Où est passée la SOQUIP, cette société d’État créée en 1969 dans la foulée du « Maîtres chez nous » ? La mission de la SOQUIP était de prendre le leadership de l’exploration des hydrocarbures cachés dans le sous-sol québécois. Ne devrait-elle pas, aujourd’hui, jouer un rôle déterminant dans les graves décisions concernant l’exploitation de cette ressource, dont le gaz de schiste ? Sûrement, mais ne la cherchez pas, elle a disparu. Cela s’est passé sous le gouvernement Bouchard et voici comment.
La SOQUIP a été créée par Daniel Johnson père et mise en vigueur par Jean-Jacques Bertrand, son éphémère successeur. Ces deux premiers ministres avaient pris le relais de ce formidable mouvement de réappropriation de nos ressources et de prise en main de notre destin. Un mouvement enclenché par René Lévesque et Jean Lesage avec la nationalisation de l’hydroélectricité, en 1963, puis la création de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), en 1965.
On croyait alors que si notre sous-sol recelait des hydrocarbures, cette ressource énergétique devait servir, tout comme l’hydroélectricité, au progrès de toute la nation, plutôt qu’à l’enrichissement d’une poignée de compagnies privées. C’est ainsi que peu de temps après sa création la SOQUIP rachète les droits d’exploration que détient la multinationale Shell dans les basses terres du Saint-Laurent et le contrefort des Appalaches. Les permis d’exploration que possédait déjà Hydro-Québec sont aussi transférés à la SOQUIP.
SOQUIP, une entreprise gazière d’envergure nationale
Dans la première décennie de son existence, la SOQUIP réalise des études géophysiques, constitue une importante banque de données et accumule de l’expertise. En 1980, le premier gouvernement du Parti québécois élargit sa mission initiale pour lui permettre d’investir, non seulement dans l’exploration et la prospection, mais aussi dans la production, la distribution et la commercialisation d’hydrocarbures. En 1981, la SOQUIQ et la CDPQ acquièrent une partie importante des actions des deux principales distributrices de gaz naturel au Québec : Gaz métropolitain - alors filiale de la Northern and Central Gaz Company, une compagnie ontarienne - et Gaz Inter-Cité. La SOQUIP regroupe ces deux compagnies pour faire de Gaz métropolitain une entreprise gazière d’envergure nationale.
En 1986, la SOQUIP participe à des projets importants sur la scène canadienne, par le truchement d’un consortium, Soligaz, dont elle détient 50% des actions. Ce consortium est composé de Gaz métropolitain, Alberta Natural Gaz et du groupe SNC. La même année, elle crée, en partenariat avec la CDPQ, la société Noverco dans le but de réaliser l’acquisition complète de Gaz Métropolitain. André Caillé est nommé président de Noverco. La SOQUIP devient ainsi, dans les années 1990, l’entreprise qui contrôle la distribution et la commercialisation du gaz naturel au Québec.
Quand Hydro-Québec vire au gaz naturel avec André Caillé
Mais voici qu’à partir de 1996, tout change. Cette année-là, André Caillé passe de pdg de Noverco à pdg d’Hydro-Québec. Et Lucien Bouchard, ci-devant ministre conservateur à Ottawa accède au poste de premier ministre du Québec. Selon une nouvelle stratégie concoctée entre André Caillé et les hautes instances gouvernementales, l’avenir énergétique du Québec passe désormais par le gaz naturel plutôt que par l’hydroélectricité et l’éolien. Tout un revirement ! Hydro-Québec se lance donc dans l’exploration et la distribution du gaz naturel. Cela ne peut se faire qu’au détriment de la SOQUIP qui se voit forcée de vendre à Hydro-Québec une partie importante de sa participation dans Noverco, société mère de Gaz métropolitain.
En 1997, Hydro-Québec s’allie à IPL Energy Alberta pour prendre le contrôle complet à la fois de Noverco et de Gaz Métropolitain. C’est le début de la fin pour la SOQUIP. Pour la neutraliser, Hydro-Québec crée une nouvelle division qui la supplante complètement : « HQ Pétrole et Gaz ».
De son côté, le gouvernement Bouchard décide, en 1998, de la menotter définitivement en la plaçant sous la tutelle de la Société générale de financement (SGF), dont elle devient une des 12 filiales. La SOQUIP conserve son Conseil d’administration, mais perd son identité et ses moyens d’action. Ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’elle ne disparaisse complètement de l’organigramme de la SGF.
"Il ne reste plus rien de SOQUIP"
Dans le journal des débats du 9 novembre 2010, on apprend de la bouche de Pierre Shedleur, alors pdg de la SGF, que la SOQUIP a été dissoute... depuis au moins six ans. Shedleur témoignait devant la Commission des Finances publiques qui examinait le projet de Loi 123 portant sur la fusion de la SGF et Investissement Québec. Le député péquiste de Rousseau, Nicolas Marceau, demande à Pierre Shedleur si la SOQUIP, filiale de la SGF, a fait de l’exploration dans le Golfe Saint-Laurent. À cette question, Shedleur répond : « Il ne reste plus rien de SOQUIP à la SGF actuellement. Quand je suis arrivé [en décembre 2004], ça n’existait plus. […] C’est une coquille juridique. On a la coquille juridique, mais SOQUIP, qui avait des fonctions particulières à une certaine époque, moi, quand je suis arrivé ça n’existait plus ».
La riche banque de données constituée par la SOQUIP a été transférée au ministère des Ressources naturelles et de la Faune qui s’est empressé de mettre ces précieux renseignements à la disposition de l’entreprise privée. Un trésor dans lequel l’État québécois et nos universités ont investi des sommes et des énergies considérables. Tout ce bouleversement s’est fait à l’insu du public et des médias... trop peu vigilants.
Nouveau virage à 180 degrés d’Hydro-Québec... en sens inverse
En 2007, André Caillé quitte Hydro-Québec. Et voilà qu’aussitôt après son départ, Hydro-Québec effectue un autre /virage à 180 degrés en sens inverse. Paradoxalement, la société d’État ne veut plus rien savoir de gaz naturel et de pétrole. Son nouveau pdg, Thierry Vandal, ordonne que « HQ Pétrole et Gaz » se départisse des parts qu’elle détient dans Gaz Métropolitain - devenu Gaz Métro - et cède gratuitement, ou presque, tous ses droits d’exploration et d’exploitation à trois sociétés privées : Petrolia, Gastem et Junex. Coïncidence : André Caillé vient justement d’atterrir dans la compagnie Junex. Et un ex-ministre libéral, Raymond Savoie, se trouve à être le pdg de Gastem. À noter que ces trois entreprises en apparence québécoises, sont totalement sous le contrôle de capitaux étrangers.
Stupéfiant paradoxe, dont voici la clé. En quittant son poste à la société d’État, l’ex-pdg successivement de Noverco et d’Hydro-Québec s’est lancé dans la business du gaz naturel. Il avait préparé sa sortie. André Caillé est maintenant conseiller senior en stratégie chez la susmentionnée Junex et membre de son conseil d’administration. Le premier président de l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), fondée en avril 2009, c’est lui. Son nouvel objectif : livrer à l’entreprise privée ce bien collectif. Fort de l’appui du gouvernement Charest, sa compagnie et les autres membres de l’APGQ se sont lancés sans mot dire à la conquête du nouveau pactole de la vallée du Saint-Laurent : le gaz de schiste. Armés de la vieille Loi des mines du Québec, ils sont au-dessus des lois. Quand les gens se sont indignés, André Caillé, à titre de président de l’APGQ, a tenté de s’expliquer. Il s’est butté à une telle résistance qu’il en a été ébranlé. Son médecin et ses compères lui ont prescrit de s’effacer.
Qui va remplacer André Caillé comme lobbyiste en chef de l’APGQ ? Nul autre que son allié et complice dans la disparition de la SOQUIP : Lucien Bouchard bien payé, paraît-il, par la compagnie albertaine, Talisman Energy.
Reviens, René, ils veulent nous déposséder !
D’aucuns pourraient croire qu’un appel à un nouveau « Maîtres chez nous » relève de la nostalgie d’une époque révolue, celle de René Lévesque et de Jean Lesage. Ce n’est pas ce que pense l’éditorialiste en chef de La Presse. Son texte du 27 novembre 2010, s’intitule : « Le Lévesque de Terre-Neuve ». Selon André Pratte, celui qui a repris le flambeau allumé par René Lévesque en 1962, ce n’est pas un homme d’État du Québec, mais Danny Williams, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador. Le mot d’ordre de M. Lévesque était « Maîtres chez nous », celui de M. Williams : « Maîtres de notre destiné », explique l’éditorialiste. L’un et l’autre ont compris que pour être maître de sa destinée il faut commencer par être maître chez soi.
Danny Williams s’est battu contre les compagnies pétrolières en achetant, contre leur gré, 51% de leurs parts dans l’exploitation des hydrocarbures en mer. Il s’est battu contre le gouvernement fédéral en exigeant sa juste part des ressources énergétiques offshore. Quand la papetière AbitibiBowater a voulu fermer ses portes, en mettant cavalièrement à la rue ses travailleurs, après s’être copieusement servi dans les forêts de Terre-Neuve pendant 100 ans, Danny Williams, défiant l’ALÉNA, a exproprié la multinationale. Et quand AbitibiBowater est allé se plaindre, avec succès, auprès de cette instance, il n’a pas bronché ; c’est le fédéral qui a dû payer les 130 millions de dollars en supposés dédommagements exigés par la compagnie prédatrice.
Pratte écrit : « Danny Williams a été pour les Terre-Neuviens ce que René Lévesque a été pour nous ». Ces deux chefs d’État ont redonné à leur peuple, non seulement un bien collectif, mais « une confiance et une fierté nouvelles ». L’éditorialiste termine en citant la belle expression de dignité du premier ministre terre-neuvien : « Nous pouvons maintenant faire nos choix selon nos propres intérêts ». Et Pratte de conclure : « À quand le jour où un premier ministre du Québec pourra dire la même chose ? »
Ce que nous voyons ici, c’est plutôt le spectacle navrant d’un ancien premier ministre qui se fait pèdleur pour aller vendre aux gens des campagnes la douteuse idée qu’il est urgent d’abandonner à des compagnies étrangères le gaz enfoui sous nos terres agricoles et nos nappes phréatiques. Une richesse collective, un bien public qu’il est risqué et inutile d’exploiter pour le moment. On voit que pour notre vieille élite politico-économique, le « Maîtres chez nous » de René Lévesque et de Jean Lesage n’a plus aucun sens.
En conclusion : vivement un mouvement social et un parti politique qui sauront inscrire à leur programme la réappropriation systématique de toutes nos richesses naturelles – mines, forêts, eau, vent, hydrocarbures – et la maîtrise de notre destin.
Jacques B. Gélinas
Le 7 février 2011