Une vue de la salle de l’exposition. Crédit photo :Renel Exentus
Chaque regroupement de photos est séparé par une gerbe de fleurs mauves sur fond noir. Le choix des couleurs ne relève pas du hasard. Au contraire, il témoigne de l’ambiance de recueillement et de deuil qui constituent la thématique centrale de l’événement. Les croix blanches avec l’inscription en noir portant le nom des victimes sont accrochées sur une façade en vitre en face des photos. À l’extrémité, des textes poétiques exprimant le deuil ont complété le décor.
Au milieu de la salle, des figurines chiquement revêtues sont disposées en demi-cercle. Entourées partiellement par deux lignes de bougies non allumées, elles symbolisent les corps sans vie des victimes. Au cœur de ce dispositif invocateur se trouvait une toile de Pascal Romain, servant de potomitan (1) à l’exposition (2). Le mariage de couleurs vives et sombres reflétait un mélange d’inquiétude et de doute qui contrastait avec l’image d’un mapou partiellement détaché de ces racines-mères bien ancrées dans le sol. L’image symbolisait une Haïti saccagée et partiellement abattue. Pourtant, le peuple haïtien fait toujours preuve d’une résistance tenace et téméraire.
L’exposition a commencé avec les mots de bienvenue de la représentante de CEAF Christine Drolet qui a exprimé sa joie d’avoir prêté les locaux de son organisme pour réaliser ce projet commémoratif, et en a profité pour rendre hommage aux victimes. Par ce geste, elle a souhaité contribuer à sensibiliser l’opinion publique québécoise sur la crise en Haïti. Ensuite, Pascal Romain a pris la parole au nom de la CHCDH pour souligner l’objectif de l’exposition. Elle a précisé que l’événement visait essentiellement à sensibiliser les populations québécoise et canadienne sur la situation en Haïti.
Au-delà de cet objectif précis, l’exposition a permis de voir autre chose. Elle montrait qu’il n’était pas possible de faire le deuil des dizaines de milliers personnes sauvagement assassinées depuis 2018. Par son organisation, l’exposition devenait une forme de condamnation et de dénonciation d’une situation intolérable. En plus, elle mettait en lumière la complicité des acteurs locaux dans le maintien de cette situation délétère. Comme plusieurs études le soulignent (3), loin d’être un simple phénomène de banditisme, la situation de terreur a été et est encore un choix politique qui répond à une logique de domination au profit de certains acteurs politiques et des classes dominantes haïtiennes. Étant incapable de créer du consentement, ils se servent de la violence des gangs pour faire taire les revendications légitimes des classes populaires. Pour y arriver, ils facilitent l’armement des gangs. Ce choix politique de l’État haïtien est soutenu par les pays occidentaux dont les États-Unis, l’Union européenne et le Canada. En dépit des verbiages diplomatiques sur les droits de l’homme et la démocratie, ils sont solidaires des choix politiques sanguinaires des classes dominantes et de l’État haïtiens. D’ailleurs, ils sont directement impliqués dans le choix de gouvernants de l’État en Haïti. Face à l’emprise de ces puissances dans la politique haïtienne, la CHCDH a utilisé l’exposition pour inviter les classes populaires québécoises et canadiennes à se solidariser avec la lutte du peuple haïtien. Elle les encourage à dénoncer la diplomatie de leur gouvernement en Haïti.
Du discours mortuaire des murs à la réception active du public
Après les propos de bienvenue et l’explication sur le sens de l’exposition, le public, composé majoritairement de Canadiens et Canadiennes de diverses origines s’empressait de poser des questions. Les membres de la CHCDH ont dû répondre à plusieurs questions portant sur les raisons pour lesquelles l’État haïtien n’intervenait pas pour établir l’ordre. Certains participant.e.s se demandaient pourquoi les grands médias occidentaux parlaient très peu de la situation d’Haïti. D’autres se questionnaient sur le fait que, lorsqu’ils en parlaient, leur discours ne permettait pas de comprendre les véritables causes de la crise et l’implication de leurs États dans le maintien de cette ambiance de chaos en Haïti. Cette interaction entre les membres de la CHCDH et le public a permis de voir que la ligne éditoriale des médias occidentaux reflétait l’orientation politique de leurs États et les intérêts économiques de leurs classes dominantes. Le silence et le discours biaisé de ces médias témoignaient et témoignent encore de leur complicité. Face au silence de la presse internationale sur la crise haïtienne, l’expressivité de ces photographies qui ornaient les murs de l’exposition a amené le public à prendre la mesure de la complexité de la crise et à quel point des acteurs transnationaux ont joué et jouent encore un rôle de premier plan dans son pourrissement.
De plus, le profond recueillement devant ces images de personnes, de tout âge, assassinées était une occasion d’allumer des bougies se trouvant au milieu de la salle.
Le public allume des bougies en hommage aux victimes. Crédit photo :Renel Exentus
La flamme des bougies, emportée par une douce brise, a créé un contraste dans la salle où les zones sombres et claires se chevauchaient. Chaque image se trouvait désormais dans un clair-obscur qui invitait à la méditation et la révolte.
L’exposition prit fin à dix-neuf (19) heures. Cette participation active du public constitue un encouragement pour les membres de la CHCDH qui ont pour objectif de continuer le travail de sensibilisation sur la crise haïtienne. En allant vers la population directement, la CHCDH a contribué progressivement à vaincre le silence mortifère des médias occidentaux sur la situation en Haïti. En dépit des contraintes et des difficultés, elle s’est montrée déterminer à développer des partenariats avec les organismes communautaires canadiens pour sensibiliser la population canadienne sur la crise haïtienne. Ces actions de sensibilisation peuvent amener une meilleure compréhension de la situation et aider les populations québécoise et canadienne à déceler l’implication de leur gouvernement dans le chaos en Haïti. En construisant ces liens, la CHCDH cherche à jeter les bases d’un mouvement de solidarité des organisations sociales québécoises et canadiennes avec la lutte du peuple haïtien.
Notes
1- Le terme « potomitan » signifie élément central d’un édifice. Dans le vodou haïtien, il renvoie au poteau central du temple du vodou.
2- La toile s’appelle « Haïti, le cri ». Elle est associée à une croix portant le nom de la fillette de 5 ans Olsmina Jean Meus. Comme les autres victimes, elle a été sauvagement assassinée.
3- Pour plus de détails, voir les liens suivants : https://web.rnddh.org/le-regne-du-premier-ministre-ariel-henry-ou-la-fureur-des-gangs-armes/
https://web.rnddh.org/intensification-des-attaques-armees-le-rnddh-exige-des-explications-des-autorites-etatiques/
https://web.rnddh.org/massacres-a-bel-air-et-a-cite-soleil-sous-le-regard-indifferent-des-autorites-etatiques/
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