de grève générale à l’approche de l’investiture, exhortant également les députés de son parti à boycotter leur entrée au Parlement. Les députés de la Résistance nationale du Mozambique (Renamo), l’ancienne rébellion armée devenue le parti d’opposition historique, et ceux du Mouvement démocratique du Mozambique (MDM) ont annoncé ce dimanche 12 janvier qu’ils ne prendraient pas part à l’investiture.
Depuis l’annonce des résultats le 24 octobre 2024, la communauté internationale est demeurée prudente, voire silencieuse. Le président du Portugal, Marcelo Rebelo de Sousa, pays qui a colonisé le Mozambique de 1498 à 1975, a annoncé qu’il ne se rendrait pas à l’investiture, mais enverrait son ministre des Affaires étrangères. De son côté, le Parlement portugais a recommandé au gouvernement de ne pas reconnaître les résultats des élections, soulignant ainsi les doutes qui entourent leur légitimité.
À l’occasion de l’investiture et de l’incertitude politique qui règne dans le pays, Afrique XXI s’est entretenu avec Michel Cahen, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de l’Afrique lusophone contemporaine.
« Arrêter Mondlane risque de conduire à un bain de sang »
Afrique XXI : Le candidat du Frelimo officiellement élu, Daniel Chapo, doit être investi mercredi 15 janvier. Le candidat de l’opposition Venancio Mondlane, qui revendique la victoire, a appelé à la grève générale. Le régime peut-il prendre le risque de l’arrêter ?
Michel Cahen : Les autorités lui demandent de rembourser tous les dégâts commis jusque-là par les émeutiers, mais il n’y a pas de mandat d’arrêt contre lui pour l’instant. Avec une telle décision politique, le régime prendrait le risque de déclencher des émeutes monstres dans tout le pays. Et assumerait ensuite de les réprimer dans un bain de sang.
Afrique XXI : Des contacts existent-ils entre le Frelimo et Venancio Mondlane ?
Michel Cahen : On évoque des échanges téléphoniques avec le président sortant Filipe Nyusi et le nouveau président « élu ». On ne connaît pas le contenu de ces conversations ni la teneur du marchandage, mais il y aurait une proposition de faire un gouvernement d’union nationale : un président du Frelimo et un Premier ministre qui pourrait être Mondlane. Ce dernier dirigerait un gouvernement composé de ministres en partie issus de l’opposition.
Afrique XXI : À sa descente d’avion, Venancio Mondlane a mis en avant sa foi, brandissant une bible. Que signifie cette mise en scène ?
Michel Cahen : Il appartient à l’une ces nombreuses Églises brésiliennes ou nord-américaines qui pullulent aujourd’hui au Mozambique et qui concurrencent les Églises protestantes et catholiques traditionnelles. Ce lien avec l’Église évangélique était moins présent au début de sa vie politique au sein de la Renamo (1) (dont il a été le porte-parole) et quand il était journaliste à la radio et à la télévision.
En 2023, quand il perd les élections municipales à Maputo et dénonce des fraudes, on a commencé à voir une différence d’attitude par rapport aux autres partis politiques : il organise des manifestations pour célébrer sa victoire avant même que les résultats soient proclamés. Son aspect messianique s’est renforcé. Ça n’a pas forcément d’incidence sur sa popularité, mais on l’a accusé d’avoir entretenu des relations avec le dirigeant brésilien évangélique d’extrême droite Jair Bolsonaro et d’avoir été reçu par le parti portugais d’extrême droite Chega (les autres partis portugais avaient refusé de le recevoir).
Afrique XXI : La religion est-elle un élément déterminant dans ces évènements ?
Michel Cahen : Ce serait se méprendre que d’analyser ce qui se passe au Mozambique aujourd’hui à l’aune de la personnalité politico-religieuse de Mondlane. Ce qui se passe au Mozambique est inédit depuis l’indépendance, en 1975. C’est un véritable processus révolutionnaire. Ce ne sont pas des heurts postélectoraux habituels.
Cela dit, sa dimension religieuse joue un rôle : je crois qu’il est sincère quand il dit qu’il est prêt à mourir, puisqu’il croit à la vie après la mort. Les jeunes qui le soutiennent disent que leur leader ne peut pas mourir... Il y a donc un lien messianique entre eux. C’est relativement nouveau dans un pays qui sort d’un pouvoir dit « marxiste-léniniste » et laïque.
« Dans n’importe quelle démocratie, on aurait refait l’élection »
Afrique XXI : Ni le MDM ni la Renamo n’ont soutenu Mondlane à l’élection. Mathématiquement, aurait-il pu réellement gagner si les élections n’avaient pas été truquées ?
Michel Cahen : Rien ne permet de l’affirmer. Mais c’est mon intime conviction car c’est tout à fait probable au regard de plusieurs facteurs. Certes, il n’a pas officiellement fédéré toute l’opposition, et personne n’a d’ailleurs défendu un projet de coalition de l’opposition. Mais la Renamo et le MDM se sont effondrés, et c’est Mondlane qui en a profité.
Il y a d’abord la question des fraudes. Elles existent depuis les premières élections libres, en 1994. Malgré tout, la Renamo, qui était considérée comme un ramassis de bandits armés, avait obtenu 40 % des votes et la majorité dans certaines régions. Cela veut dire qu’il y avait déjà une forte opposition au Frelimo. Lors des élections de 1999, d’aucuns affirment qu’un logiciel informatique a carrément inversé le résultat. En 2004, puis en 2009, la Renamo a dénoncé les fraudes et menacé de reprendre les armes. Elle a rouvert des bases militaires, et il y a eu des incidents sérieux. Cette posture guerrière lui a été profitable car les Mozambicains souhaitent que le pays soit dirigé par des leaders charismatiques. Leur score a doublé en 2014... Avant de baisser à nouveau en 2019.
Cette année, le Conseil constitutionnel, uniquement composé de membres du Frelimo, a admis qu’il y avait eu des fraudes, tout en affirmant que ce n’était pas de nature à changer le résultat final de l’élection. Ils ont donné un peu plus de députés au Podemos, ils ont augmenté le pourcentage de Mondlane qui est passé de 20 à 25 %. Ils ont baissé un peu celui de Daniel Chapo, qui est passé de 70 à 65 %... Mais dans n’importe quel pays démocratique, quand une instance de recours reconnaît qu’il y a eu fraude, on recompte les voix ou on refait l’élection.
Et enfin il y a eu les comptages de l’équipe de campagne de Mondlane dans à peu près 80 % des bureaux de vote, ce qui est quand même énorme. Selon ces observateurs, Mondlane aurait recueilli entre 60 et 70 % des voix.
« C’est avant tout un vote contre le Frelimo »
Afrique XXI : Quelles sont les formes de la fraude ?
Michel Cahen : Une pression permanente s’exerce dans la période préélectorale et une fraude diversifiée est mise en place le jour des élections.
La plupart des Mozambicains ont une carte électorale qui leur sert de carte d’identité (elle est gratuite). Les militants du Frelimo se déplacent de foyer en foyer et proposent de voter pour les électeurs éloignés des bureaux de vote (ce qui n’empêche pas l’abstention de rester élevée). Si l’électeur refuse, le Frelimo récupère quand même le numéro de carte.
Ensuite, il y a des intimidations par téléphone – ils appellent si vous n’avez pas voté, ou pour inciter à « bien » voter. Sans parler de la discrimination relative à l’appartenance politique : on vit mieux quand on a la carte du Frelimo.
Puis, le jour du vote, il y a des Mozambicains qui ont voté sans le savoir : dans la province de Gaza, des observateurs ont pu voir que presque personne n’était venu voter pendant toute la journée. À la fin, on a décompté 1 500 électeurs et 100 % de voix pour le Frelimo.
Afrique XXI : Quelle est la proportion des soutiens de la Renamo qui ont rejoint Mondlane ?
Michel Cahen : Il faut bien comprendre que dans le vote pour Mondlane il y a des gens qui le soutiennent, mais une partie non négligeable est avant tout contre le Frelimo. D’ailleurs, si, très probablement, il y a des électeurs de la Renamo qui ont suivi Mondlane, son succès s’explique aussi parce qu’il était plus facile pour des opposants au Frelimo de glisser un bulletin pour le Podemos plutôt que pour la Renamo, dont l’histoire reste entachée par sa proximité avec le régime d’apartheid.
« Les jeunes hommes brûlent, les jeunes femmes prient »
Afrique XXI : Pourquoi la Renamo n’est-elle pas derrière Mondlane ?
Michel Cahen : Les vieux généraux de la Renamo, même divisés entre eux, ont préféré garder le contrôle. Ils ont appliqué la règle issue du parti unique, à savoir que le président du parti est automatiquement le candidat. Ils n’ont pas exclu Mondlane officiellement mais ils l’ont empêché de participer au congrès d’avril 2024. Mondlane s’est donc présenté sous les couleurs du petit parti Podemos. Si la Renamo l’avait investi comme candidat, elle aurait gagné les élections et aurait pu contrôler un peu mieux son candidat impétueux.
Afrique XXI : Le Podemos souhaite investir ses députés, contre l’avis de Mondlane...
Michel Cahen : Le Podemos fait une entrée fracassante avec 45 députés alors qu’il était jusqu’ici un parti extra-parlementaire. Ces derniers veulent « manger », c’est-à-dire être investis pour récupérer leur salaire.
Afrique XXI : Qui sont les jeunes qui manifestent en soutien à Mondlane et que revendiquent-ils ?
Michel Cahen : Ce sont des jeunes très pauvres. Cette base plébéienne n’est pas une base prolétarienne, ni proprement paysanne. Ce sont tous ces Mozambicains qui ont migré dans les villes, qui n’ont pas réussi à trouver de travail et qui survivent de petits métiers, comme la vente de cigarettes à l’unité. Les jeunes hommes manifestent, brûlent les pneus, les voitures et, parfois, pillent. Ils surveillent Mondlane : quand celui-ci hésite sur le recours à la violence, ils l’accusent de vouloir les trahir. On a également vu des jeunes femmes prier dans les rues. C’est inédit.
La population du Mozambique a plus que doublé en cinquante ans et on a assisté à une migration des campagnes vers les villes. Aujourd’hui, à Maputo, les classes supérieure et moyenne qui vivent dans la « ville de ciment » (les quartiers historiques) ne représentent que 20 % de la population. Le reste vit dans des bidonvilles. Dans le contexte actuel, les jeunes n’ont aucune perspective d’amélioration de leur situation socio-économique.
Enfin, si les classes moyennes ne manifestent pas, elles s’expriment quand même : elles ont par exemple participé à des concerts de casseroles pour dénoncer les fraudes.
« Partir en guerre devient un projet de vie »
Afrique XXI : Les manifestations concernent-elles principalement les fiefs de l’opposition ?
Michel Cahen : On remarque que les citadins passent massivement à l’opposition, or Maputo et Matola, les deux plus grandes villes, sont le cœur historique du Frelimo. Il y a des manifestations également dans la province de Gaza, d’où est originaire une grande partie des élites du Frelimo. C’est le cas aussi chez les Macondes, où a démarré la mobilisation contre le pouvoir colonial portugais en 1964. Il s’agit bien d’une révolte qui dépasse les clivages ethniques et partisans et qui concerne tout le pays.
Afrique XXI : Jusqu’où sont prêts à aller les manifestants ?
Michel Cahen : Ce n’est pas facile à dire, mais je pense très sincèrement qu’il n’est pas impossible de voir apparaître une nouvelle guérilla. Elle n’aurait rien à voir avec la guérilla djihadiste de l’extrême Nord. Elle prendrait plutôt la forme d’un Front de libération. En tant qu’historien, si je regarde le passé du pays, cette hypothèse est socialement envisageable. Pour ces jeunes garçons désespérés, partir en guerre devient un projet de vie. Ils vont continuer à brûler des pneus, des voitures, des autocars, à attaquer partout les sièges du Frelimo et parfois les sièges de la police pour y voler des armes.
Afrique XXI : Le Frelimo est le parti de la lutte contre la colonisation et de la résistance face à une rébellion soutenue par le régime de l’apartheid. Cela ne compte-t-il plus aujourd’hui ?
Michel Cahen : C’est le passage des générations. L’indépendance a été obtenue en 1975. La guerre civile a ensuite duré de 1976 à 1992 et elle a longtemps été politiquement structurante : la guérilla de la Renamo était soutenue par le régime de l’apartheid. Pour beaucoup de gens, notamment dans les grandes villes du sud du pays, il était tout à fait impossible de voter pour la Renamo par fidélité au parti qui avait gagné l’indépendance en 1975 et qui avait affronté une guérilla soutenue par l’apartheid. Beaucoup sont morts aujourd’hui. Plus de la moitié de la population est née après 1992. Le Frelimo n’est plus considéré comme le parti de l’indépendance, ni comme le parti qui a construit des hôpitaux, qui a amené l’électricité... Il est considéré comme un parti de gangsters et un parti d’élites.
« Ils sont prêts à tout pour garder le pouvoir »
Afrique XXI : Le Frelimo peut-il envisager de perdre le pouvoir ?
Michel Cahen : Il y a 150 familles qui sont au pouvoir sans interruption depuis cinquante ans et il est tout à fait impensable, inconcevable pour elles, de le perdre. D’abord, pour des raisons économiques car au Mozambique, pour être riche, il faut absolument avoir la maîtrise complète de l’appareil d’État. Mais aussi pour des raisons psychologiques. Ces gens forment une famille, un « corps social », comme aurait dit l’anthropologue Claude Meillassoux. Ce sont eux qui ont « produit » ce pays – lui-même créé par la colonisation. Si vous ne faites pas partie du Frelimo, vous ne faites pas partie de la nation. Il s’agit d’un parti-nation.
Le Frelimo a toujours considéré que l’opposition mettait en danger l’unité nationale. Les raisons sont donc économiques et idéologiques. Ils sont prêts à tout pour garder le pouvoir, y compris à déclencher un bain de sang.
Afrique XXI : Comment vont se positionner les organisations internationales ?
Michel Cahen : L’organisation qui, par le passé, a été la plus virulente, est la Fondation Carter. L’Union européenne a toujours été plus discrète tout en admettant que telle ou telle élection n’était pas totalement transparente. Ni l’une ni l’autre n’ont encore publié leur rapport, ce qui est inhabituel. Elles ne prendront pas le risque de publier des chiffres alternatifs, mais l’Union européenne aurait parfaitement pu relayer les résultats des 100 bureaux de vote qu’elle a observés.
« Le messianisme de Mondlane déplaît à l’international »
Afrique XXI : Le président portugais a annoncé qu’il ne se rendrait pas à l’investiture et enverrait son ministre des Affaires étrangères. Le reste de la communauté internationale est relativement silencieux. Pourquoi ?
Michel Cahen : Que la communauté internationale laisse faire n’est pas normal mais c’est absolument habituel. Elle est sincèrement convaincue, depuis toujours, que l’ancien parti marxiste-léniniste est le seul capable de gérer le pays. Elle se dit que ses dirigeants sont peut-être des bandits, mais des bandits qu’elle connaît. Elle estime, à tort, que la Renamo n’est pas structurée. Et, là, j’imagine que le messianisme de Venancio Mondlane lui déplaît.
Par le passé, même durant les périodes les plus dures, comme en 1999, elle a toujours félicité les « vainqueurs ». Aujourd’hui, c’est quand même un peu plus compliqué, le Frelimo faisant lui-même partie du problème. Je pense que la solution préférée de la communauté internationale serait un président Frelimo et un gouvernement d’union nationale.
Afrique XXI : Le pays est riche en ressources, notamment gazières. Les perspectives économiques sont-elles un facteur de déstabilisation ?
Michel Cahen : Le taux de pauvreté reste à peu près stable même si il a un peu augmenté depuis 2016 à la suite du scandale de la dette cachée (2). En revanche, la population a bien remarqué que l’élite était beaucoup plus riche depuis les découvertes des énormes réserves de gaz, et la demande sociale s’est accentuée.
Les plus grandes entreprises mondiales sont au Mozambique, avec TotalEnergies, ENI, ExxonMobil... Ce n’est pas au moment où l’argent va couler à flots que le Frelimo va remettre le pouvoir à ceux qu’il considère comme des incapables. Maintenant, le Frelimo est lui même divisé. Il y a la vieille garde, courageuse mais plus très nombreuse. Certaines personnes ont dit qu’il fallait recommencer les élections, d’autres qu’il fallait au minimum recompter tous les bulletins de vote, ce qui est impossible parce qu’ils sont détruits très rapidement.
Cela dit, les questions économiques ne sont pas nouvelles. Par exemple, les mines de rubis dans l’extrême Nord étaient exploitées depuis des années par des artisans. Puis Samora Machel junior, fils de l’ancien président, a conclu un accord avec Gemfields, la grande compagnie britannique de pierres précieuses (3). Il a récupéré les mines et il a chassé tout le monde. Il y a eu des incidents très violents. Il est quasiment certain qu’une partie de ces artisans ont rejoint la guérilla djihadiste. Contrairement à ce que dit le récit officiel, cette rébellion n’est pas apparue avec les découvertes de gaz.
Dans le Sud, on a également exproprié des habitants pour l’exploitation de sables bitumineux qui détruisent des plages entières et des lieux sacrés. En échange, les autorités avaient promis un pont et l’accès à l’eau : rien n’a été fait. Les mines de charbon à ciel ouvert ont tout pollué à des kilomètres à la ronde. Les gens manifestent mais cela ne change rien. Le pouvoir est arrogant. Pour lui, la dignité des personnes ne compte pas. Les Mozambicains protestent donc contre des résultats électoraux frauduleux mais aussi contre toutes ces injustices.
« La contre-guérilla produit de la frustration »
Afrique XXI : La France a de gros intérêts avec TotalEnergies. Elle est également indirectement mêlée à l’affaire de la dette cachée. Comment réagit-elle ?
Michel Cahen : À ma connaissance, elle ne s’est pas encore exprimée. Dans un article récent, j’écrivais que la diplomatie française aurait intérêt à se distancier du régime frauduleux. Déjà, des femmes ont manifesté dans le Nord avec des pancartes « le Mozambique n’appartient pas à la France ».
Afrique XXI : L’insécurité dans le Cabo Delgado, principalement due à un groupe armé affilié à Daesh, et l’incapacité de l’armée mozambicaine à sécuriser cette région ont-elles joué dans le rejet du Frelimo ?
Michel Cahen : Peut-être. Les forces armées du Mozambique et les Unités d’intervention rapide sont accusées de graves atteintes aux droits humains dans le nord du pays. Quand elles arrivent dans un village, elles partent du principe que tous les villageois sont des partisans de la guérilla et elles tuent tout le monde. Cette contre-guérilla ne rétablit pas la sécurité et produit de la frustration.
Par ailleurs, je ne crois pas qu’une telle rébellion puisse durer aussi longtemps sans avoir une base sociale au sein de la population. Elle a quand même tenu Mocímboa da Praia pendant un an et avait été applaudie lors de son entrée dans la ville. Ce groupe a affirmé être contre le parti de l’argent, c’est à dire le Frelimo. Il y a donc une revendication sociale.
Cela dit, les troubles au Cabo Delgado ne sont pas nouveaux. Le Cabo Delgado est une province immense, grande comme le Portugal. Elle est ethniquement hétérogène avec des trajectoires sociales diverses. D’une part, le groupe le plus important, les Makuas, est en partie musulman et a peu participé à la guerre de libération anticoloniale. D’autre part, les Mwanes sont une population côtière de pêcheurs qui ressemblent aux Swahilis sans pour autant parler leur langue. Les uns et les autres ont été victimes de déplacement de population dans le cadre des méga-projets. La côte du Cabo Delgado a été une zone très proche de la Renamo, et les élections municipales à Pemba ont souvent fait l’objet de fraudes. Par le passé, des émeutes meurtrières y ont été observées. Il existe un quartier de la ville où les gens du Frelimo ne peuvent pas entrer. Il y a donc des tensions, qui ont des racines historiques, mais les contextes sont très hétérogènes.
En revanche, comme dans le Sud, beaucoup de jeunes hommes sont privés de perspectives. Ils peuvent vouloir rejoindre la rébellion djihadiste, écœurés par le régime.
« Une intervention militaire à la gabonaise n’est pas à exclure »
Afrique XXI : L’armée pourrait-elle sortir des casernes et prendre le parti du peuple ?
Michel Cahen : La répression a été exercée par les Unités d’intervention rapide, une sorte de police militarisée qui ne dépend pas de l’armée. L’armée est quand à elle issue des accords de paix de 1992 et compte en son sein des membres de la Renamo et du Frelimo, alors que la police est strictement composée de membres du Frelimo.
L’armée, qui ne compte que 5 000 hommes, contre 100 000 environ pour la police, n’a pas bougé d’un pouce. La police, de son côté, est fidèle au Frelimo – son chef est un Makonde nommé par Nyusi –, quand bien même on a pu voir des policiers fraterniser avec des manifestants et participer aux pillages.
Historiquement, l’armée et le politique sont très liés, c’est un legs des guerres anticoloniale et civile. Les coups d’État militaires ne font donc pas partie des habitudes. Maintenant, une intervention militaire à la gabonaise n’est pas complètement à exclure : l’armée a quand même fait savoir qu’elle défendait les intérêts de la nation et non ceux d’un parti en particulier. Et, ça, c’est nouveau.
Notes
1- Il s’est présenté aux élections municipales de 2013 et 2023 pour la Renamo. Il a été élu député de la Renamo en 2014 et réélu en 2019. Il avait été empêché de se présenter à l’élection municipale à Maputo en 2018.
2- Maputo avait dissimulé 2 milliards de dollars (1,95 milliard d’euros) d’emprunts levés en 2013 pour pouvoir acheter secrètement de l’armement, dont des vedettes fabriquées en France. Les trois quarts de cette somme se sont volatilisés. Le scandale a éclaté en 2016.
3- En 2011, c’est officiellement l’État du Mozambique qui s’associe avec la compagnie britannique Gemfields pour donner naissance à la Montepuez Ruby Mining (MRM).
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Un message, un commentaire ?