Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

L’Ouganda, carrefour de la résistance soudanaise en exil

Cet été, l’équipe de Sudfa s’est rendue en Ouganda, pays frontalier du Soudan du Sud, qui est un des principaux foyers d’accueil des réfugié·es soudanais·es depuis le début de la guerre. Les politiques d’accueil ougandaises leur ont permis de faire renaître à l’étranger une véritable vie culturelle et politique soudanaise, et de poursuivre les objectifs de la révolution en exil.

Tiré du blogue de l’auteur.

L’Ouganda, foyer d’accueil des réfugiés soudanais

Depuis le début du conflit au Soudan, des millions de Soudanais·e·s ont été contraints de fuir leur pays, cherchant refuge dans les pays voisins. Parmi les destinations privilégiées, l’Ouganda s’est imposé comme l’un des principaux pays d’accueil, abritant des milliers de réfugié·e·s soudanais dès les premières heures du conflit.

Lors de notre visite à Kampala, nos échanges ont révélé que le choix de nombreux·ses Soudanais·e·s de se rendre en Ouganda n’était pas dû au hasard. En effet, l’Ouganda est perçu comme l’un des pays les plus sûrs de la région, un véritable havre de paix en comparaison avec les troubles qui affectent nombre de ses voisins. Ce pays d’Afrique de l’Est s’est bâti une solide réputation grâce à son approche généreuse et humanitaire envers les réfugiés. Contrairement à d’autres pays, l’Ouganda offre aux réfugié·e·s soudanais·e·s un accueil inconditionnel, notamment à travers la délivrance rapide de documents officiels, un fait confirmé par tou·te·s les réfugié·e·s soudanais·e·s rencontré·e·s lors de notre visite.

L’une des principales raisons pour lesquelles les Soudanais·e·s choisissent l’Ouganda réside dans la rapidité avec laquelle les autorités délivrent des cartes de résidence valables pour cinq ans. Cette mesure permet aux réfugié·e·s de se sentir rapidement intégré·e·s et de bénéficier d’une certaine stabilité dans un contexte où beaucoup ont tout perdu. Dès leur arrivée, ils et elles peuvent ainsi commencer à reconstruire leur vie.

De plus, l’Ouganda se distingue par sa politique d’accueil inclusive. Contrairement à d’autres pays, les réfugié·e·s soudanais·e·s peuvent entrer sur le territoire ougandais sans passeport valide, une situation fréquente pour de nombreux Soudanais. Les autorités ougandaises comprennent la gravité de la situation et adaptent leur approche pour faciliter l’accueil des personnes en détresse.

L’Ouganda a également été, depuis longtemps, un refuge important pour les militant·e·s soudanais·e·s. A l’époque du régime autoritaire d’Omar el-Béchir, de nombreux·ses opposant·e·s et activistes soudanais·e·s ont trouvé en Ouganda un lieu où ils et elles pouvaient s’organiser et militer sans craindre de représailles. Ainsi, Kampala (la capitale de l’Ouganda) est devenue un foyer de la résistance politique soudanaise, attirant des milliers de militant·e·s espérant, depuis cet exil, contribuer à un avenir meilleur pour leur pays.

Organiser la résistance politique en exil

Depuis le début de la guerre civile en avril 2023, des milliers de militant·e·s, intellectuel·le·s et activistes soudanais·e·s se sont rassemblé·e·s à Kampala. Leur objectif est clair : « organiser la résistance, sensibiliser la communauté internationale à la crise qui ravage le Soudan, et œuvrer à une solution politique durable », comme l’a affirmé El-Mahboub, un militant arrivé à Kampala après le début de la guerre, lors d’un échange que nous avons eu sur place. En effet, Kampala abrite aujourd’hui des centaines de collectifs et associations qui militent sur des sujets variés, allant de l’aide humanitaire à la défense des droits.

L’exil à Kampala ne se limite pas à la résistance politique. La ville est également devenue un carrefour culturel où la culture soudanaise connaît une renaissance. De nombreux·ses militant·e·s ont ouvert des centres culturels, comme le groupe féministe soudanais « Les Gardiennes », qui a créé un espace de débat et de refuge pour les femmes réfugiées. Ce centre sert à la fois de lieu d’échange d’idées sur les droits des femmes et d’hébergement pour celles qui en ont besoin. Samria, une activiste féministe, a souligné que des dizaines de femmes y trouvent refuge, appelant cet espace le « Safe Space ».

Un autre exemple est l’association Hub Développement, qui vise à créer un espace de dialogue vivant entre Soudanais en exil. Ce lieu se veut une plateforme ouverte où toutes les opinions sont les bienvenues, avec l’espoir d’établir les bases d’un dialogue inclusif pour l’avenir du Soudan. Lors d’un événement auquel nous avons assisté à Kampala, Ahmed Al-Haj, coordinateur de l’association, nous a expliqué que : « Cette dynamique de réflexion reflète la volonté de la diaspora soudanaise de contribuer activement à la reconstruction politique et sociale du pays, même depuis l’étranger ».

Par ailleurs, l’association Adeela s’efforce de faire revivre la culture soudanaise en exil. À travers des événements culturels et artistiques, elle œuvre à préserver l’héritage soudanais tout en l’adaptant à la réalité des réfugiés. L’association organise des expositions d’art, des projections de films, et des débats sur l’identité culturelle soudanaise, créant un lien entre le passé et l’avenir. Lors de notre visite, nous avons assisté à une pièce de théâtre en l’honneur du centenaire de la révolte de 1924, dirigée par Ali Abdel Latif contre la colonisation britannique.

Un mini-Soudan au cœur de Kampala : recréer son monde en exil

Au centre de Kampala, un quartier particulier s’est formé, caractérisé par ses boutiques, restaurants, et ambiances qui recréent un fragment du Soudan en exil. Les habitant·e·s appellent cette zone « Down-Town ». Des centaines de réfugié·e·s et de membres de la diaspora soudanaise s’y rassemblent quotidiennement, non seulement pour faire leurs courses, mais aussi pour échanger sur la situation dans leur pays ravagé par la guerre.

Avec l’escalade récente des conflits au Soudan, ce quartier s’est transformé en un véritable « mini-Soudan ». Les vitrines des magasins portent des enseignes en arabe, rappelant leur pays d’origine. Les commerces offrent des produits typiquement soudanais, des épices aux tissus en passant par l’artisanat local.

Les réfugié·e·s soudanais·e·s se retrouvent dans les cafés et restaurants pour échanger des nouvelles, partager des plats traditionnels, et renforcer leurs liens de solidarité. Ces rencontres sont un moyen de se détendre et d’échapper temporairement aux difficultés de l’exil. Ce quartier offre ainsi un soutien moral essentiel, permettant à chacun·e de se sentir un peu plus proche de son pays.

En plus d’être un espace culturel, ce mini-quartier soudanais offre des opportunités économiques pour les réfugiés. Beaucoup y trouvent du travail, que ce soit dans la vente, la restauration, ou la gestion de petites entreprises. La création d’emplois dans ce quartier est cruciale pour ces réfugié·e·s, dont beaucoup ont perdu tous leurs moyens de subsistance en quittant le Soudan. Ces commerces leur offrent une certaine stabilité économique, tout en participant à la vie de Kampala.

Là où beaucoup de médias occidentaux sont focalisés sur les migrations à destination de l’Europe, il faut rappeler, une fois de plus, que la majorité des migrations, notamment en provenance du Soudan, ne se font pas vers le Nord et vers l’Europe, mais bien dans le Sud, en Afrique, et notamment vers des pays comme le Ouganda. Pour reprendre le titre du fameux roman de l’écrivain soudanais Tayeb Saleh, « Saison d’une migration vers le Nord », la dernière guerre au Soudan a bien marqué le début d’une nouvelle « Saison d’une migration vers le Sud », vers les pays africains voisins. Bien qu’invisibles dans le champ médiatique, ces migrations sud-sud sont le point de départ, très intéressant, de nouvelles cultures hybrides, d’entraide, de renaissance culturelle et de résistance politique en diaspora.

Équipe de Sudfa Media

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