L’ajout du groupe d’extrême droite Les Proud Boys à la liste des entités terroristes par le gouvernement fédéral a suscité un certain débat au sein des groupes progressistes. Dans un article paru dans Canadian Dimension, Interdire les Proud Boys — faites attention à ce que vous demandez John Clarke, [1] soutient que nous devrions nous méfier de nous fier à l’État pour légiférer sur la menace du fascisme, entre autres parce que cela peut se retourner contre la gauche. Il cite en exemple la Coalition ontarienne contre la pauvreté (OCAP) qui avait été accusée de « terrorisme intérieur » par le chef de police de Toronto pour avoir tenu une manifestation contre l’itinérance qui avait mené à une confrontation. Il reprend également le fait que la solidarité avec la lutte pour la liberté du peuple palestinien est souvent identifiée par la classe dirigeante comme un discours haineux.
Il a raison de dire que si les organisations d’extrême droite peuvent être interdites, on ne doit pas ignorer les dangers pour la gauche qui vient avec cela ou de placer de grands espoirs dans l’État comme notre protecteur. Ce sont les crises du capitalisme qui créent les conditions de croissance du fascisme et nous sommes dans une telle période de crise.
Si le couteau risque de se retourner contre la gauche, dans ce cas que faut-il revendiquer ?
Pour John Clarke une partie de la réponse repose dans la mobilisation. S’il est vrai que la mobilisation dans la rue est importante et nécessaire, elle ne suffira pas à elle seule à vaincre l’extrême droite. Nous saisissons l’occasion pour pousser la réflexion en termes de perspectives nécessaires pour la gauche.
La loi antiterroriste, une loi discrétionnaire et antidémocratique
En premier lieu, on ne peut s’appuyer sur une loi antidémocratique et discrétionnaire. Pour Dominique Peschard, militant de longue date à la Ligue des Droits et Libertés et coprésident de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, la loi antiterroriste est idéologique, elle s’applique selon la notion de ce qu’entend le gouvernement pour le terrorisme. Par exemple un groupe musulman en soutien à la Palestine pour la libération de la bande de Gaza fait obligatoirement des échanges avec le Hamas, mais ce dernier est sur la liste des groupes terroristes. Par conséquent cela le prive de toute possibilité de financement.
Le Code criminel qui contient les dispositions nécessaires permet un procès public et des recours. En fait il faut faire référence au Code criminel avant les ajouts antiterroristes apportés par les lois C-36, C-51 et C-59. La loi antiterroriste fait donc partie du Code criminel, mais c’est la partie antérieure qu’on devrait considérer. C’est d’ailleurs le Code criminel qui a été utilisé dans le cas de Bissonnette qui avait assailli plusieurs personnes à la Mosquée de Québec.
Cette loi a une grande portée et prive les individus et les organismes visés de leurs droits sans qu’ils puissent se défendre. Elle pourrait par exemple s’appliquer à des environnementalistes qui bloquent des voies ferrées. Son caractère arbitraire est particulièrement flagrant au niveau international lorsqu’on regarde qui est considéré terroriste par le Canada.
Dans une lettre adressée au premier ministre Justin Trudeau, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles explique que le recours aux lois antiterroristes a été dénoncé par des juristes expert.es, des organisations de défense des libertés civiles et des militant.es pour la justice raciale à cause de la menace qu’elles représentent pour les droits fondamentaux et parce qu’elles perpétuent le racisme, la xénophobie et l’islamophobie inhérents à la « guerre au terrorisme ».
La réponse réside plutôt dans les appels lancés par les expert.es du droit, des libertés civiles et de la lutte contre le racisme depuis 2001 : il existe des outils dans le Code pénal canadien qui peuvent être utilisés pour protéger notre sécurité et lutter contre la violence organisée sans avoir à recourir à des lois antiterroristes qui portent atteinte à l’application régulière de la loi et violent nos droits en vertu de la Charte des droits et libertés.
L’historique de la loi
À la suite des événements du 11 septembre 2001, le gouvernement a entrepris un examen de la législation fédérale, y compris le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Le Sénat a adopté le projet de loi C-59, la Loi de 2017 sur la sécurité nationale le 18 juin 2019, et la loi a reçu la sanction royale le 21 juin.
Le 20 juin 2017, le gouvernement Trudeau déposait le projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale, parfois qualifié de projet de loi mammouth. C-59. Selon Dominique Peschard, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) y ont acquis de nouveaux pouvoirs qui lui permettent de détenir des ensembles de données sur la population, moyennant des autorisations ministérielles et l’approbation du nouveau Commissaire au renseignement. Ces procédures seront secrètes et la nouvelle loi donnait pour la première fois une existence légale au CST.
Selon l’International Civil Liberties Monitoring Group [2], même s’il apportait des améliorations importantes, le projet de loi C-59 a continué de permettre au SCRS d’exercer des pouvoirs secrets et dangereux de perturbation des menaces et de préserver des règles trop larges en matière de partage d’informations qui portent atteinte à la vie privée et à la liberté d’expression. Il a donné de nouveaux pouvoirs de surveillance au CST et au SCRS, notamment la collecte des métadonnées, des « informations accessibles au public », qui est définie de manière vague, et des « informations non sélectionnées », une catégorie incroyablement large qui signifie essentiellement toute information ; Introduit de nouveaux pouvoirs pour donner aux agents du SCRS ou à des personnes désignées une immunité pour avoir commis des crimes relevant de leur compétence. Il a permis également au CST de se lancer dans de nouvelles, vastes et puissantes « cyber opérations actives » avec un minimum de supervision, ce qui crée un risque de représailles ainsi que d’attaques provoquées par la fuite de nouvelles cyber armes.
Mais si la solution ne passe pas par la loi antiterroriste, au-delà des poursuites criminelles, quels sont les moyens à utiliser pour vaincre l’extrême droite.
Selon Amnistie International, [3] il faut lutter contre les préjugés et démontrer le caractère mensonger et dangereux de ces idées. Lutter contre le chômage, la misère et toutes les formes d’exclusion ; écouter les plaintes de la population et travailler sur le terrain pour résoudre les problèmes concrets des gens. Faciliter le dialogue, les rencontres et la compréhension mutuelle entre les différentes communautés religieuses, politiques, ethniques, culturelles ou philosophiques. Pratiquer le « harcèlement démocratique » : opposer une réponse politique ferme à chaque expression de l’extrême droite et engager une lutte juridique et institutionnelle contre les partis et personnalités d’extrême droite. Dans le strict respect de la Loi et dans tous les cas prévus par elle. Respecter une valeur morale personnelle et une éthique collective. Ce respect étant valable pour chaque citoyen, il l’est a fortiori pour ceux qui détiennent des responsabilités collectives, politiques ou autres. Informer à propos des partis et idéologies d’extrême droite, leur ôter le masque de la respectabilité et dénoncer leurs mensonges.
Enseigner l’histoire, éduquer à la tolérance, sensibiliser à la citoyenneté. Dans la famille, à l’école, dans la société. Refuser la banalisation de l’extrême droite ou du discours raciste : réagir, s’exprimer publiquement, défendre ses opinions et affirmer ses valeurs, ne pas leur abandonner le terrain de l’expression.
En fait il faut lutter pour l’amélioration de la justice sociale, ce qui permet d’enlever la base sur laquelle elle s’appuie, lutte contre le chômage, les inégalités, le racisme, pour l’inclusion. Il faut politiser et rassembler.
La montée de la droite
La montée des groupes d’extrême droite correspond à la montée de la droite. Au Québec, même si l’extrême droite ne représente pas un phénomène nouveau, elle a commencé à émerger avec la montée du nationalisme identitaire. De façon plus précise, on peut dire que ce phénomène en dormance a pris sa place au soleil au moment où la politique québécoise a fait une place dominante au discours d’exclusion avec la charte des valeurs. À plus forte raison lorsque les personnages publics comme Jean-François Lisée, Louis Plamondon du BQ et Gilles Duceppe ont utilisé ouvertement les images du Niqab et de la Burka comme épouvantail à des fins électorales. Ces comportements ont participé à décomplexer cette extrême droite en dormance.
La Ligue des droits et libertés soulignait dans son Portrait de l’extrême droite au Québec publié en 2019 [4], que le projet de la Charte des valeurs québécoises semblait avoir donné une légitimité politique aux discours identitaires. C’est en effet à partir de 2015 que naissait à travers la province une nouvelle panoplie de groupes nationalistes identitaires, xénophobes et anti-immigration.
En 2016 Marine Le Pen était venue propager une vision d’extrême droite en ce qu’elle considère être un terrain fertile, mettant l’accent sur les questions « d’immigration de masse ou encore de submersion migratoire qui est à l’œuvre non seulement dans l’Union européenne, mais ici aussi ».
Dans le reste du Canada, la montée de la droite a été beaucoup liée à la défense de l’industrie pétrolière et des emplois, détournant le symbole de mobilisation populaire des Gilets jaunes en France qui avait surgi suite à l’augmentation du prix des carburants automobiles issue de la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques . Une enquête du Globe and Mail en 2019 démontrait que les groupes extrémistes de droite au Canada sont composés largement des jeunes radicalisés, ces groupes s’affichent ouvertement comme étant sexistes, racistes, antisémites, islamophobes et anti-immigration.
Lutter contre l’extrême droite, construire la gauche
On ne peut lutter efficacement contre l’extrême droite si l’on ne prend pas aussi en compte l’importance de construction des alternatives de gauche.
Au Québec la construction de Québec solidaire a permis jusqu’à maintenant de présenter une alternative au discours nationaliste identitaire. Mais le chemin est encore long et périlleux. La crise économique prévisible qui découlera de la pandémie combinée à la crise climatique exigera un niveau de politisation et de mobilisation énorme et une perspective d’alliances internationales. À ce chapitre nous sommes sans perspectives réelles d’alternative de gauche en ce qui concerne l’État fédéral lui-même. La perspective d’État socialiste québécois dans le cade de la lutte pour l’indépendance est le seul horizon possible, mais ne pourra se réaliser complètement que dans l’alliance des classes ouvrières canadiennes et québécoises avec les nations autochtones. Pour vaincre la droite, il faut construire les alliances de gauche !
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