Introduction
D’entrée de jeu, les centrales syndicales québécoises sont mécontentes de l’absence
d’annonce dans le dernier budget fédéral concernant une réforme globale du régime
d’assurance-emploi. Après un an de consultations et de promesses répétées de réforme qui datent de 2015, la situation actuelle est tout à fait anormale. Le régime n’a pas été revu en profondeur depuis les années 1990 et il n’est pas adapté aux réalités du marché du travail du XXIe siècle, notamment en raison du nombre élevé d’emplois atypiques, c’est-à-dire à temps partiel, temporaires ou saisonniers. Mentionnons également que le marché du travail subit de nombreux bouleversements structurels, de natures économique, technologique et environnementale. Dans toutes ces transitions, le gouvernement ne doit laisser personne de côté et doit mieux protéger celles et ceux qui perdront leur emploi.
Le régime est défaillant à plusieurs égards. Il est complexe, inaccessible et offre des
prestations inadéquates. Au Canada, avant la pandémie, seuls 40 % des chômeuses et des
chômeurs avaient droit à des prestations (1). Les travailleuses et les travailleurs à temps partiel, en grande majorité des jeunes et des femmes, peinent à accumuler un nombre d’heures de travail suffisant pour se qualifier aux prestations. Au surplus, près de 33 % de celles et ceux qui en reçoivent ont épuisé leurs semaines de prestations durant leur période de chômage (environ 75 000 personnes ont vécu une période sans revenu après avoir épuisé leur assurance-emploi, ce que l’on nomme le « trou noir » de l’assurance-emploi) (2).
La situation du trou noir touche de manière disproportionnée les personnes travaillant dans des industries saisonnières. Cet enjeu sera abordé plus en détail dans la prochaine section du mémoire.
Au surplus, le gouvernement semble n’avoir tiré aucune leçon de la crise de la COVID-19
quant à l’incapacité du régime à aider les travailleuses et les travailleurs à faire face à des
crises importantes et aucune des mesures temporaires de bonification instituées entre
septembre 2020 et septembre 2022 n’a été reconduite, incluant des mesures relativement
consensuelles qui visaient à simplifier le régime. À l’heure où un ralentissement économique est en cours et que des risques de récession sont encore présents, la mise en œuvre du budget fédéral 2023–2024 aurait été une occasion unique de mieux protéger les travailleuses et les travailleurs. Les consultations gouvernementales ont été menées. Il est temps de passer de la parole aux actes ! Les centrales syndicales québécoises ont développé un consensus contenant 15 demandes pour réformer le régime, par exemple pour instaurer une norme universelle d’admissibilité aux prestations permettant de se qualifier dès 420 heures ou 12 semaines de travail, ainsi que pour octroyer un minimum de 35 semaines de prestations. Vous trouverez ici notre plateforme de demandes relatives à l’assurance-emploi.
Recommandation 1
Qu’un projet de modernisation globale de la Loi sur l’assurance-emploi soit présenté et adopté le plus rapidement possible afin de bonifier le régime et répondre aux besoins des travailleuses et des travailleurs.
Chômage et travail saisonnier : pour en finir avec le trou noir
Pour tenter de contenir le trou noir de l’assurance-emploi, le gouvernement a adopté des
règles temporaires en 2018. Dans 13 régions où l’assurance-emploi est caractérisée par des activités économiques saisonnières importantes et un taux de chômage élevé, le
gouvernement a instauré un projet pilote. Celui-ci permet aux chômeuses et aux chômeurs dits « saisonniers » de bénéficier de 5 semaines de prestations supplémentaires (pour un maximum de 45 semaines). Les mesures spéciales devaient prendre fin le 28 octobre 20233. Le budget de 2023 propose de prolonger ces mesures de soutien jusqu’en octobre 2024.
Pour les centrales syndicales, il est clair que la fin du projet pilote serait catastrophique. Dans ces régions, les travailleuses et les travailleurs choisissent de travailler dans des industries saisonnières parce que le travail à temps plein toute l’année n’est souvent pas possible ou accessible, malgré les nombreuses solutions mises en place dans les industries pour allonger la saison d’activité. En général, les personnes œuvrant dans les industries saisonnières ont de longues semaines de travail en saison haute et le travail est souvent intensif et pénible. Elles supportent à bout de bras des industries vitales pour des communautés qui reposent malheureusement sur un tissu économique fragile et peu diversifié. En outre, les régions ciblées par le projet pilote vivent un vieillissement démographique marqué qui se combine avec un exode des jeunes. Les possibilités d’emploi durant les saisons mortes demeurent donc très limitées, malgré des indicateurs de taux de chômage « désaisonnalisés » qui sont faibles (4). Au surplus, même si elle ne s’accompagne pas d’une possibilité accrue de trouver un emploi durant la saison morte, la baisse de taux de chômage entraîne tout de même une baisse de l’accessibilité et de la générosité des prestations.
La durée moyenne d’un emploi saisonnier est de moins de 16 semaines et la durée moyenne des prestations est de 17 semaines. Les 5 semaines supplémentaires ne permettent donc pas de pourvoir le trou noir pour la majorité des travailleuses et des travailleurs de l’industrie saisonnière, à moins de résider dans une région où le taux de chômage est supérieur à 16 %. Au surplus, malgré les prestations additionnelles, les prestataires bénéficiant du projet pilote demeureraient plus à risque de vivre une période sans revenu que les autres prestataires admissibles aux prestations régulières (environ 8 % vivaient une période sans revenu contre 5,5 % pour l’ensemble des prestataires). C’est pourquoi nous recommandons que le projet pilote offre jusqu’à 15 semaines supplémentaires afin de s’assurer que toute personne ait le soutien nécessaire durant la saison morte
Deuxièmement, nous pensons que l’identification du travail saisonnier ne devrait pas reposer sur les travailleuses et les travailleurs. La formule actuelle, qui oblige le ou la prestataire à avoir un antécédent de 3 périodes de prestations dans les 5 dernières années, est compliquée et frustrante. Cette formule pénalise injustement les travailleuses et les travailleurs nouvellement embauchés, ce qui se révèle problématique aussi pour les employeurs, grandement fragilisés par des problèmes d’attraction et de rétention de main-d’œuvre. Nous proposons d’ajouter un nouvel identifiant sur le relevé d’emploi pour les employeurs des industries saisonnières ou encore pour une mise à pied saisonnière. Cela serait à la fois plus simple pour Service Canada et plus juste pour les travailleuses et les travailleurs.
Troisièmement, pour le calcul des prestations, ce sont les 12 meilleures semaines de
rémunération qui devraient être utilisées afin que les prestataires ne voient pas le niveau de leurs prestations diminuer. Cela encouragerait les employeurs à offrir de « petites semaines » de travail aux travailleuses et aux travailleurs lorsqu’ils sont disponibles pour obtenir des semaines de travail supplémentaires à la fin de la saison.
Tous ces problèmes ont été masqués entre 2020 et 2023, car plusieurs personnes ont commencé des périodes de prestations alors que d’importantes bonifications temporaires existaient. Or, le gouvernement a choisi de ne pas reconduire ces bonifications.
Finalement, nous recommandons que le projet pilote devienne permanent pour assurer une plus grande prévisibilité pour les travailleuses, les travailleurs et les employeurs des régions concernées.
Dans un autre ordre d’idées, nous croyons que ces mesures ne règlent pas l’ensemble des
problématiques liées au travail saisonnier, et qu’idéalement, une réforme globale de
l’assurance-emploi devrait aussi aborder d’autres enjeux. Notons à titre d’exemple les
problèmes d’accessibilité aux prestations ou encore la possibilité d’essayer un emploi durant la période morte sans pénalité pour d’éventuelles demandes de prestations. Ajoutons enfin que le redécoupage des régions de l’assurance-emploi pose des enjeux pour les travailleuses et les travailleurs des industries saisonnières.
Recommandation 2
Qu’en attendant une réforme globale du régime d’assurance-emploi, les mesures relatives aux travailleuses et aux travailleurs des industries saisonnières soient modifiées pour :
– Permettre 15 semaines de prestations additionnelles aux prestataires admissibles ;
– Revoir le critère de sélection des prestataires admissibles aux prestations additionnelles afin que celui-ci ne repose plus sur les prestations antérieures de la personne, mais plutôt sur les antécédents de l’employeur ou sur le motif de la mise à pied saisonnière ;
– Établir le calcul du taux de prestation sur les 12 meilleures semaines de travail, peu importe le taux de chômage régional ;
– Instaurer de manière permanente les prestations additionnelles relatives au travail saisonnier.
Le Conseil d’appel : pour un vrai système d’appel tripartite
Au printemps 2019, lors de l’annonce initiale de la création d’un Conseil d’appel destiné à
entendre les appels relatifs à l’assurance-emploi, les centrales syndicales québécoises ont
salué la décision. Pour nous, la réforme de 2013 qui a aboli les conseils arbitraux permettant de faire appel des décisions de Service Canada constituait un recul majeur qui devait être corrigé. La formule tripartite, avec un panel composé de représentantes et représentants du gouvernement, des employeurs et des travailleuses et travailleurs présents dans les régions, proches du terrain, est une formule largement éprouvée au Canada offrant un processus humain et des réponses rapides et fiables. Quatre ans se sont écoulés et il est désormais temps d’adopter cette réforme.
Le projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions au budget déposé au
Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures, incluait une section sur le conseil d’appel et le Tribunal de sécurité sociale (TSS). Les organisations syndicales ont
plaidé en faveur d’un retrait de cette section pour en faire une étude distincte, où tous les
intervenants et intervenantes du milieu seraient consultés, ce qui a été fait à l’automne. Une nouvelle mouture du projet de loi initial a été présentée en décembre dernier (projet de loi C-37 et repris dans le projet de loi C-47 d’exécution du budget). Pour les centrales syndicales, un tribunal tripartite est essentiel, avec des audiences en présence dans toutes les régions. Soulignons que certains progrès ont été réalisés dans le projet de loi actuel, notamment quant au fait que tous les membres du conseil auront un statut à temps partiel, évitant ainsi que la différence de statut des membres (temps plein par rapport à temps partiel) n’entraîne des niveaux d’engagement et d’efficacité différents. De plus, C-47 prévoit que l’appel est entendu dans la région de l’appelant, sauf dans des cas prévus par règlement. Cette avancée mérite d’être soulignée.
Si nous appuyons la création du Conseil d’appel, nous mentionnons néanmoins deux problèmes qui persistent. Premièrement, le projet de loi n’insiste pas sur la tenue des audiences en personne. En laissant le choix du mode d’audience à l’appelant, nous craignons que l’ancrage du processus d’appel dans les régions s’en trouve fragilisé. La prémisse des délibérations tripartites de 2018 pour réformer le processus d’appel en matière d’assurance-emploi était que les réformes nécessaires devaient être centrées sur la travailleuse ou le travailleur, flexibles et accommodantes. L’accès concret à une audience en personne a été reconnu comme un aspect essentiel de toute réforme du système d’appel de l’assurance-emploi. Il est à noter que notre proposition laisse une certaine latitude à un autre mode que le présentiel, si certaines circonstances le justifient. En effet, la Commission de l’assurance-emploi pourra établir par règlement les circonstances justifiant un déroulement d’audience sous un autre mode que le présentiel.
Deuxièmement, le paragraphe 43.02 (2) stipule que le chef principal du Conseil d’appel, qui assure la direction et la gestion des affaires courantes du conseil, fait rapport « à la
Commission, par l’intermédiaire du président de celle-ci », sur le rendement global du Conseil d’appel. Le Conseil d’appel n’aura pas entièrement un fonctionnement tripartite si son premier gestionnaire n’est appelé à rendre des comptes qu’au représentant gouvernemental de la Commission de l’assurance-emploi, et non pas à la commission dans son ensemble. Rappelons que la commission regroupe également trois autres membres, à savoir la vice-présidence, qui représente le gouvernement, ainsi que le commissaire des travailleuses et des travailleurs et le commissaire des employeurs. Bien que d’une portée limitée, la commission constitue à ce titre une des trop rares instances de dialogue social tripartite à l’échelle fédérale. Nous désirons que la commission puisse jouer pleinement son rôle. Une concentration trop importante des pouvoirs et des responsabilités au président de la commission vient amoindrir le dialogue social impliquant l’ensemble des représentantes et des représentants sociaux. La reddition de compte sera également moins transparente si elle n’implique pas l’ensemble des membres de la commission, ce qui pourrait à terme porter atteinte au niveau de confiance des organisations syndicales et d’employeurs, et de la population envers la gouvernance du processus d’appel.
Enfin, soulignons que le Conseil d’appel ne sera pas réellement tripartite si les partenaires sociaux ne sont pas directement impliqués dans la sélection des membres représentant respectivement les assuré-es et les employeurs. Les syndicats s’attendent à pouvoir jouer un rôle clé dans la nomination et la présentation de membres du Conseil d’appel éligibles ayant une expertise, une expérience et une connaissance des marchés du travail locaux et que les bureaux des commissaires à l’assurance-emploi dirigent en conséquence le processus de sélection.
Recommandation 3
Que le Conseil d’appel en assurance-emploi soit constitué et que le projet de loi C-47 soit
modifié de la manière suivante :
– Au paragraphe 43.04 (2), biffer « , par l’intermédiaire du président de celle-ci, » ;
– Au paragraphe 43.15 (2), remplacer « selon le mode choisi par l’appelant » par « en mode présentiel ».
Notes
1- Commission de l’assurance-emploi du Canada (2022), Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi 2019-2020.
2- Idem.
3- Selon les règles actuelles, si un prestataire admissible débute une période de prestations avant le 28 octobre 2023, il aura droit aux prestations additionnelles même si sa période de prestation s’étire au-delà de cette date. Une ou un prestataire qui débute une période de prestation après cette date n’y aura pas droit. Le projet de loi propose de conférer ce droit aux prestations additionnelles pour les périodes de prestations débutant au plus tard le 26 octobre 2024.
4- L’indicateur utilisé pour établir le droit aux prestations dans une région donnée est le taux de chômage désaisonnalisé, qui ne prend pas pleinement en compte le manque d’opportunité d’emploi en saison morte dans des régions où les industries saisonnières occupent une place importante dans le tissu économique.
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