Les changements qui nous préoccupent se trouvent aux p 274 et suivantes (section 16 de la partie 4).
Introduction d’un nouveau motif d’irrecevabilité d’une demande de protection si un demandeur d’asile a déjà présenté une demande d’asile dans un autre pays
Cela signifie que de nombreux demandeurs d’asile, qui pourraient avoir besoin de la protection du Canada parce qu’ils sont des réfugiés, se verront refuser l’accès au système canadien de détermination du statut de réfugié du Canada.
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés comporte déjà plusieurs motifs de irrecevabilité. La demande est irrecevable si la personne a reçu le statut de réfugié dans un autre pays où elle peut être renvoyée, ou si la personne a déjà présenté une demande d’asile au Canada, même si cela remonte à de nombreuses années et que les circonstances ont radicalement changé depuis. Ces motifs sont critiqués car ils laissent certains réfugiés sans la protection dont ils ont besoin.
Or, le nouveau motif d’irrecevabilité est potentiellement pire encore : il privera des demandeurs d’asile qui n’ont jamais eu une audience d’accès au système de détermination du statut de réfugié.
Même dans le cas d’une personne dont la demande est jugée irrecevable parce qu’elle peut être renvoyée aux États-Unis en vertu de l’entente sur les tiers pays sûrs, le gouvernement canadien soutient que la personne a accès au système de détermination du statut de réfugié des États-Unis (bien que, de l’avis du CCR, il s’agit d’un système loin d’être équitable).
La nouvelle mesure d’irrecevabilité proposée concerne les demandeurs d’asile qui ont présenté une demande dans un pays avec lequel le Canada a conclu une entente d’échange de renseignements (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande). Cela touchera particulièrement les personnes qui ont traversé les États-Unis.
– Les personnes dont la demande est jugée irrecevable n’auront accès qu’à une évaluation des risques avant renvoi (ERAR), processus dont la procédure est nettement inférieure à la détermination du statut de réfugié par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (aucun droit à une audience, les décideurs ne font pas partie d’un tribunal quasi-judiciaire et n’ont pas le même accès à la formation, aux services juridiques et aux directives du président). Le taux d’acceptation de l’ERAR a toujours été extrêmement bas. Dans son arrêt Singh de 1985, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que le respect des principes fondamentaux d’équité, y compris le droit à une audience, est nécessaire afin de garantir aux réfugiés la protection dont ils ont besoin. Les lacunes du système d’ERAR entraîneront presque certainement comme conséquence que certaines personnes ne recevront pas la protection dont elles ont besoin et seront à risque de refoulement vers la persécution, en violation des droits garantis par la Charte et des obligations internationales du Canada.
– Les personnes dont la demande est jugée irrecevable ont nettement moins de droits que les demandeurs admissibles (sans accès ou accès considérablement retardé à l’aide sociale dans de nombreuses provinces ; il faut payer pour le permis de travail).
– Il est trompeur de présenter cette modification comme une réponse aux « arrivées irrégulières » – la mesure s’applique également aux personnes qui arrivent à un point d’entrée. Cela inclut les personnes en provenance des États-Unis qui sont exemptées de l’entente sur les tiers pays sûrs parce qu’elles ont un membre de leur famille au Canada (en d’autres termes, le gouvernement convient qu’il est approprié pour elles de présenter leur demande au Canada). Le résultat sera des familles réunies au Canada mais obligées de poursuivre des procédures juridiques distinctes (ce qui est également inefficace).
– Plutôt que de priver une autre catégorie de demandeurs d’accès au système de détermination du statut de réfugié, le gouvernement devrait supprimer complètement les dispositions relatives à la recevabilité et s’assurer que toutes les demandes d’asile soient entendues de manière juste et efficace à la CISR. Il est non seulement injuste, mais également inefficace, de recourir à un processus parallèle d’ERAR en dehors de la CISR pour déterminer si certains demandeurs ont besoin de protection.
Prolongation de l’interdiction de présenter une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) ou une demande de considérations d’ordre humanitaire pour les demandeurs d’asile qui demandent un contrôle judiciaire à la Cour fédérale.
Selon la loi actuelle, les demandeurs d’asile doivent attendre 12 mois à compter de la décision finale dans le cadre de leur demande d’asile avant de pouvoir présenter de nouvelles preuves de risque dans une évaluation des risques avant renvoi (ERAR). Cela pose déjà des problèmes, car au cours de l’année bien de choses importantes peuvent survenir (par exemple, l’arrestation d’un membre de la famille) sans que la personne puisse les soulever.
La modification proposée ferait démarrer le délai de 12 mois au moment de la décision finale concernant une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Cela n’a aucun sens logique, car il est impossible d’introduire de nouveaux éléments de preuve devant la Cour fédérale. Par conséquent, les demandeurs feront face à une période beaucoup plus longue que 12 mois au cours de laquelle d’importantes nouvelles preuves de risques pour leur vie et leur liberté peuvent émerger sans que la personne puisse les présenter avant son renvoi du Canada.
Il en va de même pour l’interdiction de présenter une demande d’ordre humanitaire. Cette demande est cruciale pour de nombreuses personnes dont les circonstances impérieuses ne peuvent être évoquées dans aucun autre processus. Une demande d’ordre humanitaire n’empêche pas le renvoi, de sorte que le seul résultat de l’interdiction serait de priver de nombreuses personnes de la possibilité de présenter des facteurs humanitaires impérieux.
Cette nouvelle disposition n’est qu’un moyen de pénaliser les personnes qui utilisent les recours juridiques prévus par la loi canadienne. 10 avril 2019
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