Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Margaret Thatcher, les melons d'eau, la société

En se voulant apolitiques, les écologistes se privent de toute capacité de changement.

Le VENDREDI 10 avril 2015, la veille d’une manifestation écologiste se tenant à Québec, le quotidien Le Soleil publie un article au titre évocateur : « La droite et les verts : chronique d’un divorce. » D’entrée de jeu, le journaliste se surprend que « gauchistes » et « écolos » soient systématiquement associés. Cela ne nuit-il pas à la cause de ces derniers ? La droite n’a-t-elle pas déjà été « verte » elle aussi, s’interroge-t-il ? Il rappelle au passage les convictions environnementalistes de Margaret Thatcher. Il est vrai que la Dame de fer a été l’une des premières politiciennes majeures à adopter une position ferme dans la lutte contre les changements climatiques. En 1989, devant l’Assemblée générale des Nations unies, elle tenait des propos qui pourraient aujourd’hui être ceux d’un militant de Greenpeace : « The danger of global warming 1s as yet unseen, but real enough for us to make changes and sacrifices, so that we do not live at the expense of future generations. » Que s’est-il donc passé pour que la droite oublie ses vertus écologistes ?

Tiré du numéro 311 de la revue Liberté.

Questionnés par le même journaliste, deux représentants d’organisations écologistes québécoises se défendent vivement d’avoir des accointances idéologiques avec la gauche. On peut comprendre les raisons, politiques et stratégiques, de cette réticence. À la veille de leur manifestation, ils veulent paraître le plus rassembleurs possible. Afin de démontrer l’ouverture du mouvement écologiste aux milieux moins progressistes, l’un d’eux cite en exemple l’alliance SWITCH, un regroupement d’entreprises et d’organisations voulant « verdir l’économie québécoise ». Leur comité sur « l’écofiscalité » est d’ailleurs coprésidé par nul autre qu’YvesThomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec, dont on connaît trop bien les positions en matière de politiques fiscales. Si le leader écologiste en question reconnaît qu’il y a parfois des divergences de stratégies (« Les gens du capital de risque, par exemple, ont des revendications, mais ils ne font pas de marches »), il se fait toutefois rassurant : « on se rejoint et on travaille ensemble », conclut-il.

Dans un contexte où la gauche québécoise a mauvaise presse, le terme lui-même ayant acquis une connotation péjorative sur plusieurs tribunes, notamment celles de la capitale nationale, on comprend pourquoi beaucoup de militants écologistes préfèrent se tenir loin de la traditionnelle division gauche-droite. L’objectif, de toute évidence, est de positionner l’enjeu écologique « au-dessus » des débats politiques « ordinaires », pour mieux en faire ressortir le caractère extraordinaire, unique. Peu de gens savent que les récentes tentatives de lier au Québec, la mobilisation contre l’austérité et celle contre les changements climatiques ont achoppé en partie pour ces raisons ; les organisations écologistes ont en effet voulu éviter d’être associées aux mouvements sociaux progressistes par crainte « d’antagoniser » le gouvernent Couillard, perçu comme un allié potentiel dans la lutte aux changements climatiques.

L’écologie, nouvel universel ?

Ce discours, volontairement neutre politiquement et se tenant loin de la gauche sociale, est bien connu, et il est entretenu par de nombreux groupes écologistes, au Québec comme ailleurs. Il n’est pas apparu par magie dans la tête des écologistes. Des sociologues comme Ulrich Beck ont fait leur carrière en popularisant l’idée selon laquelle la crise écologique représentait l’occasion d’une mise au rancart du clivage gauche-droite. Le bon côté de la catastrophe écologique, selon les défenseurs de cette thèse, c’est qu’elle nous débarrasserait des vieux conflits idéologiques portant sur la production et la redistribution de la richesse, qui mettaient en scène des citoyens et se jouaient sur le terrain de l’État et du droit. Cette politique ringarde serait désormais obsolète, la crise écologique mettant la table à l’avènement d’une « subpolitique » juridico-médiatique dominée par des réseaux citoyens et des groupes d’experts. Plus encore, la crise écologique agirait comme un formidable égalisateur social : « l’indigence est hiérarchique, le smog est démocratique », écrivait Beck dans La société du risque. Bref, puisque nous serions tous égaux devant lui, le péril écologique nous libérerait de l’embêtante question de l’inégalité. Après tout, nous respirons tous le même air. Dans ce contexte unique, il faudrait donc que les préoccupations politiques traditionnelles s’effacent au profit d’une superalliance pour la sauvegarde de la planète. C’est bel et bien dans cet esprit que des initiatives comme SWITCH sont mises sur pied et justifiées. Exit la vieille fracture capital-travail et sa politique, exit les conflits sociaux. À en croire certains, il faudrait dorénavant se tenir la main, riches et pauvres, salariés et multimillionnaires, pour lutter contre la destruction écologique.

Il serait bien sûr inutile de tenter de nier le caractère exceptionnel de l’actuelle crise écologique, et s’il est une chose que les écologistes ont bien comprise, c’est que le défi que cette crise pose à l’humanité est sans précédent. En conclure que l’écologie représente un nouvel universel permettant d’en finir avec les divisions politiques traditionnelles constitue cependant une erreur d’appréciation des faits.

Pas tous responsables

Allons droit au but : nous ne sommes pas tous responsables de la crise écologique - ou en tout cas pas dans la même mesure. Comme la richesse, la responsabilité de la catastrophe est très inégalement répartie. D’abord, on sait depuis longtemps qu’en grande partie, les pays développés sont responsables de la crise actuelle. Comme prend souvent plaisir à le rappeler Evo Morales, les Américains et les Européens consomment en moyenne huit fois plus en quantité que la moyenne planétaire. Du point de vue des changements climatiques, le portrait est le même : les pays développés, qui représentent moins de 20% de la population mondiale, sont historiquement responsables de près de 70% des émissions de gaz à effet de serre causant aujourd’hui la crise climatique. Les États-Unis, qui regroupent seulement 5 % de la population mondiale, sont à eux seuls responsables de près de 15 % de ces émissions. Pour la « responsabilité partagée de l’humanité », on repassera.

Aussitôt citées ces statistiques, on croit avoir trouvé les coupables : les consommateurs occidentaux ! Combien de fois a-t-on entendu les écologistes nous dire, par exemple, que « si tout le monde consommait comme nous, il faudrait deux planètes de plus » ? Ces statistiques sont généralement exactes. Sauf qu’en comparant de la sorte des moyennes de consommation, on cache une réalité fondamentale : au sein même des économies développées, la richesse et la consommation ont toujours été et sont de plus en plus inégalement réparties. Autrement dit, parler du ’’niveau de vie des Américains’’ masque le fait qu’il existe, en réalité, des différences monumentales entre le niveau de vie des plus riches et celui des salariés ordinaires. Aux États-Unis, le 20% le plus riche absorbe 60% de la consommation. Quand les écologistes parlent au ’’nous’’ (« nous devons moins consommer », « nous devons faire preuve de simplicité », etc.), il convient donc de leur demander : de qui parlez-vous ?

Il est malhonnête et contre-productif de culpabiliser les gens ordinaires pour des décisions qui, pendant des décennies, ont été prises au-dessus de leurs têtes par les dirigeants politiques et économiques. Les statistiques à cet égard sont stupéfiantes. Une étude de 2013, publiée dans la revue Climatic Change, dévoilait qu’à elles seules, « les 90 entreprises les plus polluantes au monde sont responsables des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre planétaires depuis la révolution industrielle ». La moitié de ces émissions, comme le soulignaient les chercheurs, ont d’ailleurs été générées dans les vingt-cinq dernières années, soit bien après qu’entreprises et gouvernements aient été mis au courant des dangers liés à la combustion des énergies fossiles. Même constat du côté des matières résiduelles : aux États-Unis, 99 % des déchets solides sont issus des procédés industriels. Les déchets domestiques (produit par les familles) comptent donc pour moins de 1 % du total ! Il faut bien sûr encourager les gens ordinaires à prendre le métro et à faire du compost, mais ne soyons pas naïfs : à eux seuls, ces changements d’habitudes de vie ne pèsent pratiquement pas dans la balance. Qu’on le veuille ou non, la crise écologique nous renvoie à la manière dont nous organisons, collectivement, nos rapports aux ressources naturelles et au territoire. Ces enjeux dépassent le champ d’action des individus.

En plus d’être factuellement erronée .. cette analyse (individualiste et libérale) de la crise écologique - malheureusement populaire au sein du mouvement écologiste - se fonde sur la notion de « souveraineté du consommateur », une idée au cœur de la théorie économique dominante (néoclassique). Marx Perry, économiste du think tank néolibéral American Enterprise Institute l’exprime clairement : « Les consommateurs sont les rois et les reines de l’économie de marché et, en définitive, ils règnent en maîtres absolus sur les firmes et les employés ] . Lorsqu’ils votent sur le marché avec leurs dollars, les consommateurs décident quels produits, quelles entreprises et quelles industries vont survivre, et lesquels disparaîtront. » Acheter, c’est voter ? Le discours ressemble drôlement à celui de certains écologistes. C’est un problème.

Quand les militants écologistes culpabilisent le grand public pour son « style de vie », ils se trompent de cible. Notre dépendance collective au pétrole, pour ne prendre que ce seul exemple, n’est pas le résultat d’une accumulation de choix individuels, mais bien de décisions politiques le plus souvent prises à l’insu des gens. L’extraction des sables bitumineux, l’expansion des oléoducs, la construction d’infrastructures routières et de villes entières en fonction de l’automobile, tout cela prend la forme d’un projet politique, dont les orientations sont déterminées par de grandes corporations et les gouvernements. Tout mouvement écologiste posant la question de la sortie du pétrole sans tenir compte de ces faits, c’est-à-dire en interpellant les gens à titre de consommateurs plutôt qu’en tant que citoyens, est voué à l’échec. En insistant sur la responsabilité individuelle plutôt que sur les moyens collectifs, c’est-à-dire institutionnels, à mobiliser pour engager une transition, le mouvement écologiste fait le jeu des véritables responsables de la situation actuelle.

Pas tous victimes

Nous ne serons pas tous victimes de la crise écologique - ou en tout cas pas dans la même mesure. Loin de les faire disparaître, la crise écologique accentue et transforme les inégalités : de sociales, elles deviennent aussi écologiques. Certaines d’entre elles sont aussi vieilles que le capitalisme lui-mêrne. L’énergie a historiquement été aussi mal répartie que la richesse, et on sait bien que les classes sociales n’ont jamais été égales face aux conséquences néfastes du développement industriel. Cela est toujours vrai aujourd’hui : une étude de 1999 montrait par exemple qu’en Grande-Bretagne, 99.3 % ( 662 sur 667) des installations industrielles jugées les plus dangereuses et polluantes étaient situées dans des quartiers où le revenu annuel moyen était inférieur à 30 000$.

Contrairement à ce qu’on entend souvent, les changements climatiques ne transforment pas fondamentalement cette dynamique. D’une part, il est déjà connu et reconnu que les catastrophes naturelles, appelées à se multiplier et à s’intensifier, affectent de manière disproportionnée les pays pauvres ou en voie de développement, alors que ceux-ci ne portent, comme on l’a déjà vu, qu’une minuscule fraction de la responsabilité de la crise actuelle. Mais il y a plus : au sein même des économies développées, ce sont les gagne-petit qui sont le plus affectés par les bouleversements du climat. Lorsque la température a tragiquement monté en France lors de l’été 2003, 15 000 personnes sont mortes. Aux dires des autorités sanitaires françaises, la catégorie sociale la plus à risque de décès n’était pas, comme on l’entend souvent, les personnes âgées, mais bien les « ouvriers ». Autrement dit, la situation socioéconomique, et non pas l’âge, constituait le facteur de risque le plus important dans la détermination des victimes, cette statistique s’expliquant par des facteurs simples. Coincés dans des logements étouffants et généralement en moins bonne santé, les pauvres meurent les premiers. L’ironie est tragique : ceux qui font les frais de la crise sont ceux qui en sont les moins responsables. Afin de plaire aux pouvoirs politiques et économiques, une portion importante du mouvement écologiste ferme les yeux devant cette réalité. En persistant dans cette voie, elle fait fausse route. Elle démobilise les gens ordinaires au lieu de donner naissance à un mouvement social.

« Green is the new red ! »

Dans les milieux climatosceptiques et conservateurs américains, on a coutume de qualifier les écologistes de « watermelons ». Verts à l’extérieur, rouges à l’intérieur : la controverse autour de la crise écologique ne serait selon eux que le nouvel habit du vieil ennemi communiste. Dans son dernier livre, Tout peut changer, Naomi Klein relate le discours d’un conférencier climatosceptique américain : les mesures de lutte contre les changements climatiques, explique-t-il, « ont très peu à voir avec l’état de l’environnement et beaucoup à voir avec l’abolition du capitalisme et la transformation de l’American way life dans le sens d’une redistribution globale de la richesse ». Il n’est pas le seul à le penser. Dans un discours prononcé en 2008 portant sur une potentielle politique de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre américains, le président de la Chambre de commerce des États-Unis affirmait sensiblement la même chose : « Il est impossible de faire cela sans changer fondamentalement l’American way of life ralentir le développement économique et mettre en faillite de larges portions de notre économie. »

L’économie politique du XXIe siècle sera l’écologie. Ironiquement, les premiers à l’avoir compris ne sont pas membres de Greenpeace.« Green is the new red ! », déclarait il y a quelques années le Britannique Nigel Lawson. L’homme est un climatosceptique bien connu, qui s’indigne lui aussi du fait que les changements climatiques « fournissent une nouvelle excuse pour s’immiscer, interférer et réguler » le marché capitaliste. Pour lui, c’est une hérésie. On comprend pourquoi quand on connaît son parcours politique : il a siégé dix-huit ans au Parlement britannique, occupant les fonctions de secrétaire à l’Énergie et de ministre des Finances sous Margaret Thatcher, celle-là même que notre journaliste du Soleil citait comme l’exemple par excellence d’une personnalité de droite engagée dans la lutte écologiste. L’ancien conseiller se serait-il détourné de sa célèbre patronne ?

Ce que notre vaillant journaliste ne sait pas, c’est qu’à la fin de sa vie, la Dame de fer avait le même point de vue que son ex-conseiller : se rendant compte que la lutte aux changements climatiques nécessiterait un interventionnisme politique sans précédent « it provides a marvelous excuse for worldwide, supra-national socialism », écrivait-elle dans son ouvrage publié en 2002), sa posture avait drastiquement changé, jusqu’à relativiser les preuves scientifiques de l’existence du phénomène. Ce changement de cap n’a rien de surprenant. Thatcher et son conseiller ont suivi, comme plusieurs, une trajectoire intellectuelle relativement simple : si les changements climatiques donnent raison à la gauche lorsqu’elle plaide pour une régulation démocratique de l’économie, il faut s’opposer à cette « théorie ». D’ailleurs, qu’une femme niant l’existence même de la société ( « there is no such thing as society »,) refuse d’admettre que la destruction des écosystèmes est un fait de société devant être pris en en charge politiquement n’est en fin de compte pas très surprenant.

Bien qu’on ait raison de trouver amusantes les élucubrations anti-scientifiques des climatosceptiques, leur délire conservateur comporte un brin de vérité. Ils ont compris que le défi climatique nécessitera de rompre avec les politiques néolibérales des dernières décennies : il faudra réglementer, interdire, limiter, encadrer. Il faudra aussi en finir avec la logique du libre-échange, qui soumet la souveraineté des peuples aux lois anonymes du capital. Tant que la souveraineté démocratique sera corsetée par la puissance des sociétés multinationales, la volonté politique nécessaire au règlement de la crise écologique sera lourdement entravée. En concluant que la mobilisation contre les changements climatiques constitue une conspiration bolchévique, un climatosceptique radical comme Lawson ne fait donc qu’inverser la cause et l’effet. Il faut le comprendre. Pour un homme qui s’enorgueillit encore des politiques fiscales néolibérales qu’il a mises en place sous Thatcher, il est déstabilisant d’assister au retour d’un discours (scientifiquement justifié !l) remettant en question le principe de dérégulation économique qu’il a défendu toute sa vie. Puisqu’il ne lui vient pas à l’esprit qu’il puisse avoir tort à ce sujet, il conclut que ce sont les scientifiques qui doivent être manipulés : c’est la seule erreur dans son raisonnement.

Les dénialistes climatiques ne comprennent rien à la science, mais ils ont plus de flair politique que les écologistes qui croient encore que des ajustements des marchés et qu’une réforme des comportements individuels suffiront à empêcher la catastrophe. Les climatosceptiques de la trempe de Nigel Lawson prennent la mesure des changements économiques et politiques qu’appelle la crise écologique ; ils en ont saisi le potentiel proprement révolutionnaire. Ils ont raison d’avoir peur des « melons d’eau ». Le problème, on le voit bien, c’est justement que trop d’écologistes refusent d’adhérer à ce point de vue. Ils veulent bien paraître, mais l’impasse actuelle n’est pas que le fruit d’une erreur stratégique. Elle découle aussi d’une compréhension superficielle, voire naïve des rapports entre économie et écologie, et, plus largement, entre l’être humain et son environnement naturel.

Crise de l ’écologie, crise de l’économie

Aristote disait que l’humain est un « animal politique ». Il voulait dire qu’il n’est pas dans la nature humaine d’être comme ceci ou comme cela mais d’être, tout simplement, un être social, dont la nature est à l’image des rapports qu’il tisse avec ses semblables. La remarque du philosophe n’est pas dépourvue de sagesse écologique. Puisque les êtres humains sont naturellement sociaux, les relations qu’ils entretiennent avec la nature sont elles aussi des rapports sociaux. C’est la thèse de l’écologie sociale du philosophe américain Murray Bookchin : notre rapport à la nature n’est pas déterminé par une quelconque « nature humaine », mais par des pratiques sociales. L’espèce humaine en tant que telle n’est donc pas responsable de la crise écologique. La faute en revient plutôt à certaines sociétés humaines, telles qu’elles se sont construites à travers les contingences et les conflits. La bonne nouvelle, c’est que les sociétés sont faites d’institutions humaines. L’activité consistant à débattre et à décider collectivement de leurs formes porte d’ailleurs un nom : la politique. Si nous sommes actuellement dans le pétrin, c’est parce que les formes institutionnelles et les représentations qui organisent notre rapport à la nature ne sont pas adéquates, parce qu’elles sont en décalage par rapport aux divers équilibres naturels. La crise écologique est une crise de nos institutions économiques, il s’agit d’une crise du capitalisme.

Cette identité entre crise écologique et crise économique est d’ailleurs inscrite dans la signification profonde des deux notions. On oublie souvent qu’étymologiquement parlant, les mots écologie et économie sont cousins, voire frères. Ils partagent le préfixe « éco », du grec oikos, qui désignait à la fois la maison en tant que bâtiment et la maisonnée en tant que groupe d’appartenance et de solidarité. Pour les Grecs, l’éco-nonie, l’oikonomia, désignait justement l’art de gouverner sa maison et d’en gérer les ressources avec sagesse. Cette acception originaire de la notion d’économie, essentiellement familiale, était en elle-même empreinte d’un souci de type écologique : il s’agissait non seulement de satisfaire aux besoins de la maisonnée, mais de le faire en fonction de certaines normes (nomos) communautaires qui déterminaient la valeur des choses et des êtres. En son sens le plus profond, on peut donc dire que l’écologie, renvoie à la connaissance (logos) des règles devant présider à l’organisation économique de la maisonnée.

L’écologie n’est donc pas la rivale de l’économie. Il ne s’agit pas non plus de deux « paramètres » devant être technocratiquement contrebalancés, comme le veut l’idéologie du développement durable. Étymologiquement, l’écologie et l’économie, c’est en fait la même chose. Ce qu’on appelle « crise écologique » n’est rien d’autre qu’une crise de l’économie au sens large, une crise des formes institutionnelles et des idéologies qui médient notre rapport à la nature. Dire que l’écologie doit être politique c’est donc, tout simplement, reconnaître que c’est en commun qu’il faut repenser notre manière d’habiter et de façonner le monde.

Gabriel Nadeau-Dubois est essayiste. chroniqueur et candidat à la maîtrise en sociologie.

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