D’abord, les médiateurs nationaux et internationaux n’ont pas été en mesure de convaincre (ou de forcer) les protagonistes à s’entendre sur un consensus minimum. La crise qui perdure illustre la faillite de tous ceux qui ont pour fonction ou mission de faciliter le dialogue politique. Les uns et les autres ont fini par échouer et perdre leur crédibilité, non seulement vis-à-vis des acteurs de la crise, mais aussi dans l’opinion publique malgache. L’envergure morale du Conseil œcuménique des églises chrétiennes (FFKM) s’est effritée, car certains de ses membres éminents se sont rendus coupables d’affinités trop fortes (réelles et supposées) avec l’un ou l’autre des camps en présence.
La SADC s’est également discréditée en cautionnant des textes truffés de contradiction, et en ayant la naïveté de croire que ces contradictions allaient s’effacer d’elles-mêmes avec le temps. Enfin, la société civile malgache démontre chaque jour son incapacité à se faire entendre et respecter par la classe politique.
Ensuite, chaque jour qui passe montre le décalage entre l’Intérêt Supérieur de la Nation au nom duquel chaque membre des deux camps prétend agir, et leurs comportements intéressés au sens le plus péjoratif du terme. Ce grand appétit se rencontre à tous les échelons. La situation de transition post-coup d’État a fait voler en éclats les quelques repères qui existaient encore. La multiplication des enrichissements sans cause, qui se traduisent par véhicules de luxe ou constructions de villas (par des personnes dont on ne connait ni salaire mirobolant, ni héritage subit, ni succès au loto) se fait dans le silence le plus absolu et de la justice et du Bianco [1]Les revendications des membres du Congrès de la transition ou du Conseil supérieur de la transition au sujet de leurs salaires et avantages sont scandaleuses, non seulement par rapport à la situation économique du pays, à leur nombre pléthorique, et surtout à leur statut de non-élus.
Du point de vue de la science politique, on peut tenter quatre explications principales à l’enlisement de la crise.
Premièrement, la crise a été générée par un coup d’État. Cette forme même de prise de pouvoir démontre le peu de cas que la nouvelle classe dirigeante fait en matière de morale politique ou tout simplement de respect de la loi. Dans un régime démocratique, les élites se soucient de l’opinion des citoyens, qui sont à terme des électeurs, et se sentent donc redevables vis-à-vis d’eux. Dans une autocratie telle que Madagascar, les élites ne se sentent redevables que vis-à-vis de des piliers de leur maintien au pouvoir : l’armée, les faiseurs d’opinion, et les réseaux économiques qui se partagent les ressources de façon licite ou non.
Deuxièmement, en liaison avec ce qui précède, la classe dirigeante actuelle ne se sent aucunement redevable vis-à-vis de la communauté internationale, de la population malgache ou de la société civile. Le pouvoir de transition navigue donc à la fois sur le manque de cohérence et de position commune des acteurs internationaux, empêtrés entre la sévérité étasunienne et le soutien indéfectible de la France ; mais également sur le côté invisible, incolore et inodore de la majorité silencieuse. La pression des sanctions internationales a donc été inefficace, et la perspective de leur levée à travers une reconnaissance précipitée du régime de transition est aussi en train d’ôter à la communauté internationale un moyen de pression. Cela la place dans une situation inconfortable, car elle n’a pas réussi à obtenir des concessions de poids de la part des concernés.
Troisièmement, l’approche de la communauté internationale dans la gestion de la crise montre sa méconnaissance de la culture politique des Malgaches. Non seulement elle n’a pas eu la capacité de retenir la leçon de Dakar en 2002, mais en plus, elle n’a pas appréhendé le fait que la culture du marchandage est une institution à Madagascar. Les lacunes et les flous des textes entérinés par les médiateurs internationaux ont donc été payés très chers. Les récentes déclarations de Marius Fransman au sujet de la nécessité de résoudre la contradiction entre le projet d’amnistie et la condamnation de Marc Ravalomanana est une bonne illustration. Mais pourquoi la SADC ne s’était-elle pas rendu compte plus tôt des incohérences, et s’est-elle empressée de valider cette feuille de route et d’appeler la communauté internationale à la soutenir ?
Enfin, la crise perdure parce que tous les textes signés ne se sont pas attachés à résoudre le vrai problème, et ont donc choisi de s’attaquer à des questions secondaires qui n’ont eu logiquement peu d’impact sur la sortie de crise : l’effet placebo n’a pas joué sur la vraie maladie.
Le véritable problème est un conflit personnel entre deux hommes (MM. Ravalomanana3 et Rajoelina), qui est amplifié par le nombre des partisans de l’un et l’autre camp. Toute solution en vue de résoudre la crise politique actuelle, et qui privilégierait un camp au détriment de l’autre, ne sera que vain. De plus, la fracture entre les deux groupes s’accentue jour après jour, et ne semble pouvoir se réduire tout de suite à cause de l’extrêmisation des discours de part et d’autre. Les partisans de Rajoelina ne veulent entendre parler que d’arrestation de Ravalomanana ; les partisans de Ravalomanana exigent que leur leader soit autorisé à rentrer et à se présenter aux élections. Trouver une ligne consensuelle entre de telles positions relève de l’impossible.
Par conséquent, il découle de tout ce qui précède que les acteurs actuellement en présence ne peuvent et ne veulent résoudre la crise. Attendre qu’ils manifestent leur bonne volonté ne fera qu’empirer la situation, car l’expérience montre que les acteurs de la crise n’ont pas beaucoup de considération pour la catastrophe socio-économique. Il est donc nécessaire de remettre la balle au centre, et trouver un autre cadre qui pourrait reposer sur des principes inspirés de l’expérience de 1991. Par exemple, une convention qui concentrerait le pouvoir exécutif et le pouvoir de représenter le pays entre les mains du Premier ministre Beriziky, [2] inclurait un engagement officiel des quatre chefs de mouvance à ne pas se présenter aux prochaines élections, [3] permettrait de monter un gouvernement de techniciens qui aura pour charge de préparer des élections propres, et [4] garantirait l’indépendance de la Justice. Les contraintes sont cependant au nombre de deux : la winning coalition n’a pas une mentalité prête à s’effacer, ayant encore envie de participer au festin ; et l’armée est trop divisée pour soutenir ce schéma. Par conséquent, si la situation idéale est difficile, faudra-t-il se contenter du pire ?
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