L’auteur décrit l’immense pas en avant qu’a représenté la nationalisation de l’électricité au début des années 60. Il s’agissait d’une conquête qui faisait la fierté du peuple québécois. Puis après une période de mobilisation intenses dans les années 70, il y eu la période qui suivi où le syndicalisme s’inscrivit davantage dans une perspectives d’affaires plutôt que de défense des membres. Si les mobilisations des années 60 et 70 ont permis d’arracher de multiples gains à la classe dominante, les décennies qui ont suivi sont marquées par l’intégration du syndicalisme à une dynamique affairiste (mise en place du Fonds de solidarité de la FTQ et de la FondAction de la CSN) qui s’appuie sur la concertation des partenaires dans laquelle le syndicalisme est intégré aux affaires de l’État tout en abandonnant graduellement les traditions de mobilisation et de rapport de force. Les gains des deux décennies précédentes sont graduellement érodés et les reculs se multiplient.
L’auteur a raison de souligner que le syndicalisme a perdu de sa capacité à mobiliser largement et à incarner la locomotive qu’il était dans les année 60-70 pour toute la société québécoise en multipliant les conquêtes sociales (chapitre 3). Il diagnostique une bureaucratisation des organisations syndicales comme étant le principal facteur de cette dérive. Les conséquences sont bien identifiées : perte de contact avec la base, création d’une couche privilégiée dans les appareils syndicaux, orientations sympathique aux demandes patronales, mobilisations à peu près nulles, etc.
Porlier consacre une bonne partie de son ouvrage (chapitre 2) à décrire les enjeux d’orientation de la mission d’Hydro-Québec qui était à la base de fournir de l’énergie à toutEs les QuébécoiEs de l’électricité à faible coûts sans représenter une source polluante. Il faut lire comment la direction fait preuve d’aveuglement volontaire sur la recherche et le développement (la question du moteur-roue par exemple), comment elle s’est rendue sans combattre dans le dossier du développement de l’éolien en abandonnant le secteur au privé. Et surtout comment elle en est venue à devenir une machine pour entretenir les amiEs du régime, PQ et PLQ confondus, avec les projets de mini-centrales. Comment la société en est rendue à payer 150 millions$ par année à TransCanada Energy pour ne rien faire avec son usine de production à Becancour, ou comment elle a cédé pour pratiquement rien ses droits sur la prospection sur l’Île d’Anticosti. Et surtout, comment la filière gazière, André Caillé de Gaz Métro notamment, a infiltré la direction avec la complicité tant des libéraux que des péquistes. L déplore que la société d’État accumule les surplus tout en poursuivant ses projets insensés comme le projet de mini-centrale à Val Jalbert.
L’auteur est manifestement un péquiste déçu. Il fut de ceux et celles qui ont souhaité la formation d’un autre parti, le Nouveau Parti du Québec. Il a appelé au vote stratégique lors de la dernière élection. Il voit le PQ comme traversé par une oligarchie soumise à la droite et au patronat qui occupe le siège de conducteur du PQ alors que la base ou du moins une bonne partie serait davantage à gauche. Certains de ses commentaires indiquent qu’il croit encore en la possibilité de redresser le PQ, de faire table rase de sa direction oligarchique pour lui redonner son orientation social-démocrate d’origine. Il souhaite le rassemblement des trois partis souverainistes, ne voit pas dans Québec solidaire un véhicule crédible, candidat au pouvoir à court terme.
Un tel projet est sans issue. Le PQ n’a jamais été un parti social-démocrate. Les partis sociaux-démocrates ont été créés par les organisations ouvrières et populaires et sont demeurés organiquement liés à ces dernières jusqu’à tout récemment. Rien de tel au PQ, un parti issus de la fusion d’éléments des libéraux, de la droite nationaliste et de certains éléments issus des organisations syndicales et du RIN. Jamais les syndicats ou les organisations populaires n’ont été impliqués dans la fondation du PQ. Le PQ a souvent ressortit son « préjugé favorable aux travailleurs » mais jamais il n’a construit de liens réels avec les mouvements sociaux. Il n’a jamais été construit comme outil de résistance contre les pressions de l’oligarchie. Il a plutôt développé une expertise en manipulation des mouvements et des mobilisations, une capacité de récupération et de domestication des mouvements sociaux pour les encadrer et les ramener à l’intérieur du cadre « raisonnable » des politiques néolibérales.
Au lendemains de sa première élection, son premier geste fut de proclamer devant l’oligarchie américaine qu’il n’y avait rien à craindre du Québec, que la province ne deviendra pas un deuxième Cuba en Amérique. Il a domestiqué le mouvement de libération nationale qui s’exprimait dans la rue autant que sur la scène électorale et la convertit en démarche « raisonnable » à l’intérieur de laquelle la population est confinée à un rôle de spectateur appelé à voter lorsque le parti le décide. Le reste est bien connu. L’offensive anti-syndicale des années 80, l’appui à l’accord de libre -échange nord-américain, puis le déficit zéro de Lucien Bouchard et la gestion néolibérale décomplexée des gouvernements Landry, Boisclair et consort. Non, rien de nouveau avec le présent gouvernement. L’auteur s’attriste des reniements du gouvernement péquiste de Pauline Marois mais rien dans le passé du PQ n’indique que celui-ci suivrait une direction différentes de ces prédécesseurs. Il serait temps pour des militantes et militants comme M. Porlier qui espère ce qui n’adviendra pas d’entreprendre la construction d’un nouveau véhicule pour les luttes syndicales et populaires. À force de se cogner le nez sur les murs péquiste, on contribue au cynisme ambiant et aux espoirs déçus. Malgré ces commentaires qui peuvent apparaître négatifs, il s’agit d’une lecture intéressante pour qui veut connaître le récit du développement de la plus importante société d’État du Québec et de l’importance de la conserver et de la développer tout en résistant aux tentatives de la droite et de l’oligarchie de la privatiser ou de la soumettre aux ditkats des accords de libre-échange. Pour y parvenir, l’auteur vise juste en soulignant l’importance d’un renouveau syndical qui place la démocratie et la mobilisation au centre de ses stratégies.
Réjean Porlier, Pilleurs d’héritage : confessions douces et amères d’un Hydro-Québécois, M éditeur, 2013, 184 p.